Les femmes et la science en Côte d’Ivoire : la discrimination les a maintenues dans l’ignorance
Source : Fraternité Matin – 23 Novembre 2004
Par le Pr. Saliou Touré
Abidjan
Pour accéder aux connaissances scientifiques, beaucoup de femmes devaient recourir aux enseignements d’un père, d’un frère ou d’un mari.
La faible proportion de femmes dans les professions scientifiques et technologiques, résultant des inégalités d’accès des jeunes filles et des femmes aux formations scientifiques et technologiques est une préoccupation majeure pour les gouvernements, les milieux scientifiques internationaux et les organisations féminines du monde entier.
I. INTRODUCTION
La faible proportion de femmes dans les professions scientifiques et technologiques, résultant des inégalités d’accès des jeunes filles et des femmes aux formations scientifiques et technologiques est une préoccupation majeure pour les gouvernements, les milieux scientifiques internationaux et les organisations féminines du monde entier.
C’est pourquoi, de nombreuses conférences internationales et de nombreuses études ont été consacrées à la place des femmes dans les carrières scientifiques et technologiques au cours de la dernière décennie.
Deux questions viennent tout de suite à l’esprit dès qu’on s’intéresse à la place des femmes dans la science et la technologie en Afrique : pourquoi y a-t-il si peu de filles dans les séries scientifiques des lycées et dans les filières scientifiques et technologiques des universités et des grandes écoles scientifiques? Et pourquoi peu de jeunes femmes ivoiriennes et africaines choisissent-elles une carrière scientifique ? Voilà les deux questions complexes et interdépendantes que nous nous proposons d’analyser en utilisant quelques données obtenues auprès du Ministère de l’Education Nationale.
En proposant les quelques éléments de réflexion qui suivent, nous avons pour objectif d’engager le dialogue et le débat et d’encourager des études plus précises visant à encourager les jeunes Ivoiriennes à prendre la place qui leur revient dans le développement de la science et de la technologie en Côte d’Ivoire et en Afrique.
II. LES FEMMES ET LA SCIENCE : SURVOL HISTORIQUE
Pendant des siècles, l’instruction et la formation étaient essentiellement assurées dans le monde occidental par les parents et par l’Eglise, de sorte que l’éducation, au sens formel du terme, touchait bien peu de gens.
Les populations illettrées étaient alors les plus nombreuses et majoritairement composées de femmes car les esprits et les autorités d’alors ne voyaient pas la nécessité de les instruire ; par la suite des débats, des controverses et de nombreuses tentatives habiles ont permis de réguler leur accès aux savoirs. Ainsi, Fénelon au XVIIè siècle, écrivait que pour les femmes, il devait y avoir une pudeur sur la science, c’est-à-dire la connaissance en général, « presque aussi délicate que celle qui inspire l’horreur du vice » et il y a à peine un siècle, le Docteur Gustave Le Bon déclarait : « Tous les psychologues qui ont étudié le cerveau féminin s’accordent pour dire qu’il est plus proche de celui du chimpanzé et de l’homme primitif que de celui de l’homme civilisé ».
Ce sont de tels propos scandaleux qui ont favorisé les pratiques discriminatoires qui ont maintenu les femmes dans l’ignorance, en marge des communautés scientifiques pendant des siècles.
Rappelons que le Baccalauréat, institué en France en 1820, était un diplôme exclusivement réservé aux seuls garçons. C’est seulement en 1880 que les jeunes filles ont pu accéder à un enseignement secondaire public, grâce aux initiatives de Camille Sée qui créa des Lycées de jeunes filles où on enseignait essentiellement l’économie domestique, la couture, le dessin et le chant ; ni les sciences, ni d’ailleurs le latin et le grec n’y avaient leur place. Il n’était donc pas question que les jeunes filles préparent le baccalauréat.
En 1924, Léon Bérard, ministre de l’instruction publique, proposa une réforme des lycées et collèges de jeunes filles et introduisit « un enseignement facultatif dont la sanction est le baccalauréat » avec les mêmes programmes que les garçons.
