Bac + 8 Et après?
par Marcelo Wesfreid
Source : http://www.lexpress.fr
Peu de débouchés, un diplôme mal reconnu par les entreprises, des salaires médiocres: la situation des jeunes docteurs n’a jamais été si critique
Matthieu (1) pensait avoir mangé son pain noir pendant son temps de thèse. Quatre années d’un travail acharné, en biologie moléculaire, à étudier comment les bactéries franchissent la paroi cellulaire pour s’attaquer aux autres cellules. Quatre années au cours desquelles ce trentenaire a passé ses week-ends, pipettes à la main, à l’Institut Pasteur. Mais ce n’était rien comparé au chemin de croix qui l’attendait. Après sa soutenance, en 2002, il se présente au concours de recrutement du CNRS. Sans succès. Puis il postule à l’Université. «Rien, pas même une réponse.» L’administration, débordée, croule sous les candidatures. Il entame alors un «post-doc», une de ces périodes de perfectionnement en vogue dans les sciences de la vie, la physique, les mathématiques. Un CDD de dix mois à l’Ecole normale supérieure, payé 2 000 euros brut par mois, et renouvelé deux fois. «J’ai travaillé comme petite main pendant deux ans.» A bac + 10, Matthieu pointe ensuite aux Assedic, et songe à tout plaquer – «Pourquoi ne pas devenir psychologue du travail?» Quand survient une bonne nouvelle: un poste d’un an, renouvelable une fois, dans une fac parisienne. «Après, c’est à nouveau l’inconnu…»
«Les DRH trouvent les doctorats peu lisibles»
Michel Schmitt
Ecole des mines, Paris
Malgré leur niveau élevé d’expertise, les jeunes docteurs broient du noir. Leur situation professionnelle ne cesse de s’assombrir. La dernière enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) le confirme. Trois ans après l’obtention du titre, 11% des docteurs sont au chômage – un taux record, en hausse de quatre points par rapport à la fin de la décennie précédente! «Avoir un diplôme sanctionnant au moins huit années passées dans l’enseignement supérieur est donc loin d’être une protection systématique contre le chômage», souligne l’étude. En plus, un quart des jeunes docteurs sont employés en contrat à durée déterminée. La moitié des chercheurs, ayant soutenu leur thèse en 2001, touche moins de 2 000 euros net par mois.
Travailler tout en potassant
Pourquoi une telle dégradation? D’abord, les débouchés dans le public restent limités. Chaque année, 10 000 docteurs fraîchement diplômés et une kyrielle de post-doctorants jouent des coudes pour se partager 3 000 postes, dont beaucoup sont des emplois de contractuel. Quant au privé, il rechigne, en période de grisaille économique, à embaucher ces débutants hyperqualifiés et leur préfère les bac + 5 des grandes écoles. «Les DRH savent ce que vaut un centralien ou un “mineur”, explique Michel Schmitt, directeur de la recherche à l’Ecole des mines de Paris. Ils sont à l’aise avec ce système bien calibré. A l’inverse, ils trouvent les doctorats peu lisibles.» Les conventions collectives de branche (métallurgie, chimie…) les placent d’ailleurs au même niveau que la licence ou le DESS. D’où cette exception française: alors que les titres de doctorat ouvrent grandes les portes des entreprises à l’étranger, les services de R & D de l’Hexagone ne comportent que 16% de bac + 8.
Seuls les thésards sous statut Cifre (convention industrielle de formation par la recherche) tirent leur épingle du jeu. Cette formule permet à un étudiant de travailler en partie dans l’entreprise, tout en potassant le reste du temps sur sa thèse. 1 100 candidats bénéficient de cette formule, largement subventionnée par l’Etat. Mais les attentes à court terme des employeurs ne riment pas toujours avec les contraintes de recherche. Fabien Séraidarian, 32 ans, en sait quelque chose. Alors qu’il allait soutenir sa thèse en gestion, en juillet 2004, il recevait des courriers furibards de son patron – un cabinet-conseil – qui pointait ses absences.
