18 ans d’Erasmus : les moins et les plus d’une Europe des campus par Raphaël Mahfoudh
Source : http://www.fenetreeurope.com
Vendredi 11 Novembre 2005
Erasmus a 18 ans. Un âge où, à l’instar de l’étudiant, un cycle s’achève et un autre démarre. Le moment aussi où l’on fait le point et l’on se demande ce que l’on fera de l’expérience acquise pour préparer au mieux l’avenir. Dans le cas d’Erasmus, nul doute que le parcours est d’ores et déjà très brillant. Il représente une étape fondamentale dans la construction d’une identité européenne. Malgré tout, on pourrait lui reprocher un certain manque de soutien financier. A ce sujet, les discussions actuelles sur le budget 2007-2013 sont cruciales. Nous sommes également à un moment charnière vis-à-vis des deux nouvelles initiatives censées apporter un souffle transcontinental à la politique éducative de l’Union européenne : Erasmus Mundus et Nyerere-Erasmus
Il est peu fréquent qu’un programme de l’Union européenne soit à l’origine d’un film à grand succès, mais avec « L’auberge espagnole », le célèbre film de Cédric Klapisch, c’est bien cela qui s’est produit. Réalisé en 2002, ce film met en scène un groupe de jeunes étudiants de différentes nationalités qui partagent un appartement à Barcelone, au cours d’une année passée dans une université étrangère. Ce que les étudiants européens appellent… « l’année Erasmus ». Mais qu’est-ce au juste qu’une année Erasmus ? Et d’abord, qui est ce Erasmus ?
Aux origines du programme
Didier Erasme (v.1469-1536) ou, en latin, Desiderius Erasmus, était un humaniste hollandais, féru de voyages. Après avoir été ordonné prêtre, il quitte son pays et poursuit ses études au collège Montaigu de Paris. Ensuite, il apprend la théologie en Angleterre, avant de partir trois ans en Italie. Il y étudie le grec, qu’il enseigne plus tard à Cambridge. En 1521, il s’établit à Bâle, où il passe les dernières années de sa vie.
Grâce à sa connaissance des différentes langues et cultures d’Europe, Erasme construit une pensée qui rejette tout dogmatisme. A travers son œuvre, on découvre au contraire une philosophie faite d’ouverture et de tolérance, justifiant pleinement la décision des dirigeants européens de le choisir, quatre siècles plus tard, pour incarner le programme européen d’échanges, dit programme Erasmus.
Contexte et motivation
A la fin des années 1980, soit le moment où se met en place le programme Erasmus, l’intégration européenne est déjà un fait économique indéniable. Communauté européenne du charbon et de l’acier, Euratom, union douanière, si en Europe l’industrie et le commerce ne connaissent plus de frontières, celles des mentalités de ses peuples restent encore très difficiles à franchir.
De plus en plus conscients qu’une union économique et institutionnelle est insuffisante à forger une identité européenne, les hommes politiques commencent à réfléchir à la manière dont la population pourrait s’approprier ce processus d’intégration. Ainsi, en 1973, ils décident – enfin – d’ajouter la culture à la liste des préoccupations communautaires.
Or, qu’y a-t-il de mieux que l’école pour faire évoluer les esprits et développer un sentiment d’appartenance et d’adhésion à l’Europe ? Convaincus que l’éducation permettra le plus efficacement de rapprocher les différentes cultures nationales via l’apprentissage de la langue, l’histoire, la manière de vivre des autres peuples de l’Union européenne, les politiques créent en 1987 le programme Erasmus.
Fiche d’identité
Erasmus relève de la Commission européenne. Elle est l’action du programme Socrates II consacrée à l’enseignement supérieur. Erasmus vise à améliorer la qualité et à renforcer la dimension européenne de l’enseignement supérieur en encourageant la coopération transnationale entre les universités, en stimulant la mobilité européenne et en améliorant la transparence et la reconnaissance académique des études et des qualifications dans l’ensemble de l’Union.
Erasmus se compose de nombreuses activités: échanges d’étudiants et d’enseignants d’abord et avant tout, développement conjoint de programmes d’études, programmes intensifs internationaux, réseaux thématiques entre départements et facultés de toute l’Europe, cours de langues (CIEL), système européen de transfert d’unités de cours capitalisables (ECTS).
