Education islamique : Travailler à intégrer les écoles franco-arabes dans le système éducatif national
Tahirou Koussé
Au Burkina, le travail des écoles franco-arabes est peu médiatisé. Pourtant, elles existent et progressent en nombre, essayant avec des moyens modestes de s’insérer dans le système éducatif national.
Au cours d’un atelier national de formation des enseignants arabophones, tenu du 9 au 14 juillet dernier à Ouagadougou, l’ISESCO, le pendant de la représentation de l’UNESCO au Burkina, ne pouvait pas manquer l’occasion de montrer l’importance des écoles islamiques et leur nécessaire implication pour le développement. C’est avec M. Tahirou Koussé, qui travaille pour l’ISESCO depuis une quinzaine d’années que Sidwaya choisit de s’entretenir sur le sujet.
Sidwaya (S) : Tahirou Koussé, vous êtes le chef de la division ISESCO au Burkina depuis plus de 15 ans, et professeur d’arabe de profession. Depuis quand travaillez-vous avec cette institution ?
Tahirou Koussé (T.K.) : Depuis les 15 ans que je suis responsable de l’enseignement arabe au ministère des Enseignements secondaire supérieur et de la Recherche scientifique, mes collaborateurs et moi, nous nous attelons, non sans grand peine, à intégrer deux systèmes d’enseignement aux programmes différents, mais qui visent les mêmes objectifs, à savoir le développement individuel des personnes formées et celui de la nation. Je participe à des formations de l’ISESCO, aussi bien au niveau national qu’à l’extérieur pour atteindre les objectifs recherchés.
S. : Récemment, vous avez tenu à Ouagadougou un atelier national de formation des enseignants des écoles franco-arabes, précisément du 9 au 14 juillet 2007. En quoi, a consisté cette formation ?
T.K. : La formation était pédagogique à l’intention des enseignants qui n’ont jamais bénéficié d’une formation initiale de base. Elle a consisté à les initier sur la notion des programmes scolaires, la préparation des cours, avec à l’appui des formations théoriques de base, suivies d’ateliers pratiques.
S. : L’ISESCO a organisé cet atelier pour accompagner le Burkina dans sa politique de promotion de l’éducation pour le développement. Peut-on connaître les cycles d’enseignement mis à la disposition des écoles islamiques et quels sont les diplômes que l’on délivre à la fin de chaque cycle ?
T.K. : Les diplômes sont les mêmes que l’on délivre au niveau du système d’enseignement national. Au primaire, jusqu’au niveau du CM2 (cours moyen 2e année), on prépare les élèves pour le Certificat d’études primaires (CEP). De la classe de 6e à la terminale, au niveau secondaire, on prépare le baccalauréat, mais seulement dans une seule langue, l’arabe, sans aucune différence avec le système de l’enseignement au plan national.
S. : Parmi les objectifs que s’est fixés l’ISESCO, il y a le rendement externe de l’éducation. Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?
T.K. : Le rendement externe veut dire qu’après la formation, l’élève arabophone peut être utile à son pays et à lui-même, parce qu’il a suivi un enseignement censé lui faire comprendre et apprendre les grands axes de développement pour son environnement. C’est pourquoi, nous sommes en train depuis une dizaine d’années, d’intégrer les franco-arabes dans le système éducatif national, avec les objectifs pour le développement qu’ils se fixent.
S. : Comment sont recrutés les enseignants des écoles franco-arabes. Sur quels critères et à partir de quel niveau, peut-on enseigner dans ces écoles ?
T.K. : En principe, les enseignants des établissements franco-arabes devraient être recrutés comme cela se passe dans n’importe quelle école privée. Ils sont en effet soumis aux mêmes dispositions législatives et réglementaires que toutes les autres écoles du Burkina. Les écoles franco-arabes ont été créées et pendant deux décennies elles fonctionnaient en marge du système éducatif national. Ce qui fait que l’on constate au sein de ces établissements un peu d’anarchie et un peu de baisse de niveau. Ce n’est donc pas facile de respecter les critères de choix des enseignants.
S. : Lors de votre atelier national de formation pédagogique, il a été reconnu que la plupart des enseignants des écoles arabophones, manquent de niveau pour le métier. Est-ce à dire qu’il n’existe pas d’écoles de formation à leur profit ?
T.K : Officiellement, l’Etat n’a pas encore une structure de formation pour les enseignants arabophones. Mais le docteur Doukouré a ouvert, il y au moins 6 ans, une école de formation des enseignants pour ces écoles à Hamdalaye et à Ouaga 2000, deux localités de la capitale du Burkina.