C’est seulement vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle qu’a été accepté le principe qu’hommes et femmes ont droit aux mêmes types d’éducation. Mais, on va le voir, les jeunes filles se sont heurtées à des difficultés innombrables. Ainsi, en 1912, une jeune fille, nommée Jeanne Rouvière, fut admise au concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de Paris (ENS), mais entre temps, le Conseil supérieur de l’Instruction publique s’étant ému de l’intrusion des jeunes filles, une circulaire ministérielle du 2 mars 1912 précisa que les jeunes filles reçues au concours ne pouvaient recevoir qu’une bourse de Licence auprès de l’Université de Paris. A la suite de Jeanne Rouvière, deux autres jeunes filles : Georgette Parize et Madeleine Chaumont, qui avaient été déclarées admises à ce même concours, respectivement en 1917 et 1919, n’ont obtenu qu’une bourse de Licence. En 1926, Marie-Louise Jacotin, future Madame Dubreil-Jacotin, reçue deuxième au concours d’entrée à l’ENS, ne se vit offrir qu’une bourse de licence en province. Elle refusa cette offre, se battit contre cette injustice et finalement, elle fut acceptée à l’Ecole comme élève en surnombre.
La situation n’était guère différente dans les autres pays d’Europe. L’accès à l’université était également refusé aux femmes. Ainsi, en 1921, l’Université de Cambridge (Angleterre), décida par un vote que les femmes ne pourraient obtenir de diplômes officiels, et cette décision a été maintenue jusqu’après la seconde guerre mondiale.
Souvent, la formation scientifique initiale des femmes était donc assurée en dehors des voies normales (lycées publics et universités) ; pour accéder aux connaissances scientifiques, beaucoup de femmes devaient recourir aux enseignements d’un père, d’un frère ou d’un mari. Ainsi, Caroline Herscel (1750-1848), qui découvrit huit comètes, était soeur et tante d’astronomes du roi d’Angleterre ; Marguerite Rouvière (soeur de Jeanne Rouvière), préparée par un père polytechnicien, fut admise au concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 1910. Seules les grandes dames de l’aristocratie pouvaient bénéficier des enseignements de précepteurs dont la réputation était bien établie ; ce fut le cas de Maupertuis et Clairaut pour la Marquise du Châtelet. Toutefois, quelques femmes ont pu se former par leurs propres moyens mais avec l’appui de certains savants de l’époque (ce fut le cas de Sophie Germain).
Dans le dernier tiers du XIXe siècle, des établissements d’enseignement supérieur réservés aux femmes firent leur apparition et certaines universités acceptaient parfois de décerner leurs diplômes à des étudiantes étrangères qui devaient normalement exercer leur profession dans leur pays d’origine (en Suisse par exemple, on pouvait trouver un grand nombre d’étudiantes en médecine, d’origine russe). Plusieurs femmes ont alors pu mener une brillante carrière scientifique (c’est le cas de l’astronome Maria Mitchell (1818-1882), à Vassar College, dans l’Etat de New York, et de Sofia Kovalevskaia (1850-1891), première femme à obtenir une chaire de mathématiques à l’Université de Stockholm.
Les femmes étaient exclues non seulement des études universitaires, mais aussi des sociétés savantes et des institutions de recherche. Ainsi, au XVIIe siècle, époque où s’élaborait la science nouvelle en Europe, l’Académie des Sciences de Paris et la Royal Society de Londres refusaient d’admettre des femmes, même très compétentes, en leur sein.
Malgré quelques exceptions au XVIIIè siècle, telles que Emilie du Châtelet (1706-1749), auteur de plusieurs traités de physique, ou Laura Bassi (1711-1778), qui enseigna la physique à l’Université de Bologne, les femmes ne pouvaient se livrer à des activités scientifiques que si elles étaient femmes ou filles d’hommes de science.
C’est seulement depuis la seconde guerre mondiale que des femmes sont élues à la Royal Society où elles sont toujours en nombre très limité. Aujourd’hui encore, les femmes sont très peu représentées dans des institutions prestigieuses telles que l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis d’Amérique. La biochimiste Marianne Grunberg-Manago, née en 1921, est la première femme élue, en octobre 1994, présidente de l’Académie des Sciences de Paris.
