Nouréini Tidjani Serpos, "Le livre africain est malade."

Cameroun: Nouréini Tidjani Serpos, "Le livre africain est malade."

Le sous-directeur général du Département Afrique à l’Unesco revient sur la situation du livre en Afrique et propose des pistes pour juguler la crise.

Monsieur le Directeur Général, quelle signification profonde donnez-vous à l’Unesco au salon du livre à l’ouverture duquel vous venez de présider ?

Cette deuxième édition du salon du livre africain est très importante dans la mesure où il s’agit d’abord d’art, d’esthétique, de création. L’Afrique dont on parle souvent c’est l’Afrique du sida, des inondations, des guerres civiles. C’est toujours l’Afrique repoussoir. Alors qu’il y a une Afrique qui créé, qui innove. Cette Afrique là, que ce soit au niveau des sculpteurs, des artisans, de l’écrivain en tant que créateur, cette Afrique là très souvent n’intéresse pas les grands médias. Et donc la première signification pour nous de ce salon c’est de dire qu’il y a une autre Afrique.

Le deuxième message c’est que le thème de cette année est les mille et une littérature. C’est-à-dire la diversité culturelle, de la création du point de vue du medium utilisé pour créer. Un salon comme celui auquel nous venons d’assister aide à l’intégration africaine. Parce ce qu’il est le lieu de rencontre des créateurs.

Le livre est tout une chaîne : de l’écrivain au lecteur en passant par l’éditeur. Mais on constate que l’Afrique est presque exclue de cette chaîne. Est-ce votre avis ?

Nous avons en Afrique des petites maisons d’édition qui se battent pour trouver de bons manuscrits et de bons auteurs. Le marché ne fonctionne pas au rythme qu’il faut pour que la production puisse être écoulée. Le public qui peut acheter ces livres n’a pas de pouvoir d’achat. De l’autre coté, vous avez de grosses maisons d’édition qui contrôle 80% de tout ce qui se consomme en Afrique francophone. C’est une nécessité pour nos Etats d’avoir une politique du livre et d’aider l’édition africaine. Les éditeurs sont des agents culturels qui ont besoin d’être appuyé.

Au niveau de l’acheteur du livre, il y a ce problème de moyen mais il y a aussi certainement un manque de volonté. Au niveau de l’Unesco, de quels moyens disposez-vous pour protéger les petits éditeurs et demander aux Etats de mettre sur pied une véritable politique du livre. Avez-vous des moyens pour mener à bien ces actions là ?

Tous les Etats qui ont demandé l’appui de l’Unesco l’ont eu. Nous mettons à leur disposition des experts, des consultants qui étudient et qui font des propositions. Ensuite, il y a le droit d’auteur. Une fois que les livres sont publiés, il faut protéger l’auteur. Il faut qu’il puisse avoir ses 10% prévus par le contrat. Nous nous assurons que dans tous nos Etats, il y a des bureaux de protection des droits d’auteur.

Le véritable problème c’est l’école. C’est là que vous donnez le goût de la lecture aux jeunes. Il faut que ce soit une école de qualité. Dans beaucoup de pays aujourd’hui nous avons des maîtres qui ne sont as formés, qui ne lisent pas eux-mêmes des manuels. Comment faire pour que les maîtres aiment les livres et le fassent découvrir aux enfants. L’Unesco aide dans ce processus de formation des maîtres, des documentalistes et des bibliothécaires.

Il reste que le livre est cher quand il arrive en Afrique. Concrètement, que faites-vous au niveau de l’Unesco pour subventionner les petits éditeurs afin que le livre arrive en Afrique à un prix abordable compte tenu du pouvoir d’achat sur le continent ?

Notre stratégie n’est pas le livre qui arrive en Afrique mais comment faire pour que les livres soient produits en Afrique. Ce faisant, nous annulons le coût de transport et de dédouanement. Deuxièmement, notre stratégie c’est de dire aujourd’hui qu’on a un programme scolaire de la Cdéao, un programme scolaire de la Cemac au lieu d’avoir un programme par pays. A partir de ce moment, les livres à mettre au programme ne seront pas chers parce qu’ils auront une large diffusion.

Puisqu’il y a déjà cette prise de conscience, qu’est ce qui se pose aujourd’hui comme entrave à cette réappropriation de la production et de la diffusion du livre par l’Afrique ?

Il y a eu les réunions des ministres de l’éducation de la Cdéao, de la Cemac et de la Sadec qui ont réfléchi sur la question. Mais le passage de la décision de l’acte. C’est là où se situe maintenant le problème. Il ne faut pas se voiler la face. C’est des questions de gros sous. Si vous mettez au programme des livres d’une grosse maison d’édition qui est en dehors de l’Afrique, c’est de l’argent que ces maisons là gagnent. Le petit éditeur de la place n’a pas les moyens de faire le jeu des grandes maisons. Il s’agit pour nous de savoir si nous sommes prêts à aider les entreprises qui sont les nôtres ? Ils se battent sur le terrain à mettre au programme des livres qu’ils produisent.

