Côte d’Ivoire: rapport accablant de l’ONU contre les autorités
04 mai 2004
PARIS (AFP) – La commission d’enquête de l’ONU sur les événements du 25 et 26 mars à Abidjan accuse, dans un rapport accablant, "les plus hautes autorités de l’Etat" ivoirien d’avoir monté une "opération soigneusement planifiée" pour réprimer une manifestation interdite de l’opposition.
Le bilan de cette répression, indique le rapport révélé lundi par la radio française RFI, s’élève à 120 morts au moins. Sans compter les cas de tortures, disparitions et arrestations arbitraires, selon l’ONU qui n’hésite pas à parler de "massacres".
"Les 25 et 26 mars, des civils innocents ont été tués de façon indiscriminée et des violations massives des droits de l’homme ont été commises. La marche est devenue un prétexte à ce qui s’est avéré être une opération soigneusement planifiée et exécutée par les forces de sécurité, c’est-à-dire la police, la gendarmerie, l’armée ainsi que des unités spéciales et des forces parallèles, sous la direction et la responsabilité des plus hautes autorités de l’Etat", affirme la commission d’enquête qui a séjourné en Côte d’Ivoire du 15 au 28 avril "à la demande des autorités ivoiriennes".
Le dernier bilan officiel communiqué par la police ivoirienne le 28 mars faisait état de 37 morts, dont deux policiers, au cours des deux jours de violences les 25 et 26 mars. "Au moins 120 personnes ont été tuées, 274 blessées et 20 sont portées disparues", poursuite le rapport onusien de 20 pages selon lequel "ces chiffres ne sont en aucune façon définitifs". La commission de l’ONU, qui dénonce également des "arrestations massives sans aucune base légale", fait état de la présence de "81 corps" dans différentes morgues d’Abidjan et de sa périphérie, pour la plupart portant des traces de blessures par balles.
Les enquêteurs n’excluent pas, par ailleurs, que des corps aient été "transportés et enterrés quelque part". "Des preuves écrasantes" suggèrent que ces tueries "n’ont pas été provoquées et n’étaient pas nécessaires. Il est également évident que certaines communautés étaient visées (par cette répression), notamment les gens originaires du nord du pays (majoritairement musulmans, ndlr) ou de pays voisins (spécialement Burkina Faso, Mali et Niger)". Au passage, l’ONU dénonce la responsabilité des organisateurs de la marche qui, sachant qu’elle était à haut risque, n’y ont pas participé; les auteurs soulignent toutefois que cette responsabilité est sans commune mesure avec les "violations massives des droits de l’homme" commises par les forces de l’ordre.
Pour les enquêteurs internationaux, il ne fait aucun doute que tout a été soigneusement préparé. Ils en veulent pour preuve le fait que les forces de l’ordre et des "forces parallèles" se sont déployées dès l’aube dans des quartiers d’Abidjan et que la plupart des personnes tuées ne l’ont pas été dans la rue mais dans leurs maisons. Le rapport de l’ONU affirme encore qu’il n’y avait, le 25 mars, "aucune menace posée par les manifestants", "aucune infiltration venue du nord", "aucune tentative d’insurrection populaire contre l’Etat", invalidant ainsi les assertions des autorités ivoiriennes selon lesquelles la manifestation prévue par l’opposition pour soutenir les accords de paix de Marcoussis était, en réalité, un paravent pour une attaque armée sur la capitale économique ivoirienne.
Le rapport s’attarde longuement sur la participation à la répression de "forces parallèles" que l’ONU qualifie de "milice armée". Parmi ces forces sont cités les "Jeunes Patriotes", le mouvement de Charles Blé Goudé fer de lance des manifestations anti-françaises de soutien au président Laurent Gbagbo, ainsi que le principal syndicat étudiant, la FESCI. Tous ces mouvements, lit-on encore, sont "financés et armés par les forces de sécurité qui leur donnent des ordres directs". Et l’ONU précise: "Ce soutien vient de l’intérieur du palais présidentiel".
En conclusion, tout en dénonçant un climat d’impunité en Côte d’Ivoire, toujours coupée en deux depuis la tentative de coup d’Etat de septembre 2002, la Commission souhaite l’ouverture d’une enquête criminelle pour juger les responsables des "tueries indiscriminées" commises en mars 2003, mais aussi la mise en oeuvre des travaux de la commission internationale chargée des violations des droits de l’homme depuis septembre 2002, ou encore le démantèlement et le désarmement "de tous les groupes armés, y compris les forces parallèles". "Le président de la République et le gouvernement de réconciliation nationale ont l’obligation de tout faire pour mettre fin aux activités" des milices et des forces parallèles, conclut le rapport de l’ONU.