Des oasis de science au Mali

Des oasis de science au Mali

Les dirigeants des pays du G 8 ont décidé hier à Gleneagles d’augmenter l’aide à l’Afrique (lire page 7). Au Mali, l’astrophysicien de la Nasa Cheick Modibo Diarra tente de faire émerger une recherche scientifique autour de pôles spécialisés dans l’énergie solaire, la lutte contre le paludisme ou l’amélioration des cultures.
Bamako : Vincent Gaullier
[09 juillet 2005]
Source : Le Figaro

Il est le scientifique malien le plus connu au monde. Difficile en effet d’échapper à la célébrité quand, après être né à Nioro du Sahel, une ville perdue à la frontière avec la Mauritanie, l’on devient navigateur interplanétaire au Jet Propulsion Laboratory de la Nasa. En 1997, il était l’un des «commandants de bord» du programme d’exploration martienne Pathfinder. Le nom de ce héros national : Cheick Modibo Diarra.

Depuis 2002, il est en congé sabbatique pour, entre autres projets, créer à Bamako un laboratoire de recherche de pointe sur le solaire : «La même source d’énergie qui faisait rouler mon petit robot, Sojourner, sur la planète rouge», lance-t-il dans un immense éclat de rire. Si les capteurs photovoltaïques de ces engins ont davantage recours à des matériaux comme le germanium, le gallium, l’astrophysicien malien, lui, mise tout sur le silicium, tiré de la silice dont regorge le Sahel.

Cheick Modibo Diarra est l’un de ces enfants prodigues, de ces «exilés scientifiques», comme il le dit lui-même, qui retournent au pays pour y faire vivre un espace de recherche. Et cela, malgré une situation économique et sociale catastrophique : le Mali est l’un des quinze pays les plus pauvres au monde, selon les Nations unies, et possède un analphabétisme supérieur à 80%. La situation globale de la recherche est à l’avenant (voir encadré).

Pourtant, ici et là brillent quelques «pôles d’excellence», des laboratoires de réputation internationale. Trois ou quatre tout au plus, mais qui font croire à la réussite du pari de Cheick Modibo Diarra.

Le plus bel exemple est le département d’épidémiologie des affections parasitaires (CHU de Bamako), dont Ogobara Dou mbo est le patron. A 49 ans, ce fils de paysan dogon est aujourd’hui l’un des plus grands spécialistes au monde sur le paludisme : des dizaines de publications à son palmarès et à celui de son laboratoire, une bonne partie de son temps passé à l’étranger dans des conférences et des séminaires. Son laboratoire devrait bientôt annoncer les résultats de vaccins antipaludéens, une recherche développée dans le cadre d’un programme commun avec les Américains des National Institutes of Health (NIH) (lire ci-dessous).

Le prix Nobel de médecine (1989) et ancien directeur du NIH, Harold Varmus, ne cesse, depuis dix ans maintenant, et sa visite à Bamako, de prendre en exemple le laboratoire d’Ogobara Doumbo : «Si l’on clonait ce laboratoire, on ferait exister une recherche en Afrique.» Difficile en effet, après avoir fait le «tour du propriétaire», situé sur les hauteurs de la capitale, de noter une différence avec les laboratoires de biologie des pays du Nord : centrifugeuses grandes comme des congélateurs, appareils d’analyse de l’ADN dernier cris, des dizaines de mètres de paillasse qui débordent d’expériences en cours, une salle d’informatique avec liaison Internet à haut débit, grâce à une connexion satellite…, rien ne manque. Pas même la cafétéria.

«Le secret de la réussite de notre laboratoire ? raconte Ogobara Doumbo, interdiction est faite à nos étudiants de ne pas revenir ici, après avoir fait leur thèse ou leurs années de postdoctorant à l’étranger.» Ce contrat moral, institué dans le département par son fondateur, le professeur français Philippe Ranque, trois générations de thésards maliens l’ont scrupuleusement respecté. Tout comme Ogobara Doumbo, en son temps : alors qu’il est médecin depuis cinq ans, il est touché par le virus de la recherche. Il décide alors de reprendre ses études. Soit huit années passées à l’université de Montpellier, pour y mener des maîtrises d’immunologie et de biostatistique épidémiologique, un DEA puis une thèse en parasitologie. Sans oublier un DEA d’anthropologie médicale à Aix-en-Provence.