L’action ERASMUS s’adresse aux étudiants et enseignants des 25 États membres de l’Union européenne, des trois pays de l’Espace économique européen (Islande, Liechtenstein et Norvège) et des trois pays candidats (Bulgarie, Roumanie et Turquie). À l’heure actuelle, 2 199 établissements d’enseignement supérieur de 31 pays participent à Erasmus et depuis sa création en 1987, 1,2 million d’étudiants ont accompli une période d’études à l’étranger allant de trois mois à un an.
S’il fallait attribuer une médaille d’or aux pays les plus impliqués dans ce programme d’échange, la France gagnerait dans la catégorie « exportation », puisque 19 000 étudiants et professeurs français sont partis en Erasmus en 2003. L’Espagne l’emporterait au nombre des « importations » et aux dires de nombreux étudiants partis à Barcelone ou Pampelune, la fiesta et la sangria ne sont pas étrangères à leur choix.
Plus largement, les atouts climatiques et linguistiques de l’Espagne lui permettent de demeurer la destination préférée des étudiants européens juste devant son voisin pyrénéen. Enfin, il est à noter que tous les pays connaissent une augmentation des demandes, à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et des Pays-Bas.
Faiblesses et réformes
Pour son fonctionnement, Erasmus dispose d’un budget de 950 millions d’euros pour la période 2000-2006. Ce budget comporte une aide mensuelle de 150 euros par étudiant Erasmus. Le problème, explique la députée chrétienne démocrate Doris Pack – dans un rapport présenté devant le Parlement européen le mois dernier – c’est que cette somme est demeurée inchangée depuis 1993 ; elle n’a donc pu suivre l’augmentation du coût de la vie et du logement en particulier.
Face à cette situation où seuls les plus riches ont les moyens de « partir en Erasmus » et que Mme Pack juge « particulièrement préoccupante », le Parlement approuve en première lecture et à une écrasante majorité le doublement de cette somme d’ici à 2013. Alors que la Commission européenne recommandait une réévaluation à 200 euros en 2007 et 250 euros en 2013, le Parlement demande que l’on passe à 210 euros en 2007 et 300 euros en 2013.
Si cette réforme devait effectivement être intégrée au budget européen pour la période 2007-2013, Mme Pack estime que le nombre d’étudiants Erasmus devrait lui aussi avoir doublé dans six ans. Cet effort supplémentaire indique en tout cas que la volonté d’un programme d’échanges plus accessible et ambitieux existe dans les institutions européennes.
Erasmus fait des petits
Témoin de l’ambition européenne, la création de la version mondialisée d’Erasmus. Le 5 décembre 2003, le Parlement et le Conseil européens adoptent le programme Erasmus Mundus. Opérationnel depuis la rentrée universitaire 2004-2005, ce nouveau programme a pour objectif de faire valoir dans le monde entier l’image de l’Union européenne en tant que centre d’excellence dans le domaine de l’enseignement.
Concrètement, une centaine de masters, jugés de très grande qualité, ont reçu le label Erasmus Mundus. 5000 étudiants très qualifiés venant de pays extra européens sont alors invités à suivre un master Erasmus Mundus via une bourse doté d’un montant très encourageant. Réciproquement, 4000 Européens inscrits dans ces mêmes masters reçoivent une bourse pour partir étudier dans un pays tiers. Ce chiffre légèrement moindre s’explique par le but premier que se fixe la Commission européenne, à savoir d’inciter les cerveaux étrangers à s’installer en Europe et non d’encourager les cerveaux européens à travailler à l’étranger.
Toujours pour éviter la fuite des cerveaux, mais cette fois-ci en faveur de l’Afrique, l’Union européenne va lancer un programme intitulé Nyerere-Erasmus, permettant à des étudiants africains de parfaire leur formation en Europe. Mais car cette initiative entre dans le cadre de la nouvelle stratégie pour l’Afrique et son développement, Nyerere-Eramus obligera l’étudiant africain bénéficiaire, à retourner en Afrique à la fin de ses études.
Dans le même esprit, l’Union européenne proposera d’aider les diplômés européens d’origine africaine à retourner en Afrique pour mettre leur expertise au service de leurs pays d’origine.
Le programme de formation vise donc à permettre aux pays africains d’absorber les avancées technologiques pour disposer des standards de qualité et de pénétrer ainsi les marchés européens.
A un moment où l’Union se pose des questions sur son avenir et la possibilité d’une intégration plus poussée, le succès d’Erasmus donne une indication positive quant à la capacité de l’Europe à rebondir après des échecs. Le programme d’échanges européen nous enseigne surtout que l’Europe n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle donne la possibilité à ses citoyens de participer activement à son élaboration, plutôt que de tenter de lui imposer des changements « d’en haut ».