Que peut faire l’Unesco sur ce terrain de la bataille de la mise des livres au programme ?

Notre domaine c’est la culture, la science et la communication. Nous n’avançons que lorsque les Etats membres nous présentent leurs priorités. Et sur la base de ces priorités, le Directeur Général donne des instructions pour qu’on étudie le problème que l’Etat membre a posé et on lui propose des solutions. Mais l’Unesco ne peut pas se substituer aux Etats membres. Même quand nous n’avons pas de moyens, il est de notre devoir d’aller vers les sources de mobilisation de fonds extrabudgétaires pour aider nos Etats membres.

En tant que responsable du secteur Afrique, si on vous demandait de prescrire une thérapie pour le secteur du livre en Afrique. Que diriez-vous en quelques mots ?

Si aujourd’hui, vous avez une maison d’édition du Lesotho, du Botswana, du Bénin ou du Togo, le marché n’existe pas. Pour que l’investissement de l’éditeur soit rentable, il faut calculer en terme de marché large. La solution telle que nous l’entrevoyons, c’est la construction rapide de cette intégration sous régionale et de l’entente de tous les Etats pour mettre ensemble le programme scolaire. A l’époque coloniale, ce sont les mêmes livres qui étaient au programme de l’Afrique équatoriale dite française à l’Afrique occidentale dite française. C’était le même Mamadou et Bineta.

Du coup, les manuels se vendant à des milliers d’exemplaires, le coût baisse obligatoirement. Alors, pourquoi continuons-nous à acheter les livres à l’extérieur en faisant sortir nos devises. Il y a là une prise de conscience qui doit se faire.

On constate aussi que les livres produits en Afrique ou à destination de l’Afrique s’éloignent de plus en plus de l’identité africaine. A quoi cela est-il dû ?

Aujourd’hui, les grandes maisons d’édition font des sondages pour avoir les tendances du marché. Et en fonction de cela, elles orientent l’écriture des auteurs en vue de satisfaire cette demande du marché. Et ça c’est très grave parce que le formatage ne se fait pas en fonction de l’esthétique négro africaine, des problèmes tels que ressentis par l’auteur mais sur la base de ce que le marché veut et qui est absolument provisoire parce que d’ici un an, les goûts ayant changé, l’éditeur obligera l’auteur africain à écrire dans un autre sens. Ça devient le formatage. Ce n’est plus l’inspiration créatrice.

Le contenu des manuels scolaires est nécessairement idéologique notamment quand il s’agit de l’histoire. Celui qui écrit le manuel donne une certaine orientation. Vous ne pouvez pas demander à ceux qui viennent de l’extérieur et qui écrivent sur l’Afrique de se suicider. Quelque soit leur objectivité, le regard est toujours orienté.

La solution c’est qu’il faut des livres écrits par des Africains et pour des Africains. Cela ne veut pas dire qu’un regard critique ne doit pas être posé sur notre réalité.

On dit que l’Africain ne lit pas. Et que, lorsqu’on veut cacher quelque chose aux Africains, il faut le mettre dans un livre. Comment changer cette donne ?

Ce n’est pas vrai que l’Africain ne lit pas. Il lit. Dans un premier temps, il est venu de la tradition orale qui a ses spécificités. Le passage de la tradition orale à l’écriture est d’autant plus difficile qu’on passe d’une langue nationale à celle de l’ancien colonisateur. Là déjà, il y a un sérieux problème. L’union africaine recommande de plus en plus l’utilisation des langues africaines dans l’écriture. Si c’est le cas, c’est plus facile pour moi de faire le saut de ma langue à la langue française ou anglaise. Je ne serai jamais le natif de ces langues là. C’est là où il y a véritablement un problème.

L’intellectuel africain dit-on est aliéné. Comment, selon vous, peut-il se libérer mentalement pour voir sa réalité à travers sa propre culture comme les Chinois, les Japonais ou les Indiens. Comment amener l’Afrique à s’affirmer à travers sa propre culture ?

Le problème de l’Afrique, c’est que nous avons, à cause de l’école coloniale, subi des siècles et des siècles de lavage de cerveau. Quelque part, nous avons un peu honte de nous même. Nous n’avons pas confiance en nos cultures, en nos valeurs culturelles. Même comme nous sommes là à nous agiter, au plus profond de nous même, nous n’avons pas confiance.

Quand vous allez chez les élites africaines, jetez un regard discret dans leur salon. Ils ont peur d’avoir des masques et des sculptures africaines chez eux. On leur a mis dans la tête que c’est du vaudou, que c’est bizarre, que c’est de la magie. Ils vont acheter des masques grecques ou de Londres. Ce qui se passe au niveau des masques et des sculptures se passe également au niveau du livre. L’Africain ne veut pas des livres qui vont encore l’obliger à réfléchir sur sa condition. Il veut s’évader.

Source:
Le Quotidien Mutations
INTERVIEW
22 février 2007
Propos recueillis par Etienne de Tayo, à Paris

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