Au XXe siècle, et particulièrement depuis l’essor du mouvement de libération des femmes des années 70, de nombreuses femmes ont fini par entrer dans les carrières de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique où elles se sont distinguées par la grande qualité de leur travail et sont devenues célèbres. Citons par exemple Lise Meitner (1878- 1968), spécialiste de physique théorique, qui dirigea à Berlin, entre les deux guerres, une section de l’Institut de radiochimie Kaiser-Wilhelm ; Dorthy Wrinch (1894-1976), première femme à obtenir un doctorat ès sciences de l’Université d’Oxford en 1929 ; Dame Mary Cartwright, née en 1900, première femme nommée maître de conférences en mathématiques à l’Université de Cambridge en 1935 ; la cristallographe Kathleen Lonsdale (1903-1973) et la microbiologiste Marjorie Stephenson (1880-1950) premières femmes élues à la Royal Society en 1945 ; et les lauréates du prix Nobel, la physico-chimiste Marie Curie, née Sklodowska (1867-1934), deux fois prix Nobel, en 1903 et 1911, qui enseigna à la Sorbonne et dirigea l’Institut du radium, à Paris, Irène Joliot-Curie (1935), Gerty Radnitz Cori (1947), Maria Goeppert-Mayer (1963), Dorothy Hodgkin (1964), Rosalyn Yalow (1977), Barbara Mc Clintock (1983), Rita Levi-Montalcini (1986), Gertrude Elion (1988).
En France, Madame Dubreil-Jacotin fut la première femme nommée professeur de mathématiques dans une université en 1938, trois ans après Dame Mary Cartwright et longtemps après la nomination d’Emmy Noether à Göttingen (Allemagne). Elle fut suivie par deux autres mathématiciennes : Marie Charpentier, nommée en 1942, et Madame Jacqueline Ferrand, nommée à l’Université de Bordeaux en 1943. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, beaucoup d’autres scientifiques françaises ont été nommées professeurs d’université.
Soulignons par ailleurs que plusieurs femmes de l’aristocratie européenne ont contribué efficacement au développement de la science en Europe ; sans être des scientifiques, elles furent les protectrices et les interlocutrices d’un grand nombre de savants du XVIIe siècle. La grande-duchesse Christine de Toscane, par exemple, correspondait avec Galilée ; la princesse Caroline de Galles correspondait avec Leibniz et le mettait en relation avec d’autres scientifiques anglais ; elle organisa notamment sa controverse avec Newton par l’intermédiaire de l’évêque Clarke ; la reine Christine de Suède mit sur pied son Académie des Sciences avec l’aide de son professeur Descartes.
Ce bref rappel historique permet de mesurer le chemin parcouru par les femmes en Europe et en Amérique dans leur quête du savoir et d’apprécier le rôle actif joué par les femmes dans le développement de la science en Europe, même si ce rôle n’a pas toujours été reconnu par les historiens des sciences. Aujourd’hui, malgré les difficultés qu’elles continuent à rencontrer, les femmes des pays développés sont présentes dans presque tous les domaines de la science et elles sont aussi compétentes que les hommes, même si elles demeurent largement minoritaires.
III. LA PLACE DES FEMMES IVOIRIENNES DANS LA SCIENCE ET LA TECHNOLOGIE
Dans cette troisième partie de notre étude, nous allons analyser, à la lumière des statistiques fournies par le Ministère de l’Education Nationale, la place des jeunes filles dans le système éducatif ivoirien, puis nous chercherons à comprendre pourquoi de nombreuses lycéennes et étudiantes, en Côte d’Ivoire et en Afrique, sont toujours reléguées dans les filières littéraires et pourquoi les disciplines scientifiques et la technologie ne les attirent pas suffisamment.
III.1. Les filles dans le système éducatif ivoirien
Dans toutes les régions de Côte d’Ivoire, et particulièrement dans les zones rurales, les filles se heurtent fréquemment à des obstacles d’ordre socio-économique et culturel qui les empêchent de bénéficier des mêmes chances que les garçons en matière d’éducation. Seules celles qui arriveront à franchir ces obstacles peuvent espérer faire partie des cohortes parmi lesquelles se recrutent les scientifiques.
