La jeunesse se fourvoie dans le tabac, malgré tout
BRAZZAVILLE, 20 mai 09 (IPS) – Près du lycée technique 1er Mai de Brazzaville, la capitale congolaise, trois élèves aspirent quelques bouffées de cigarette pendant la récréation. Le fait paraît ordinaire, car même les enseignants qui les voient ne s’en meuvent pas. Oh! c’est comme ça ici, tous les jours!», déclare à IPS, Serge Kalath, professeur de biologie.
Juste en face de ce lycée, un détenteur d’une échoppe vend de la cigarette. «Je vends la cigarette aux passants. C’est vrai que les élèves viennent en acheter aussi», reconnaît-il. Agé de 30 ans environ, le vendeur dit à IPS qu’il connaît les méfaits du tabac, mais il pense qu’il ne peut pas refuser de vendre la cigarette à ces élèves qui sont ces clients. Pour lui, ce sont des «enfants perdus qui ne respectent personne et donc, on ne peut pas leur faire la morale».
Quelques études sectorielles ont été réalisées en 2005, 2007 et 2008 sur la consommation du tabac dans les grands centres urbains au Congo. «Mais, nous savons que la situation est très inquiétante, car lors de nos enquêtes, nous remarquons de plus en plus de jeunes qui fument», affirme à IPS, Sosthène Nganga, secrétaire général de ATTC3, une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Brazzaville, luttant contre la consommation des drogues, la prostitution et le SIDA.
«La cigarette est devenue une coqueluche pour les jeunes Congolais. C’est une mode, et si un jeune ne fume pas, il est déphasé», indique Nganga, expliquant, entre autres, les raisons qui poussent les jeunes au tabac.
Pour ATTAC3, beaucoup d’élèves sont des «fumeurs occasionnels» qui ne s’accrochent vraiment pas au tabac, mais leur nombre est très croissant. «Pendant nos enquêtes, nous rencontrons ces fumeurs dans les écoles, dans les boîtes de nuit, donc lorsqu’ils sont en groupe», explique Nganga. Mais, à la maison, ils ne fument pas, dit-il, indiquant que lors d’une étude en 2008, à Brazzaville, sur un échantillon de 2.300 interrogés, «700 jeunes estimaient que la cigarette est devenue une compagne inséparable pour atténuer les misères et le chômage».
D’après les statistiques de l’Office national de la main-d’oeuvre et de l’emploi, 35 pour cent des jeunes Congolais sont des chômeurs. Une enquête sur les ménages, réalisée en 2007 par le gouvernement, fait ressortir que 52,1 pour cent des Congolais vivent avec moins d’un dollar par jour, alors qu’en 2004, la Banque mondiale estimait ce taux à 70 pour cent.
Selon une autre étude menée en 2008 dans une trentaine d’écoles par Rosalie Likibi Boho, point focal anti-tabac au ministère de la Santé de ce pays d’Afrique centrale, «l’âge moyen des fumeurs est de onze ans». Elle indique à IPS que 23 pour cent des élèves des écoles secondaires de Brazzaville ont déjà «essayé de fumer».
Pourtant, le gouvernement prend des initiatives pour contenir ce phénomène. En janvier 2006, le Congo a ratifié la Convention cadre des Nations Unies contre le tabac, alors que quelque temps avant, le pays avait interdit la publicité du tabac dans les médias publics.
En avril dernier, les députés ont adopté à l’Assemblée nationale une loi anti-tabac, qui interdit la consommation du tabac aux mineurs et aux personnes souffrant de troubles mentaux. La loi interdit également la consommation du tabac dans des lieux publics.
«Tout ça c’est bien. Mais combien de Congolais savent que la loi interdit la cigarette aux mineurs ou de fumer dans les lieux publics?», demande Nganga.
«Je suis très contente de la loi. Notre pays est en avance par rapport à d’autres pays africains, mais il faut plus. Les populations doivent être sensibilisées sur les effets du tabac. Or, il manque de moyens financiers et techniques pour mener des sensibilisations anti-tabac», affirme Likibi Boho.
"Une fois que la loi sera promulguée, nous passerons à la sensibilisation… Je reconnais toutefois qu’il n’y a pas de moyens financiers et techniques pour faire cette sensibilisation", dit-elle à IPS. Déjà, pour la commémoration, le 31 mai prochain, de la Journée anti-tabac, elle exprime sa déception : "Il n’y aura aucune activité dans le pays, car malgré mon projet, le gouvernement n’a pas financé. Mais j’appelle les médias à s’impliquer dans la lutte contre le tabac".
La consommation du tabac est interdite dans les écoles. Mais l’application de cette mesure n’est pas effective. «Il n’est pas rare que je surprenne dans la cour un élève avec sa cigarette. Les programmes anti-tabac ne sont enseignés qu’en (classes) de première et terminale, mais aussi de façon très superficielle. Cela ne suffit pas pour faire prendre conscience aux enfants», explique à IPS, l’enseignant Kalath, plaidant pour une «amplification des campagnes anti-tabac à l’instar du SIDA».
ATTAC3 a créé, l’année dernière, des clubs anti-tabac dans six écoles de Brazzaville. «Une fois par mois, des jeunes échangent sur les méfaits du tabac. Nous décernons des prix aux meilleures causeries ou à ceux qui témoignent d’avoir arrêté de fumer. Mais nous sommes limités par les moyens», regrette Nganga.
"En 2008, nous avons remis de petits prix (livres, cahiers, stylos et T-shirts) à 13 élèves du collège Auguste Bitsindou de Brazzaville. Au cours de cette cérémonie, 32 élèves sont venus témoigner qu’ils avaient essayé de fumer, mais suite à ce que nous disons, ils ont cessé", affirme Nganga.
L’ONG ATTAC3 est soutenue par le Fonds des Nations Unies pour la population dans sa lutte contre la prostitution et le SIDA. "C’est notre partenaire sûr. Mais pour le tabac et les drogues, nous nous débrouillons seuls", souligne-t-il, précisant que lors de la cérémonie du collège Bitsindou, les membres de l’association ont déboursé 346 dollars des fonds de leurs autres projets.
Au Congo, la Société industrielle et agricole du tabac, fabrique de la cigarette, mais les Brazzavillois ont constaté que ses tonitruantes campagnes de publicité des années 1980 ont quasiment disparu. «On ne voit plus comme avant les camions de la SIAT faire de la publicité dans les stades, sur les lieux de concerts musicaux. Mais, on voit quand même leurs cigarettes dans les boutiques», indique à IPS, Symphor Mansembo, un agent commercial à Brazzaville.
Pour Dr Jean-Pierre Baptiste, conseiller régional anti-tabac au bureau Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) basé à Brazzaville, les sociétés de tabac fuient la dureté de la loi en Occident et s’installent en Afrique où la législation est encore faible.
«Il est prouvé que l’interdiction de fumer réduit chaque année de 16 pour cent le tabagisme dans un pays. Concernant la fiscalité, l’OMS recommande l’augmentation des prix de tabac, afin qu’il y ait moins de fumeurs et que l’Etat gagne plus en recettes douanières», explique Baptiste. Il souligne que 35 pays du monde ont déjà ratifié la Convention cadre des Nations Unies contre le tabac. (FIN/2009)
Arsène Séverin