Sénégal – Enjeux et défis de l’enseignement des mathématiques

Enjeux et défis de l’enseignement des mathématiques

Cette année, lors de la remise des prix au concours général, aucun prix n’a été décerné en mathématique. Et ce fut une déception pour le président de la République qui, comme le ministre de l’Education Kalidou Diallo, n’a pas manqué, dans son appréciation, de tirer à boulets rouges sur les enseignants, boucs émissaires indiqués, critiqués et souvent considérés, avec trop de facilité, comme les seuls responsables des insuccès et contre-performances des élèves.

Personne ne va contester au président et à son ministre leur devoir de critique et de veille. Et il est toujours important de rappeler le rôle et les responsabilités de l’enseignant, surtout que le Sénégal est en train d’expérimenter, le Curriculum de l’éducation de base (Ceb). Cette réforme curriculaire se propose de ‘refinaliser l’école’ à travers l’entrée par les compétences. Pour cela, il faut une approche et un programme pertinent afin de certifier les acquis de l’élève en termes de résolutions de situations concrètes, et non plus en termes de savoir et de savoir-faire ; l’enseignant doit changer d’attitude, il n’a plus à diriger ou commander, mais juste stimuler et accompagner l’apprenant.

La colère et les inquiétudes du président, après constat de la faiblesse de nos élèves dans les disciplines scientifiques, se justifient eu égard aux mutations spécifiques de notre époque. En véritable visionnaire, il a bien médité cette pensée de Verspoor : ‘Un programme scolaire est pertinent lorsqu’il relie l’apprentissage à l’expérience et à l’environnement de l’enfant, tout en répondant aux attentes et aux demandes des parents. Il doit en outre préparer l’enfant non pas au monde d’aujourd’hui, mais à la société telle qu’elle va évoluer au cours des cinquante prochaines années.’ De telles attentes ne peuvent nullement ignorer l’enseignement des mathématiques, un des leviers de développement. Et il s’y ajoute que la valeur de l’école en devenir se mesure par la visibilité de l’impact des actions et des investigations sur les performances des élèves et des enseignants.

Sans aucun doute, si on a pu dire que la réussite de l’élève dépend en grande partie de l’action de l’enseignant, celui par qui, aussi, la démotivation des élèves commence, il est important, au préalable, que cet enseignant soit mis dans des conditions correctes de travail et d’épanouissement individuel.

D’ailleurs, notre regretté camarade feu Iba Ndiaye Diadji aimait rappeler que la recommandation Oit/Unesco de 1966 a été justement adoptée pour que la dignité de l’éducateur soit toujours sauvegardée, de même que la qualité de sa formation et les moyens que les pouvoirs publics lui donnent pour vivre de façon décente.

On me dira que les enseignants sénégalais n’ont pas trop à se plaindre, mais Dieu sait qu’on est bien loin des exigences de l’Oit concernant la condition enseignante, sinon les enseignants n’allaient pas abandonner leur corporation pour d’autres professions mieux loties. Malgré les difficultés, beaucoup de nos collègues se donnent corps et âme pour la réussite de leur noble mission. Bien d’autres, informés des enjeux et défis, conscients des problèmes, lesquels annihilent tout effort pour un système éducatif performant, n’ont pas manqué de tirer la sonnette d’alarme. Dans une contribution intitulée : ‘Que faire face au déficit des professeurs de mathématiques ?’, nous avions fait, il y a de cela quelques années, une analyse sur les conséquences qui découleraient du manque criard de professeurs de mathématiques, mais, malheureusement, nous n’avions pas été entendu. Aujourd’hui que la plus haute autorité constate les dégâts et s’en offusque, nous osons espérer que cette deuxième publication pourra relancer le débat et servir.

Nous écrivions, en effet, à l’époque : ‘L’année scolaire 2004/2005 tire à sa fin ; c’est l’heure des évaluations et, logiquement, celle des bilans et des perspectives. Mais une question reste sans perspectives de solutions. En effet, il n’y a aucune volonté affichée des autorités scolaires de prendre en main la question du manque criard de professeurs de mathématiques dans l’enseignement moyen-secondaire. L’année dernière, sur le miroir national, on pouvait compter cent postes vacants en mathématiques. Et il y a trois ans, sur les quatre mille demandes enregistrées au ministère de l’Education nationale pour le recrutement de professeurs vacataires, il n’y avait pas plus de deux titulaires d’une licence en mathématique. La demande est ainsi largement supérieure à l’offre.

‘Aujourd’hui, avec la transformation de l’Ens (Ecole normale supérieure) en Faculté des Sciences de l’Education et de la Formation, les sortants passeront par la contractualisation avant d’être intégrés, au compte-gouttes, dans la fonction publique. Ce qui n’est pas du tout motivant. Et les diplômés en mathématiques – précisons mathématiques générales et non appliquées – ne sont plus intéressés par une carrière d’enseignant de plus en plus hypothéquée par des mesures impopulaires. ‘Avec ma maîtrise es mathématiques, je préfère m’inscrire en Dea (Diplôme d’études approfondies), bénéficier d’une bourse de 60 000 F, sans compter ce que me rapportent les cours particuliers, au lieu d’aller enseigner à Matam ou à Sédhiou comme professeur avec le salaire que l’on sait’, s’exprime un maître es mathématiques. Sûrement, avec sa maîtrise, cet étudiant finira à l’étranger ou, après une formation, dans le secteur privé où les salaires sont plus alléchants. C’est une perte énorme pour l’Etat qui a investi dans les études de ces étudiants qui sont nombreux à s’expatrier.

