Quand les étudiants potassent leur budget
Ils sont plus de 176’000 à avoir pris ou repris cette semaine le chemin des amphithéâtres. A l’université ou dans les hautes écoles spécialisées, la majorité des étudiants vivent en dehors du foyer familial et se débrouillent pour financer tout ou partie de leurs études. Petits boulots, aide des parents, bourses: tout est bon pour atteindre le minimum vital, qui frise les 1500 francs
Alexis Favre – 22/09/2007
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C’était la rentrée, cette semaine, pour les 176’000 inscrits dans les universités et hautes écoles spécialisées de Suisse. Un chiffre qui n’est qu’une prévision, les inscriptions étant encore ouvertes dans la plupart des établissements. Quoi qu’il en soit, ces futurs diplômés représentent environ 4% de la population active du pays.
Souvent considérés comme des privilégiés, ils ont fait le choix de passer trois, quatre, cinq ans ou plus sur les bancs de l’Académie. Dans l’espoir d’intégrer les rangs des élites intellectuelles ou financières.
En attendant, il s’agit pour eux de vivre et de financer leurs études. Pour la minorité qui est encore nourrie, logée et blanchie par papa et maman, l’affaire n’a rien d’un casse-tête. Mais ceux qui ont quitté le nid – ils sont plus de 60% selon les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) – doivent faire face à de nombreuses charges.
Dans une étude publiée cette semaine, l’Observatoire de la vie étudiante de l’Université de Genève (OVE) a demandé aux étudiants d’estimer le budget mensuel convenable pour étudier à Genève. Si les réponses sont très variables, la grosse majorité des sondés le situe entre 1500 et 2500 fr. Une fourchette similaire à celle que les universités romandes donnent elles-mêmes à titre indicatif (entre 1480 et 2330 fr.).
Deux mille francs donc, parfois beaucoup moins, avec lesquels il faut se loger, manger, payer les assurances, les frais d’inscription, le matériel, la facture de téléphone, etc. Tout en gardant quelques sous pour égayer le quotidien.
Première solution: les petits boulots. En Suisse, 77% des étudiants exercent une activité rémunérée à côté de leurs études. Et ce pourcentage augmente avec l’âge. La difficulté étant de réussir à travailler sans mettre ses études en péril.
Combien d’heures par semaine un étudiant peut-il décemment espérer consacrer à une activité lucrative? Il y a autant de réponses que d’étudiants mais rares sont ceux qui dépassent les 50% de taux d’activité. Selon Céline Vara, étudiante en droit à l’Université de Neuchâtel, l’idéal se situe aux alentours d’un jour par semaine (lire l’encadré).
Restent les vacances, période privilégiée s’il en est pour mettre un peu d’argent de côté. Problème: en raccourcissant de plusieurs semaines la durée de la pause estivale et en serrant la vis en matière d’assiduité aux cours, les accords de Bologne ont compliqué les choses. «Charles Kleiber lui-même, encore secrétaire d’Etat à l’éducation et à la recherche pour quelques mois, avait reconnu l’année passée que Bologne était «l’anti-petits boulots par excellence», indique Benoît Gaillard, coprésident de la Fédération des associations d’étudiants de l’Université de Lausanne.
Bonne nouvelle tout de même, «on peut dire qu’avec la détente économique et le bon climat général, c’est devenu assez facile de trouver un travail si l’on accepte n’importe quoi, comme caissier à la Migros ou serveur dans une boîte de nuit», poursuit Benoît Gaillard. Pour un job mieux payé ou lié à ses compétences, en revanche, il faut se lever tôt.
Autre solution: les bourses d’Etat ou autres prêts à 0%. Selon la dernière étude de l’OFS, 17% des étudiants sont au bénéfice d’un subside de formation. Mais, fédéralisme oblige, la Suisse compte autant de barèmes et de conditions que de cantons. Le facteur déterminant étant toujours le rapport entre le revenu des parents et le nombre d’enfants à charge. Partant, les bourses varient de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de francs par an. «En général, les bourses d’études sont plus basses que le minimum vital, rappelle Serge Loutan, chef du Service de l’enseignement spécialisé et de l’appui à la formation du canton de Vaud. Une bourse n’est jamais qu’un complément.»
Il est cependant réaliste d’affirmer qu’un étudiant issu d’une famille de quatre personnes, disposant d’un revenu annuel imposable inférieur à 60’000 fr., a de fortes chances de recevoir quelque chose.
Quid de l’emprunt bancaire? Très répandue dans les pays anglo-saxons, cette solution n’est pas très courante en Suisse. «Selon notre étude 2004, seuls 2,5% des étudiants font des emprunts bancaires, révèle Jean-François Stassen, chef de projet à l’OVE. Les étudiants n’y ont recours que contraints et forcés: c’est accepter une sorte de boulet avant d’entrer sur le marché de l’emploi.»
Petits boulots à temps limité, dédale administratif du système de bourses, emprunts difficiles: la vie d’étudiant serait-elle devenue un calvaire? Selon la plupart de nos interlocuteurs, en Suisse, les étudiants ne sont pas démunis. Rappelons en effet qu’un tiers d’entre eux proviennent des couches sociales les plus élevées. Et qu’une grosse majorité peut toujours compter sur un coup de pouce familial.
