Afrique-Europe : les émigrés, très proches de leurs familles
(Syfia Cameroun) Grâce au téléphone portable et à Internet, les émigrés africains d’Europe participent de plus en plus activement à la vie de leurs familles encore au pays. Une évolution qui s’explique par la baisse continue des prix des communications. Cette proximité dissuade des jeunes qui rêvent d’Europe d’y venir, et poussent certains qui y sont partis à retourner au pays.
Grâce au téléphone, Sylvie Ngo Tama, une Camerounaise résidant à Genève depuis 11 ans, est au centre de la vie sociale de sa famille dispersée en Afrique et en Europe. Contactée par sa mère depuis Douala, elle a pu résoudre par téléphone un problème qui empoisonnait la vie de son petit frère et de sa femme, qui vivent au Gabon. "Tout se passe comme si elle était ici !", lance Marie-Michèle Ngue, l’une de ses nièces qui réside, elle, à Douala.
Comme de nombreux immigrés africains, Sylvie ne se sépare jamais de ses deux téléphones portables : l’un pour les appels locaux, l’autre pour appeler l’Afrique. Il y a dix ans, elle dépensait 20 Francs suisses (environ 8 600 Fcfa) pour téléphoner 10 minutes au Cameroun. Aujourd’hui, avec la même somme, elle appelle plus d’une heure au pays. Partout en Europe, les services de téléphonie à prix réduits vers l’Afrique se sont développés avec des tarifs en moyenne cinq fois moins élevés qu’il y a quelques années. Dans l’autre sens, en Afrique, les prix des appels internationaux sont deux à trois fois moins élevés. L’appel venant d’Afrique se signale en général par un "bip", une seule sonnerie pour demander au destinataire de rappeler.
Être rassurée et investir à distance
Cette proximité, pas si virtuelle, permet aussi aux immigrés d’être en permanence soutenus par leurs proches. Nadège Dzoualy, une étudiante camerounaise en master à l’Université de Genève, vit par exemple très mal les discriminations et le manque de solidarité. Sans le réconfort de ses parents qu’elle appelle au moins deux fois par semaine, la vie en Europe serait intenable pour elle. "Quand j’entends leurs voix, ça me rassure, et ça m’aide à supporter la vie ici", avoue-t-elle.
Plus proches de leurs pays, quelques émigrés vont jusqu’à monter des projets qu’ils pilotent à distance. Responsable d’entreprise à Genève, Diagne Ahmedoune Dida, sénégalais, tient depuis quelques années, un grand restaurant à Dakar. Pour le contrôler de loin sans trop dépenser, il a fait installer un système de téléphonie via Internet avec un poste dans son bureau de Genève et un autre à Dakar. "Nous pouvons ainsi communiquer gratuitement autant qu’on veut", souligne-t-il. Aurélien Mophou, informaticien en Suisse, a lui investi pas moins de 10 millions de Fcfa (plus de 15 000 €), en 2008, dans une ferme avicole à Douala, sans avoir effectué le moindre voyage sur place. Étude de marché, recrutement du personnel et du vétérinaire, recherche des fournisseurs locaux… Tout s’est fait via Internet et le téléphone. "Tous les matins, il appelait et on faisait le programme de la journée. Le soir, on faisait le point", se rappelle Mireille Woguem, la gérante. Après moins d’un an de fonctionnement, sa ferme, qui affichait un taux de mortalité de poussins dix fois supérieur à la moyenne, a dû fermer. "Certains détails que j’aurais pu déceler si j’avais été physiquement présent m’ont échappé…", reconnaît-il aujourd’hui. Un fournisseur avait par exemple livré des poussins de mauvaise qualité.
"Électron libre"
Les expatriés sont au courant des réussites professionnelles des proches restés au pays, ce qui incite certains à revenir. "J’ai décidé de rentrer cette fin d’année pour ouvrir un magasin de vêtements à Yaoundé", confie Adéline Moting. "On est mieux chez soi", insiste-t-elle, faisant allusion aux comportements racistes dont les Africains sont souvent victimes en Europe. Vendeuse dans un magasin de prêt-à-porter de Genève, elle est aujourd’hui moins fortunée que certaines de ses amies restées au pays. À ses frères et sœurs, elle ne cesse de répéter au téléphone que l’Europe n’est pas l’Eldorado, que la vie y est très chère et qu’il est difficile d’acheter en quelques années de travail un duplex comme on peut le faire au pays.
De son côté, Sylvie parle souvent à sa famille de ses problèmes d’impôts, des factures élevées, des tracasseries d’ordre professionnel, etc. "Du coup, pour nous, voyager n’est plus un impératif", résume Marcelle Sonia, une autre de ses nièces régulièrement informée, au Cameroun, des déboires de sa tante expatriée.
Dans un article sur les habitudes de communication des immigrés en France publié fin 2002 dans la revue Hommes et Migrations, Dana Diminescu, attachée de recherche à la Maison des Sciences de l’homme à Paris, expliquait déjà que les migrants ne correspondaient plus à l’image du déraciné, mais plutôt à "un modèle d’électron libre qui, grâce aux nouvelles technologies de communication, se déplace sans se détacher de son atome social".
02-10-2009
Par Etienne Tassé
Source: http://www.syfia.info