Selon des statistiques récentes du Ministère de l’Education Nationale, dans l’enseignement primaire ivoirien, le nombre de garçons scolarisés est nettement plus élevé que le nombre de filles scolarisées. En effet, le taux brut de scolarisation (TBS) est de 83% pour les garçons et de 63% pour les filles, avec un rapport du taux des filles à celui des garçons de 0,76. C’est à partir de l’enseignement secondaire que l’on observe des disparités entre garçons et filles et ces disparités tendent à s’accentuer dans le second cycle. En effet, dans le premier cycle, le TBS est de 40,7% pour les garçons et de 21,8% pour les filles, avec un rapport du taux des filles à celui des garçons de 0,54 ; dans le deuxième cycle, le TBS est de 19,9% pour les garçons et de 8,2% pour les filles, avec un rapport du taux des filles à celui des garçons de 0,41.
En 2001-2002, sur un total de 682461 élèves inscrits dans l’enseignement secondaire général (public et privé), on dénombrait 440 834 garçons et 241 627 filles soit 35,40% de l’ensemble des élèves inscrits.
Les statistiques fournies par le Ministère de l’Education Nationale indiquent que sur 182 160 élèves inscrits dans le second cycle de l’enseignement secondaire général (public et privé) en 2001-2002, 58 246 sont des filles, soit 31,98% de l’ensemble. Pour les séries scientifiques (D et C), la proportion est encore plus faible : les filles représentent seulement 25,71% des effectifs de ces séries (voir le tableau ci-dessous) ; toutefois les effectifs féminins s’effritent rapidement dans les séries scientifiques : de 26,62% de filles parmi les élèves de Seconde C, on passe à 14,58% en Première C, et à 14,24% en Terminale C (voir le tableau ci-dessous).
(voir pièce jointe)
Ces tendances, qui ne sont pas propres à notre pays, se retrouvent également dans l’enseignement supérieur. Actuellement, les jeunes filles sont très peu représentées dans les filières scientifiques et technologiques des universités et des centres ivoiriens de formation technique supérieure. Ainsi, à l’UFR Mathématiques et Informatique, on compte 5,96% d’étudiantes en MP1(mathématiques et physique, 1ère année), 6,59% en MP2(mathématiques et physique, 2ème année), 1 étudiante sur 157 en Licence de mathématiques et 2,98% en FIP (Formation Individuelle Permanente). Enfin, bien que la proportion de jeunes filles à L’Institut National Polytechnique Félix HOUPHOUET-BOIGNY (INP-HB) ait sensiblement augmenté au cours des dernières années, elles restent largement minoritaires : 16,84% à l’Ecole Préparatoire aux Grandes Ecoles d’ingénieurs, 19% à l’Ecole Supérieure d’Agronomie, 10,19% à l’Ecole Supérieure d’Industrie, 4,87% à l’Ecole Supérieure des Mines et de Géologie, 7,87% à l’Ecole Supérieure des Travaux Publics.
Les garçons seraient-ils donc plus doués pour les sciences que les filles ?
Si l’on en juge par les résultats obtenus par les garçons et par les filles au cours de leur cursus scolaire et universitaire, il semble difficile de répondre à cette question par l’affirmative.
A l’école primaire, les garçons et les filles manifestent le même intérêt pour le calcul, pour les mathématiques, et pour les sciences d’observation. C’est dans l’enseignement secondaire que l’on observe des différences notables dans l’éducation reçue par les filles et les garçons ; ces différences s’observent d’ailleurs non seulement en Côte d’Ivoire et en Afrique mais aussi en Amérique, en Asie et en Europe.
