Ukraine
Les étudiants africains, entre racisme ordinaire et extorsion de fonds
Les universités ukrainiennes attirent chaque année des centaines d’étudiants africains, attirés par des rêves d’Europe, des prix cassés et une promotion éffrénée assurée par des agences troubles. Une fois arrivés sur place, nombre d’entre eux déchantent face à une réalite ukrainienne bien loin de celle promise par les prospectus.
« Pour un Ukrainien, voir un Noir, c’est un événement. Moi je n’ai jamais été victime d’une agression raciste, mais d’injures, oui. Une fois un samedi dans un fast-food du centre, on était en train de commander et un groupe de jeunes est entré, ils ont commencé à faire des bruits de singes, à crier macaque… J’étais bouleversé. » Désiré *, jeune Congolais, vit depuis le mois d’avril à Kiev, la capitale ukrainienne. Comme de nombreux africains, il a choisi d’étudier en Ukraine, croyant tenir là un bout de l’Europe, faute d’avoir été accepté par les services d’immigration français et belges. Mais Désiré a vite déchanté. Car le racisme ordinaire et ses dérives les plus extrêmes sont une réalité quotidienne en Ukraine. Tous se souviennent de cette flambée de violence, au printemps 2008, qui a fait 5 morts dans la communauté, provoquant la frayeur des étudiants. Irène, camerounaise installée dans le pays depuis 4 ans, se souvient de cette période sombre : « Des groupes extrémistes et nationalistes semaient la terreur et ce sont les étrangers qui ont payé le prix fort. Entre Africains, on s’appelait, on se disait où avaient eu lieu les attaques, les endroits à éviter… »
La communauté africaine, rassemblant quelques 10 000 personnes dans le pays, majoritairement des étudiants, est la cible privilégiée des attaques racistes, dans une société ukrainienne particulièrement monochrome. « Cette année, la police ukrainienne a commencé à s’occuper de ces groupuscules, et il y a même eu un procès, ce qui a créé une jurisprudence sur le crime de haine raciale, note Jeffrey Labovitz, directeur de l’organisation internationale des migrations à Kiev. Mais il reste qu’une très grande majorité des étudiants étrangers, et surtout des étudiants africains, ont été victime d’agressions verbales, d’injures raciales, mais aussi de harcèlement financier par des policiers dans la rue. On ne nous a pas rapporté de meurtres depuis un moment, mais il faut garder à l’esprit que la majorité des attaques ne sont toujours pas enregistrés, par manque de confiance dans les forces de l’ordre et par peur de représailles ». Pour éviter les ennuis, les étudiants s’organisent : « Quand on sait qu’il y a des marches nationalistes, on se téléphone et on reste chez nous, explique Irène. La nuit on évite de passer par les souterrains, et dans certaines rues de la ville, à certaines heures, on ne se promène pas tout seul. Et si quelqu’un te provoque, tu ne réponds pas ».
« Ils font venir plein, plein d’Africains, et ils les arnaquent »
Malgré ces problèmes, les universités ukrainiennes se sont lancées dans une vaste campagne de promotion en Afrique. Leurs représentants passent régulièrement sur les chaînes de télévisions nationales, vantant la qualité des études à bas coût, dans un pays « européen ». Pour Mirdula Ghosh, responsable de l’Institut pour le développement de l’Europe de l’Est, une ONG kiévienne, « le cœur de ce système, entre agences et universités, c’est de gagner de l’argent sur le dos des étudiants étrangers ». Un système désormais bien connu de cette ONG antiraciste : « Il existe un réseau d’agences privées, qui recrutent leurs clients en leur faisant miroiter une formation de bonne qualité, à des prix relativement plus bas qu’ailleurs. Mais le système est tout sauf transparent : les universités profitent de n’importe quel prétexte, la crise, l’inflation, pour augmenter arbitrairement les tarifs et soutirer plus d’argent aux étudiants. Et les étrangers sont sans défense, parce que la plupart du temps ils ont signé un contrat dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Enfin, personne ne dit qu’ici, les étudiants étrangers ne sont pas autorisés à travailler. Si leurs familles ne peuvent pas payer pour tous ces frais supplémentaires, les étudiants risquent d’être expulsés de l’université puis du pays ».
Ces agences peu scrupuleuses sont pourtant accréditées par le ministère de l’Education et les universités ukrainiennes. Elles ont surtout pignon sur rue dans les grandes capitales africaines. « Ils font venir plein, plein d’Africains, et ils les arnaquent, en leur racontant par exemple qu’ici c’est l’Europe, et qu’ils pourront facilement aller à l’Ouest, raconte encore Irène. C’est faux ! Moi, je ne dis pas qu’il ne faut pas venir, je ne regrette pas du tout mes années passées ici parce que c’est une expérience que je suis contente d’avoir vécue. Mais il faut que les étudiants sachent la vérité ».
En privé, un observateur étranger confirmera pourtant que la corruption, qui règne dans le pays, n’épargne ni les universités, ni le très opaque centre des étudiants internationaux, au ministère de l’Education. Désiré et ses camarades, fraîchement débarqués sur le sol ukrainien, en font les frais. Abandonnés par leur intermédiaire, ils risquent d’un jour à l’autre d’être expulsés d’Ukraine, si leurs parents ne payent pas à temps les sommes supplémentaires qui leur ont été exigées.
* Nom d’emprunt
De notre correspondant à Kiev, Camille Magnard
Article publié le 14/06/2009
Source: http://www.rfi.fr