Madagascar : un équilibre fragile
Madagascar, quatrième plus grande île du monde, connue pour sa biodiversité exceptionnelle, risque à brève échéance de s’illustrer comme une démonstration de la « tragédie des biens communs ». Entre les hommes et le patrimoine naturel, le bras de fer a commencé tandis que les ressources s’amenuisent et que l’île doit être sauvée d’un désastre écologique annoncé.
Depuis la formation de l’île de Madagascar il y a 60 millions d’années, ce territoire grand comme la France possède une faune et une flore unique au monde. Le lémurien en est l’animal emblématique.
Bien que l’Afrique abrite au total un nombre plus important d’espèces, Madagascar la dépasse en quantité d’espèces et de taxons endémiques. On y trouve ainsi sept des huit essences de baobab, contre une seule sur l’ensemble du continent africain. En outre, sur les 101 espèces terrestres natives présentes sur l’île, presque toutes sont endémiques. Madagascar est donc un point névralgique de la biodiversité, ce qui lui vaut de figurer parmi les six premiers au palmarès des 18 pays champions de la mégadiversité.
L’arrivée de l’homme il y a 1500 ans a provoqué la disparition progressive d’un cinquième des espèces et d’un tiers des genres identifiés de lémuriens. Sur sa liste rouge de 2008, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) recense 355 espèces d’animaux et 281 espèces de plantes qui sont menacées d’extinction à Madagascar, alors qu’il en reste des variétés inconnues. On découvre encore de nouvelles espèces, comme ces deux lémuriens souris trouvés dans la région de Makira, au nord-est de l’île.
Menaces tous azimuts
Les menaces qui pèsent sur la faune et la flore sont multiples. Si la disparition des habitats pour cause de déforestation constitue un danger majeur – pour le pygargue par exemple – les problèmes économiques n’en sont pas moins inquiétants. Il s’agit aussi bien de la pression exercée pour des raisons de survie alimentaire que de la surexploitation des ressources, notamment en matière de pêche. Entre 1980 et 2005, le volume des pêches a augmenté exponentiellement de 53 à 8500 tonnes. Le commerce d’animaux exotiques contribue également à la raréfaction d’espèces prisées. Ainsi, on ne compte plus, selon l’ONG britannique Durell, que 600 tortues à éperon. D’autres espèces encore sont victimes de superstitions culturelles. L’aye-aye, lémurien nocturne d’aspect curieux mais inoffensif, est régulièrement abattu parce qu’on le croît porteur de mauvais présage.
Enfin, des études mettent régulièrement en évidence les répercussions du changement climatique sur la démographie sauvage. Selon l’une d’elles (Biological Conservation, n°141, janvier 2008) consacrée au sifaka de Milne-Edwards, autre lémurien menacé, une baisse de moitié des effectifs sur trois générations est à craindre. Cette situation pourrait encore être aggravée par les bouleversements cycliques mondiaux, comme l’ENSO (El Niño-oscillation australe). Les chercheurs ont en effet observé chez les lémuriens une baisse de fécondité de 65 % lors des années où sévit le phénomène. Patricia Wright, qui mène depuis 20 ans des recherches similaires sur l’impact des changements climatiques, souligne les méfaits potentiels d’une modification du régime annuel des précipitations pour la survie des espèces et la fragilité induite par l’altération des écosystèmes sur l’île.
Une solution en devenir
Afin d’éviter ce que les scientifiques nomment « la sixième grande extinction », les Malgaches doivent trouver un juste équilibre entre croissance économique et préservation naturelle. La population estimée à 18 millions d’habitants – elle devrait doubler d’ici 2025 – se tourne vers son environnement pour y puiser subsistance et bénéfices.
Les rizières qui rongent la couverture forestière ont par exemple entamé l’habitat d’animaux comme l’oiseau-éléphant ou l’hippopotame pygmée, aujourd’hui disparus. « Si la déforestation continue à la même vitesse, dans 25 ans à Madagascar il n’y aura plus de forêt », affirme Jonah Ratsimbazafy, primatologue malgache qui collabore avec Durrell Wildlife Conservation Trust. Cependant, depuis 2003, l’année où le président Marc Ravalomanana a promis de tripler la superficie des zones protégées, ce processus néfaste commence à marquer le pas (Conservation International). De 0,8% par an dans les années 1990 la déforestation est passée à 0,1% aujourd’hui.
De nombreuses ONG comme Conservation International, le WWF, Durrell ou Mitsinjo redoublent d’efforts pour parer à la disparition de la vie sauvage en impliquant par exemple les communautés locales dans la protection des forêts. Durrell Wildlife Conservation Trust a même passé un accord avec les habitants, selon lequel ces derniers s’engagent à conserver la nature en échange de la construction des écoles et des infrastructures.
Si la préservation des ressources naturelles reste une priorité, beaucoup d’ONG s’associent aux populations locales pour qu’on se préoccupe aussi d’améliorer leurs conditions de vie. L’écotourisme est source d’emplois, et s’il n’est pas sans effets pour l’environnement, bien maîtrisé, il peut offrir des solutions économiques durables.
La question environnementale reste toutefois un sujet de discorde, dont ne peuvent s’abstraire les pouvoirs publics lorsqu’il faut décider du bon usage des ressources naturelles. Le parc national de Ranomafana créé en 1991 en est un exemple : chef d’œuvre d’aire protégée pour les défenseurs de la nature ou catastrophe économique pour les habitants. Seul l’écotourisme a désormais la main sur cette forêt pluviale, au grand dam des villageois qui ne peuvent plus utiliser les ressources du parc. En le parcourant, on s’émerveille de pouvoir enfin approcher l’insaisissable et très menacé lémur bambou doré dans son habitat naturel. Lorsqu’on en sort, on est affligé par la pauvreté de la population.
Pour préserver sa beauté culturelle et naturelle, Madagascar doit choisir un développement capable de concilier les besoins vitaux de la population et le respect de la vie sauvage. Face à l’enchantement que procurent les paysages et les sites naturels de l’île, on a de la peine à l’idée qu’ils puissent un jour disparaître à jamais. La tragédie malgache devrait inciter le monde à ne pas relâcher sa veille sur d’autres écosystèmes. Notre survie à tous en dépend.
Anisa Abid, journaliste américaine.
Source: http://portal.unesco.org
Le Courrier de l’UNESCO, #10 2008