Aussi bien dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement supérieur, l’analyse des résultats obtenus par les garçons et par les filles en mathématiques, montre que les filles ont des capacités équivalentes à celles des garçons et leurs performances sont très proches : en 2003, par exemple, 28% des filles inscrites ont réussi au Baccalauréat contre 34,70% pour les garçons. En France, la proportion de réussite des filles au Baccalauréat C est légèrement supérieure à celle des garçons : 89% contre 83%. Dans certaines académies, en France, on a observé que les filles avaient de meilleures notes que les garçons en mathématiques : 51% de lycéennes ont une moyenne supérieure à 10, contre 49% pour les garçons. Certains professeurs affirment que les différences entre filles et garçons apparaissent surtout dès que l’on aborde des épreuves de géométrie et de trigonométrie ; d’autres soutiennent que c’est seulement quand les mathématiques deviennent plus abstraites que les jeunes filles commencent à « décrocher ».
Comment dès lors expliquer cette désaffection des jeunes filles pour les formations scientifiques et technologiques ?
Quand on observe les performances des jeunes filles, même si elles sont moins nombreuses que les garçons à entreprendre des études scientifiques et technologiques, quand on examine l’excellente qualité du travail scientifique effectué par les « dames de la science » en Côte d’Ivoire et dans le monde, on est convaincu qu’il est impossible voire absurde d’invoquer une quelconque inaptitude des femmes à « faire » des sciences en général et des mathématiques en particulier et personne n’oserait aujourd’hui, démontrer l’infériorité du cerveau féminin. On ne peut donc expliquer la désaffection des filles pour les disciplines scientifiques qu’en recourant à des considérations d’ordre sociologique ou psychologique.
Dans les classes mixtes, en présence des garçons, il semble que les filles aient tendance être plus timides et à se sous-estimer. Bien qu’elles aient souvent des notes supérieures à celles des garçons, elles ont moins confiance en elles-mêmes que les garçons. Elles s’estiment peu douées en mathématiques et en sciences physiques et, dès qu’elles obtiennent le Baccalauréat, elles se précipitent vers les filières juridiques et les sciences humaines. « Elles croient beaucoup plus au don, à la bosse des maths que les garçons », fait remarquer Catherine Goldstein, de l’Association Femmes et mathématiques. Cette sorte d’autocensure amène souvent les lycéennes qui s’estiment faibles en mathématiques, à ne pas les aimer et même à les fuir.
Ce comportement des lycéennes s’explique par des facteurs nombreux et complexes, notamment les attitudes socioculturelles des parents à l’égard de l’éducation des filles, celles des enseignants vis-à-vis des jeunes filles qui étudient les disciplines scientifiques et celle des jeunes filles elles-mêmes qui perçoivent généralement ces études comme l’apanage des garçons.
Dans les familles africaines, surtout en milieu rural, certains parents considèrent que seuls les garçons doivent faire des études ; en conséquence, ils n’envoient pas leurs filles à l’école ou, si elles y sont déjà allées, les poussent à quitter précocement l’école pour se marier et avoir des enfants. Cette attitude compromet sérieusement les chances des filles d’entreprendre ou de poursuivre des études de sciences.
Dans les classes, certains enseignants de sciences pensent que ce sont les garçons qui peuvent réussir dans les études scientifiques, de sorte qu’ils accordent plus d’attention aux garçons et se montrent moins exigeants à l’égard des filles ; ils n’insistent pas suffisamment pour orienter ces dernières vers les études scientifiques. Ces préjugés et ce comportement des enseignants ont sans aucun doute des effets négatifs sur la confiance en soi et les performances des filles qui finissent par abdiquer en déclarant : « les sciences, c’est pour les garçons, ce n’est pas pour nous ».
De plus, les programmes d’enseignement des matières scientifiques et les manuels contribuent souvent à renforcer les clichés sexistes. Il n’est pas rare en effet de voir dans les manuels de physique et de biologie, des illustrations mettant en valeur le rôle des hommes dans la science, alors que les préoccupations des filles et des femmes et les questions qui les intéressent sont systématiquement passées sous silence.
III.2. Les femmes ivoiriennes dans les professions scientifiques et technologiques
En Côte d’Ivoire, on constate que les hommes sont de loin plus nombreux que les femmes dans l’enseignement supérieur et dans les métiers de la recherche scientifique. Ici, comme ailleurs en Afrique, les femmes sont peu représentées dans les « sciences dures » (mathématiques, physique, chimie, sciences de l’ingénieur). Ainsi, à l’UFR Mathématiques et Informatique, on ne compte que 3,85% de femmes (2 sur 52 enseignants chercheurs) et à l’UFR Sciences des Structures de la Matière et de Technologie, 10% des enseignants chercheurs sont des femmes (8 sur 80).
