Libreville, une ville sans mémoire
Par Danielle Agnouret Aworet
Source : L’Autre Journal – 13 Avril 2004, 8:56
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La capitale du Gabon n’a pas d’histoire. Elle s’est développée en effaçant les vestiges de son passé. Cette entreprise est le fait de certains politiques de chez nous. L’étranger qui arrive pour la première fois à Libreville est frappé par son développement embryonnaire. Mais en la parcourant d’un bout à l’autre, il sera déçu de constater que le côté culturel et historique de cette ville a été effacé. Seuls les monuments du vaillant officier gabonais dans l’ex-armée coloniale française – le capitane Charles N’tchoréré, mort pour la France le 7 juin 1940 et de feu le Président Léon Mba sont visibles du côté de l’immeuble Rénovation et au centre ville, face à l’hôpital général. La statue de l’actuel chef de l’Etat qui a failli être déboulonnée dans les années 90 à un jet de l’entrée de la cité de la Démocratie se dresse désormais sur l’artère principale de Ngouoni dans la province du Haut-Ogooué. A l’immeuble de la SNI, à Likouala, on trouve une stèle abandonnée. La plupart des contemporains ne savent même pas ce qu’elle représente. Pourtant, il suffit qu’on y insère une épitaphe en gros caractères pour rappeler qu’à cet endroit, furent inhumés, dans une fosse commune, des soldats et civils gabonais ayant lutté pied à pied avec l’armée française lors du coup d’Etat de février 1964. Au quartier Louis, sur le front de mer, une représentation symbolique rappelle la signature du traité entre Bouët Willaumez et le roi Dowé, dit Louis. Rappelons que dans les années 50, Libreville avait un embryon de cases coloniales ainsi que quelques symboles. A titre d’exemples : le parc du kerellé avec son cimetière au centre ville, le stade Bonvin baptisé plus tard stade révérend père Lefèvre, l’hôtel central qui abrite, entre autres, la Direction Générale de Bourses et Stages, le palais du gouverneur, l’église Saint Pierre, …De tout cela, il ne reste plus rien qui puisse rappeler aux touristes et surtout aux jeunes générations, ce qu’était Libreville, il y a encore trois décennies. Un ancien Ministre des travaux publics en charge de la ville, en l’occurrence Monsieur Zacharie MYBOTO eut, il y a quelques années, l’idée de symboliser le débarquement, sur le comptoir du Gabon, de 52 esclaves libérés au Fort-d’Aumale, par une place publique avec monument sur le site occupé par l’ancien hôtel Dowé et le Bureau Régional des Douanes. Malheureusement cette idée n’eut aucun écho favorable. Au total, Libreville est une ville sans mémoire et sans âme. C’est la raison pour laquelle plusieurs personnalités de passage à Libreville sont souvent invitées à découvrir l’hôpital Schweitzer de Lambaréné où tout a été maintenu en l’état, dans la case du Docteur, grâce à la volonté de ses héritiers. Un effort similaire de la part de politiques gabonais sur Libreville aurait été salutaire. Ont-ils jamais su que le développement culturel participe au développement économique ? Pourquoi ont-ils eu cette hantise de vouloir coûte que coûte effacer les vestiges laissés par les colons et même par feu le Président Léon Mba ? la restauration de ces vestiges, leur entretien permanent et l’extension de la ville de Libreville vers les quartiers Awendje, Rio, PK 12… auraient sûrement permis aux jeunes générations et aux visiteurs de notre capitale de savoir que celle-ci a une histoire à l’instar, par exemple, de Dakar où le Président Senghor et ses successeurs ont compris et intégré le fait culturel et Dieu seul sait ce que le Sénégal engrange comme devises grâce au tourisme. C’est donc à dessein, et ils auront ainsi marqué négativement leur temps, que les autorités de notre pays ont effacé tout ce qui pouvait rappeler le passé de Libreville. Il reste à espérer que d’autres fils de ce pays s’emploieront à œuvrer, comme le cinéaste Imunga Ivanga, pour ce devoir de mémoire. Nous les y encourageons vivement.
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