Quels conseils donner aux parents qui veulent aider leurs enfants? «Pour éviter le chantage à l’argent et les problèmes, mieux vaut établir un ordre de virement permanent, estime Gilberte Isler, responsable des affaires socioculturelles de l’Université de Lausanne.» Mais ne vaut-il pas mieux laisser les étudiants se débrouiller, dans la mesure du possible? «En tant que chercheur à l’Observatoire, je ne peux pas me prononcer, répond Jean-François Stassen. Mais, en tant que parent, je suis effectivement d’avis qu’il ne faut trop leur mâcher le travail.»
«J’ai choisi la débrouille: j’assume»
«On est au tout début de l’année, et je dois avouer que mon budget est encore un peu incertain, reconnaît Fabio Poujouly, qui vit à Genève en colocation. Mais si j’additionne le loyer, la nourriture, le téléphone, la connexion Internet, la facture des Services Industriels, le matériel scolaire et quelques sorties, je sais que je dois sortir environ 1500 francs par mois.» Comment? Cet étudiant de 24 ans n’est pas tout à fait fixé: «Je reçois 200 francs de chacune de mes grands-mères et – je l’espère! – environ 250 francs de ma mère. Ça devrait donc faire à peu près 650 francs. Je compte en plus sur une bourse qui, selon un schéma de base, devrait me rapporter entre 200 et 400 francs par mois. Le calcul est vite fait: dans le meilleur des cas, ça fera 1000 francs. Je serai donc obligé de reprendre un petit boulot dans un bar ou un restaurant pour gagner 800 francs supplémentaires en travaillant deux soirs par semaine.» Jusqu’à l’année passée, Fabio Poujouly travaillait comme veilleur 7 nuits par mois dans un foyer social, ce qui lui assurait une base de 1200 francs mensuels. Mais ce petit job n’est plus compatible avec le rythme de sa troisième et dernière année d’études.
Cette année sera placée sous le signe du système D. «Mais je ne m’en plains pas. J’ai choisi la débrouille: j’assume. Mon choix de vie implique de galérer. Et je connais pas mal de gens pour qui c’est beaucoup plus difficile.»
«Il y a des mois très difficiles»
«Mon revenu est très aléatoire. Mon horaire change chaque semaine, il y a donc des semaines où je peux travailler plus que d’autres. Mais, en moyenne, si je cumule le revenu de mon travail à la Coop et la pension que me verse mon père, j’arrive à 1000 francs par mois.1300 francs dans les bons mois.» Ce tout petit revenu restant insuffisant, Céline Vara a droit à une bourse. «Jusqu’à cette année, cette bourse se montait à 4000 ou 5000 francs par année. Mais cette année, on m’a enlevé 1500 francs pour cause de restrictions budgétaires!» Cette jeune étudiante de 22 ans, également présidente des jeunes Verts neuchâtelois, peut donc compter sur quelque 1300 francs par mois, tout compris. «Ma bourse me permet de payer les taxes universitaires, l’abonnement annuel aux transports publics et les livres que je dois acheter chaque semestre.»
Avec un loyer de 400 francs, il ne lui reste plus grand-chose. Et son assurance maladie, malgré un subside d’Etat, lui bloque 160 francs supplémentaires. «Il y a des mois très difficiles. Je n’ai pas de dettes et je n’ai jamais de retard dans mes paiements, mais à la moindre dépense imprévue, c’est dur!» Trop dur? «Je me suis souvent demandé si ça valait le coup. Je viens d’une famille modeste et je sais ce que c’est de faire attention. Si je fais des études, c’est donc pour ne pas répéter ce que j’ai vécu.»
«J’essaie de trouver des bons plans»
Des heures d’enseignement, une petite aide de sa mère, et quelques économies. Pour Noël, 27 ans et 1769 fr. de budget mensuel (on notera la précision du chiffre), l’argent c’est «une préoccupation constante», mais pas de quoi en faire une maladie. Au bénéfice d’un appartement subventionné (540 fr.), qu’il partage par périodes avec un colocataire, cet étudiant en 5e année de Lettres à l’Université de Lausanne sait profiter de la vie malgré ses maigres revenus. «J’essaie toujours de trouver des bons plans pour payer moins cher», raconte Noël, qui table sur son réseau social, très étendu. Actuellement en attente d’une bourse, le Lausannois touche des subsides pour son assurance maladie (il ne paie que 46 fr. par mois). Si l’obligation de travailler pour payer ses études ne l’empêche pas aujourd’hui de suivre ses quelque 12 heures de cours hebdomadaires, Noël a traversé des périodes plus difficiles. «La seule fois où j’ai loupé des examens, je bossais le week-end d’avant et celui d’après. Je pense que ce n’est pas un hasard.»
Quoi qu’il en soit, tout cela sera bientôt terminé, puisque l’étudiant compte rendre son mémoire l’an prochain. Après une année à la HEP (Haute Ecole pédagogique), il souhaite se consacrer à l’enseignement. «J’aimerais toucher un salaire relativement confortable, pour ne plus avoir à me demander sans cesse si je peux faire telle ou telle chose.»