S. : Accorde-t-on aujourd’hui une fiabilité aux écoles franco-arabes au Burkina, notamment à travers les diplômes qu’elles délivrent ?
T.K. : Il n’y a malheureusement pas d’équivalence entre les diplômes, mais comme je le disais tantôt, depuis une décennie, nous sommes en train de travailler en vue d’intégrer les écoles franco-arabes dans le système éducatif national. Nous souhaitons que l’Etat arrive à organiser un CEP arabe, franco-arabe et même un Brevet d’étude du premier cycle (BEPC) pour le niveau secondaire. L’Etat a posé ses conditions à savoir, initier d’abord des programmes concertés au primaire, ce que nous avons déjà réussi à faire. Présentement, toutes les écoles franco-arabes du primaire appliquent le même programme officiellement reconnu par l’Etat et participent maintenant chaque année au CEP.
Au niveau du secondaire, le travail d’intégration entre les deux systèmes nationaux se poursuit. L’année dernière, il y a eu une tentative d’organiser ensemble les épreuves du premier BEPC franco-arabe, qui n’a pas réussi. Mais nous pensons que ce n’est que partie remise. Pour le moment et en ce qui concerne les écoles islamiques, chaque médersa délivre ses diplômes. Face à cette situation, nos écoles ne peuvent pas encore bénéficier de bourses nationales pour leurs élèves. Pour se présenter aussi aux concours, il y a les problèmes de la barrière linguistique.
S. : Combien y a t-il d’écoles franco-arabes au Burkina et doit-on être nécessairement être musulman pour y accéder ?
T.K. : J’ai été directeur de l’enseignement de base privé, il n’y a pas très longtemps, et l’on enregistrait à l’époque 445 écoles franco-arabes au niveau du primaire, reconnues par l’Etat, contre 35 au secondaire. Mais ce n’est pas obligatoire d’être musulman pour entrer dans une école franco-arabe. A la médersa centrale à Ouagadougou, près de la grande Mosquée, vous trouverez des enfants chrétiens, tout comme à la médersa de Hamdalaye. Dans ces établissements, on enseigne tout pratiquement en français, mais avec quelques heures d’éducation islamique. Aujourd’hui, on peut compter plus de 500 établissements franco-arabes.
S. : A combien peuvent revenir les frais de scolarité annuels d’un élève dans une école franco-arabe ?
T.K. : Si je prends le cas des écoles franco-arabes des provinces, il y en a où l’on paye 500, 1000, 1500 F CFA par mois. Dans les grandes agglomérations comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, c’est 23 000 F CFA au premier cycle et 27 000 F CFA au second cycle. Ces frais, il faut le comprendre, varient d’une école à une autre. Il faut aussi préciser que là où on n’enseigne pas ou pas suffisamment le français, les parents d’élèves ne paient pratiquement rien pour scolariser leurs enfants.
S. : Les écoles franco-arabes font partie intégrante du système éducatif national. Quels types de rapport entretenez-vous avec les ministères en charge de l’éducation ?
T.K. : Nous avons aujourd’hui près de 500 écoles prises en charge par ces ministères, comme n’importe quel établissement privé au Burkina, sans distinction aucune. Seulement, les franco-arabes ont une particularité. L’Etat a créé une commission nationale des statuts et programmes des établissements franco-arabes qui a travaillé neuf mois pour recenser les programmes, avoir des échanges sur leurs problèmes, en vue d’aboutir à la reconnaissance officielle de l’enseignement islamique au Burkina. Il existe déjà un arrêté ministériel, aussi bien pour le primaire que pour le secondaire afin de reconnaître les mérites de l’enseignement arabe dans notre pays. Cet arrêt reconnaît deux types de médersa : le premier cycle où l’on enseigne toutes les matières en arabe avec 7 heures de français par semaine et le deuxième type où l’on enseigne toutes les matières, scientifiques comme littéraires en arabe.
Nous allons continuer ce que l’on a commencé. Si l’on veut réellement donner la chance à tous les enfants du Burkina, l’égalité des chances pour tous au niveau de l’emploi, il faut travailler à intégrer les écoles franco-arabes dans le système éducatif national. Ainsi les enfants, qui en sortiront, pourraient prétendre aux bourses, aux concours de la Fonction publique et avoir tous les droits comme les autres aux emplois offerts par le privé.
Interview réalisée par Augustin BANDE
Source:
Sidwaya
vendredi 10 août 2007.