Dans cette course d’obstacles, mieux vaut être passionné pour tenir la longueur. «La recherche est précaire, mais l’aventure en vaut la peine, assure Vincent Boisbourdain, 29 ans, qui met un point final cet automne à sa thèse en physique atomique. «On se frotte à des questions fondamentales, comme “Qu’est ce la matière? ”, on essaie d’améliorer les théories existantes. Apporter sa petite pierre à l’édifice n’a pas de prix.» Mais toutes les vocations ne résistent pas aussi bien.
Les abandons en cours de thèse sont légion, notamment en sciences humaines et sociales, où les bourses d’études et les allocations de recherche sont rares. Ces thésards forment le gros des bataillons d’inscrits – 56% des 70 000 doctorants français – mais ils représentent moins de la moitié des lauréats. Pas facile, pour certains, de jongler entre un gagne-pain et les études.
Financement et jobs alimentaires
Séverine Carrausse peut en témoigner. A 29 ans, cette férue de sociologie prépare une étude comparative sur l’image de l’étudiant en France, au Portugal et en Corée. Faute de financement, elle est retournée vivre chez ses parents, à Toulouse. Elle se lève aux aurores pour préparer ses enquêtes de terrain et part travailler vers 9 heures. Depuis cinq ans, elle enchaîne les jobs alimentaires: tutrice de philo à la fac, baby-sitter, auxiliaire de vie pour handicapés. Aujourd’hui, elle donne des cours à la Croix-Rouge pour les élèves préparant le concours d’assistante sociale. «A quoi bon tant d’efforts?», lâche-t-elle les jours de vague à l’âme. Son avenir? «En France, c’est bouché. J’irai peut-être enseigner la sociologie française à l’étranger.»
Tenter sa chance sous d’autres horizons: la solution est séduisante. Pour travailler, mais aussi pour se perfectionner, en attendant une embellie. En biologie, chimie ou physique, les départs sont fréquents. «30% des docteurs font des “post-doc”, la plupart du temps hors de nos frontières, affirme Yves Fau, chef du bureau des allocations de recherche et du post-doctorat au ministère de l’Education et de la Recherche. C’est une expérience enrichissante. Elle permet de découvrir de nouvelles thématiques. Mais il ne faut pas se couper de son laboratoire d’origine, si l’on veut revenir.» Car l’expatriation est risquée. Selon une étude de l’ambassade de France à Washington, la moitié des docteurs en biologie sont toujours en CDD au bout de six ans de post-doc en Amérique du Nord!
Heureusement, l’avenir pourrait s’éclaircir. Entre 2006 et 2012, la moitié des enseignants-chercheurs auront rendu leur tablier, créant un appel d’air pour la relève. L’harmonisation des diplômes européens, via le système commun du LMD, devrait également aider les docteurs à mieux valoriser leur titre. Et le gouvernement promet des ouvertures supplémentaires de postes pour calmer l’inquiétude des chercheurs. Une loi de programmation et d’orientation sur la recherche, attendue depuis plusieurs mois, devrait être présentée au Parlement avant la fin de l’année. Un texte qui sera examiné de très près par les thésards.
Taux de chômage par discipline et pourcentage d’emplois à durée limitée, trois ans après le doctorat (entre parenthèses) Informatique, sciences de l’ingénieur, mécanique, électronique 6% (13%)
(1) Le prénom a été modifié.
Taux de chômage par discipline
Et pourcentage d’emplois à durée limitée, trois ans après le doctorat (entre parenthèses)
Informatique, sciences de l’ingénieur, mécanique, électronique : 6%
Maths, physique : 7% (21%)
Sciences de la vie et de la Terre : 11% (32%)
Droit, sciences économiques, gestion : 11% (24%)
Chimie : 14% (30%)
Lettres et sciences humaines : 17% (22%)
Source: enquête Céreq, 2005.