Malgré le manque de données complètes permettant de comparer les systèmes universitaires et les systèmes de recherche scientifique, on peut affirmer que les pourcentages de femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique dans les autres pays d’Afrique sont à peu près les mêmes qu’en Côte d’Ivoire.
Les scientifiques ivoiriennes et africaines, comme la plupart de leurs consoeurs du monde entier, ont tendance à se spécialiser dans certains domaines précis : la biologie, l’agriculture, la chimie, la médecine, l’odontostomatologie, la pharmacie et les sciences de la vie qui jouent toutes un rôle fondamental dans les problèmes cruciaux de l’Afrique. Mais là aussi, les femmes sont en nombre insuffisant par rapport aux hommes.
Que faire pour attirer les jeunes filles vers les filières scientifiques et les femmes vers les carrières scientifiques ?
En Côte d’Ivoire, comme dans le reste de Afrique, les femmes constituent près de 50% de la population et ce sont elles qui éduquent et qui transmettent les valeurs et les normes traditionnelles ; elles ont un rôle déterminant dans le développement harmonieux de nos pays et représentent donc un potentiel humain considérable que le continent africain doit savoir exploiter judicieusement.
Ce sont ces considérations qui ont conduit la Société Mathématique de Côte d’Ivoire (SMCI) à instituer un concours de mathématiques dénommé Concours MISS MATHEMATIQUE afin de préparer les jeunes Ivoiriennes à participer à l’essor scientifique mondial. Ce concours vise à motiver et à encourager les jeunes filles des établissements secondaires, à travailler davantage en mathématiques et à s’orienter de plus en plus vers les filières scientifiques où l’éclosion de nouveaux talents pourra redynamiser l’enseignement et la recherche mathématiques en Côte d’Ivoire.
Pour préparer tous les jeunes Ivoiriens à participer pleinement au développement socio-économique du pays, il est important que des mesures destinées à favoriser l’accès d’un plus grand nombre de femmes aux activités scientifiques et technologiques soient prises par les autorités.
Ces mesures devront viser par exemple à :
· Organiser la sensibilisation des enseignants, des responsables administratifs et des étudiants aux problèmes de l’égalité entre les sexes ;
· Assurer aux femmes des chances égales d’accéder aux mêmes types de formation et aux mêmes disciplines scientifiques et technologiques que les hommes ;
· Attribuer des bourses aux jeunes filles pour effectuer des études scientifiques ;
· Organiser des concours scientifiques réservés aux jeunes filles afin de les encourager à s’intéresser davantage aux sciences (genre Miss Mathématique) ;
· Favoriser l’intégration des femmes dans les carrières de l’enseignement (secondaire et supérieur) et de la recherche scientifique et technologique ;
· Assurer la participation des femmes aux institutions scientifiques et technologiques qui définissent la politique scientifique de la nation ;
· Veiller à ce que les préoccupations des filles et des femmes et les questions qui les intéressent soient prises en compte dans les programmes d’enseignement et dans les programmes de recherche.
IV. CONCLUSION
Comme nous l’avons montré plus haut, les femmes ont les mêmes capacités intellectuelles que les hommes. Il est donc juste, équitable et conforme à l’éthique et au respect des droits de l’homme, de veiller à ce qu’elles aient accès, dans les mêmes conditions que les hommes, aux formations et aux carrières scientifiques et technologiques et soient étroitement associées, à tous les niveaux, aux procédures de prise de décision intéressant la science et la technologie. Cette participation des Ivoiriennes aux activités scientifiques permet d’augmenter le potentiel scientifique et technologique et de créer ainsi une masse critique dans les disciplines scientifiques qui revêtent une importance et un intérêt cruciaux pour le développement socio-économique du pays. En outre, il est possible d’exploiter avec profit les multiples rôles des femmes pour promouvoir la culture scientifique à tous les niveaux de la société.