Le département compte maintenant trente chercheurs. Une masse critique suffisante, aux yeux du scientifique dogon, pour assurer la pérennité de sa structure. Du coup, il ne voit pas d’un mauvais oeil que l’un des cadres de son équipe soit parti monter sa propre unité de biotechnologie, toujours à Bamako.

Tout le problème est la survie d’une unité de recherche après le départ du grand patron. Alhousseini Bretaudeau le sait bien, lui qui a mis vingt ans pour faire de son laboratoire d’agrophysiogénétique et de biotechnologie végétale une référence sur «l’amélioration des plantes. Ces plantes qui n’intéressent pas les multinationales du Nord : sorgho, mil, variétés subsahariennes de riz…». L’homme nous reçoit, à 60 km de la fournaise bamakoise, dans la relative fraîcheur qu’offre l’ombre des fromagers. Des arbres qui ont connu leurs premiers chercheurs ici, à l’Institut polytechnique rural de Katibougou, en 1895.

Alhousseini Bretaudeau a déjà quelques belles réussites à l’actif de son laboratoire : un sorgho qui ne «verse» pas, c’est-à-dire qui ne se couche pas lors de sa croissance. Avec, à la clé, des gains de productivité augmentés de 10, 12%. Autre exemple : des variétés, plus résistantes aux ravageurs, de karité, dont on fait du savon. Il compte aussi des échecs. Mais le plus douloureux d’entre eux est, pour ce quinquagénaire, de ne pas avoir réussi à constituer la fameuse masse critique de chercheurs comme son ami Ogobara Doumbo. La solution : former davantage de scientifiques, ouvrir de nouvelles unités, créer de nouveaux DEA, selon lui, «pour éviter la fuite des cerveaux, la vraie, celle que nous vivons, nous autres Africains, avec un tiers de nos chercheurs exilés. Pas celle que les Français croient vivre, qui s’apparente davantage à la migration naturelle des chercheurs à travers le monde.»

Parmi ces jeunes, qui voudraient ne pas avoir à «fuir» : Lassine «Papa» Traoré. La rencontre se déroule autour d’un thé à la menthe qui «cuit» sur l’un de ces petits fourneaux à charbon dont chaque Malien semble être propriétaire. Ce tout jeune ingénieur agronome veut devenir chercheur. Et donc avant, préparer un DEA puis une thèse, c’est-à-dire trouver un laboratoire d’accueil, digne de ce nom, et un financement – pas un troisième cycle voie de garage subventionné par une ONG. Cheick Modibo Diarra souhaiterait arrêter «la spirale des bailleurs de fonds, omni présents et trop interventionnistes». Aussi travaille-t-il actuellement à «sensibiliser» sa maison mère, la Nasa, afin de décrocher un budget de recherche pour son laboratoire, et non pas l’Unesco, dont il est pourtant ambassadeur de bonne volonté depuis 1998. Idem pour Ogobara Doumbo ou Alhousseini Bretaudeau, dont les financements viennent de l’Etat, un peu, et des organisations internationales, beaucoup. Notamment l’Union européenne ou l’OMS.

De l’avis d’Oumar Maïga, ancien directeur adjoint de la recherche : «L’apathie tend à disparaître au Mali, le pessimisme récurrent, que j’ai longtemps connu, est en train de se casser.» Comme on le voit, dans des pays voisins, la chimie-physique au Nigeria, l’embryologie au Ghana, ou encore les mathématiques au Cameroun, au Mali, des secteurs de pointe comme l’énergie solaire ou encore l’amélioration des plantes pourraient faire demain la réputation internationale du pays, à l’image de la recherche sur le paludisme déjà couronnée.

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