Liban : des formations compétitives mais incomplètes
Source : http://www.boivigny.com
20/06/2006
David Allais
Pays arabe baigné de culture méditerranéenne, tourné vers l’Occident, le Liban occupe une position idéale pour faire le lien entre différentes cultures. Le régime, à défaut d’être totalement libre, a laissé s’épanouir les débats intellectuels. Cet environnement a permis le développement d’un enseignement supérieur de qualité qui peine cependant à retenir les meilleurs éléments au pays.
Avec près de 25 établissements d’enseignement supérieur et plus de 120 000 étudiants pour quelque quatre millions d’habitants, le Liban n’a, en apparence, rien à envier aux pays les mieux dotés en ce domaine. Ces chiffres masquent néanmoins des situations inégales. Le système éducatif libanais s’est développé de manière très libérale et, aujourd’hui encore, peu de règles régissent la cohérence d’ensemble de l’enseignement supérieur. Dans leur majorité, les établissements libanais sont de petites structures avec de très faibles effectifs. Et la valeur des diplômes qu’ils délivrent est très aléatoire.
Il existe cependant des universités au savoir-faire et à l’expérience reconnue, et parmi celles-ci, les trois principaux établissements du pays : l’American University of Beirut (AUB), l’Université Saint Joseph (USJ) et l’Université Libanaise (UL), qui offrent toutes trois des cours couvrant la plupart des champs universitaires. Elles sont néanmoins très différentes. Les deux premières, créées dans la seconde moitié du XIXe siècle, sont des universités privées. L’organisation de l’AUB (près de 6 000 étudiants) est calquée sur le système américain et les cours sont dispensés en anglais. Une année d’études y coûte entre 8 700 et 21 000 dollars (1) (6 911 et 16 681 euros). De son côté, l’USJ (environ 7 000 étudiants) a pour modèle le système français – l’enseignement s’y fait dans la langue de Molière – et a choisi de passer au LMD. Le coût d’une année varie entre 3 500 et 6 000 dollars (2 780 et 4 764 euros). Ces deux établissements jouissent d’une très bonne réputation, du fait notamment de leur expérience et des moyens matériels et financiers dont ils disposent.
Quant à l’UL, créée au début des années 60, elle est la seule université publique du Liban. Les cours sont majoritairement dispensés en arabe et ses facultés s’adaptent progressivement au LMD, en écho aux évolutions mises en place par les universités européennes. L’UL regroupe à elle seule plus de la moitié des étudiants du pays (71 000 en 2005). Les études y sont gratuites jusqu’à la licence, et coûtent entre 500 et 1 000 dollars l’année au-delà (397 et 794 euros). La période de la guerre a profondément marqué l’institution : départ des meilleurs enseignants vers l’étranger, destructions de locaux, subdivision en cinq sections géographiques pour permettre à tous de continuer à avoir accès à l’enseignement supérieur. Les sections 1 et 2, Beyrouth Ouest et Est, sont les seules à offrir des diplômes de deuxième et troisième cycles. Elles font souvent doublons, mais si on parle régulièrement d’unifier les deux sections, le projet semble encore très loin de voir le jour. Car l’université publique est minée par les ingérences politiques : répartition confessionnelle des chaires d’enseignement, bataille pour le contrôle du budget. Pourtant, l’UL a des qualités à faire valoir. Certaines de ses filières, où l’on entre par concours, en médecine, en droit, en ingénierie, sont les plus réputées du pays.
L’étranger comme troisième cycle
Les trois établissements, en dépit de leurs différences, souffrent des mêmes défauts. Les étudiants n’y suivent pas des cursus toujours en adéquation avec les besoins du marché du travail local. En 2001, 65% des étudiants s’orientaient ainsi vers des professions intellectuelles ou scientifiques (20% des possibilités d’emplois) contre 9% vers les services et le commerce (59% des emplois). « Il y a un surplus de médecins, d’ingénieurs, d’architectes, d’avocats, des métiers assez BCBG que les étudiants sont poussés à choisir par leurs parents et aussi du fait d’un manque d’information », décrit Tania Mansour, ancienne étudiante de l’AUB.
Par ailleurs, plus l’on avance dans la scolarité, plus l’offre de formation se raréfie. Dès le deuxième cycle, beaucoup de programmes sont construits avec des partenaires étrangers. Ainsi le Centre culturel français de Beyrouth soutient-il plusieurs masters, comme le master de journalisme de l’UL. Au-delà, c’est quasiment le désert : bien que présente à l’AUB, à l’USJ et à l’UL, l’offre doctorale reste un chantier en développement. Ajoutée à la faible valorisation des diplômes par les employeurs, cette situation est une des causes principales du départ massif des étudiants libanais à l’étranger, une fois leur licence en poche. En 2005, 25% des demandes de visas étudiants auprès de l’ambassade de France concernaient un master, 45% un doctorat.
« La moitié de ma classe de droit et la moitié de celle de sciences politiques sont partis à l’étranger », explique Nadim Hasbani, actuellement en poste à Bruxelles. Si l’obtention d’une place dans une université ou une école d’un autre pays n’est pas acquise par avance, les étudiants libanais ont quelques beaux atouts à mettre en avant. Leurs études de premier cycle sont d’un bon niveau, ils sont souvent bilingues, voire trilingues (français, anglais, arabe), ont en général une bonne connaissance de la culture occidentale et leurs universités entretiennent des liens avec un grand nombre d’établissements à l’étranger. L’UL, par exemple, possède des accords bilatéraux avec près de 55 établissements d’enseignement supérieur en France.
Une fois le précieux sésame vers l’Occident obtenu, bon nombre de ces étudiants ne feront pas carrière au pays, mais sur le lieu de leurs études où leur profil multiculturel est très recherché. Et parmi ceux qui auront achevé leur cursus au Liban, beaucoup n’hésiteront pas à faire valoir leurs compétences dans les pays du Golfe qui, en dépit de conditions de vie souvent austères, offrent des salaires très attrayants. A l’heure où le pays du Cèdre connaît de multiples changements politiques et où la population clame sa soif de réformes, les universités, l’Etat et les employeurs sauront-ils s’entendre et réformer le système pour retenir leurs meilleurs éléments dans les années à venir ?
NB :
(1) il s’agit de dollars américains, qui sont utilisés en parallèle à la livre libanaise.