‘Des exemples de ce genre, on en trouve à la pelle. En fait, ils sont nombreux les étudiants en Maths et même en physique-chimie qui, à partir de la deuxième année, réussissent aux concours d’ingéniorat. Pour certains, après la maîtrise, Telecom offre des formations aux métiers de télécommunications ; sans oublier les possibilités, pour les titulaires d’une maîtrise de s’inscrire en Dess dans les universités. On comprend aisément pourquoi les diplômés en Maths ne se bousculent pas aux portes des Inspections d’académies pour être recrutés dans le corps des professeurs vacataires.

‘L’année dernière – année scolaire 2004/2005 – à Kolda, parmi les recrutés, il n’y avait pas de licencié es Mathématiques. Ce qui fait qu’au niveau des établissements du moyen-secondaire, les collègues sont surchargés avec des crédits horaires dépassant la trentaine. Et certains, qui enseignent la discipline, ne sont pas formés pour cela. Ce sont des professeurs de physique-chimie et même des Sciences de la Vie et de la Terre qui tiennent, souvent, des classes de mathématiques ; ou pire, on recrute des diplômés en Sciences économiques pour tenir des classes dans les lycées’.

Il s’y ajoute que les collègues mathématiciens n’envisagent pas de rester dans les régions périphériques : après trois ans passés dans ces zones à 3 points, ils quittent pour la capitale. Cette année, le seul Pes (Professeur d’enseignement secondaire), qui était en service au lycée Ibou Diallo de Sédhiou, a quitté. L’inquiétude est grande : on ne sait pas qui va tenir, à la rentrée prochaine, la classe de Ts1, s’interroge un collègue dudit établissement. Actuellement, il ne reste qu’un Pem (Professeur d’enseignement moyen), un Pcem, et des professeurs vacataires de niveau Bac. Au lycée Alpha Molo Baldé de Kolda, la situation n’est guère reluisante : il y a seulement deux Pes en maths, professeurs formés pour enseigner dans les lycées et l’un est Cpi, il tient des classes au lycée où il passe plus de temps qu’au Pôle régional de formation (Prf).

Cette situation n’est pas spécifique à Kolda. Le Proviseur du lycée Djignabo de Ziguinchor, Nouha Cissé, nous confiait, que pour régler le problème au lycée, il a fait appel à des Pcem, des professeurs de collèges qui ne sont pas formés pour officier dans les lycées, mais toutes les solutions sont bonnes pour que les élèves ne partent pas en grève. On nous apprend également qu’à Gossas c’est un professeur de Maths du lycée Valdiodio Ndiaye qui quittait chaque jour Kaolack pour donner des cours au lycée Khar Kane, parce que le seul Pes qui était affecté au lycée en 2001, après deux ans, a quitté pour rejoindre le Prytanée militaire.

Au passage, les performances des établissements secondaires de la capitale et du lycée Charles Tchoréré au concours général s’expliquent. Ces établissements doivent leurs résultats à des professeurs bien formés et chevronnés et, ces derniers, on a du mal à en trouver dans les établissements de l’intérieur du pays. Ce qui justifie l’enseignement à n vitesses qu’on note dans le pays et qui sera accentué avec la décentralisation du recrutement des volontaires et des vacataires. Il n’y a pas de concours, ni test de niveau, encore moins d’entretien en ce qui concerne le recrutement des vacataires, on prend n’importe qui pour enseigner et c’est fort probable qu’on recrute des névrosés, ‘… type de prof qui décourage et avilit ses élèves déjà peu sûrs d’eux-mêmes dans le premier cas ou endoctrine et embrigade ses élèves déjà dans des partis politiques’, pour reprendre M. Abdou Karim Ndoye.

En tout cas, beaucoup qui sont retenus, n’ont pas le niveau pour enseigner. Nous restons convaincus que les professeurs doivent être avant tout des gens de savoir recrutés à un haut niveau de connaissance de leur discipline.

Un autre problème, qui mériterait une réflexion approfondie, c’est le manque d’intérêt de nos élèves pour les mathématiques. Cette année, encore, les résultats du Bac ont révélé le faible niveau des candidats en Maths. A Dakar, dans un jury regroupant des élèves des séries L, un correcteur a distribué quarante 01 ; un autre à Ziguinchor, dans les mêmes séries, s’est retrouvé avec une moyenne de correction de 03 ; à Kolda, sur 96 copies corrigées en L, il y a eu deux candidats qui ont obtenu la moyenne. Et il faut reconnaître que ces notes portent, souvent, préjudice aux élèves qui ratent la mention ou même l’admission. J’ai été surpris d’entendre une candidate du centre Djignabo de Ziguinchor, autorisée à subir les épreuves du second tour, dire qu’elle ne va pas reprendre les Mathématiques bien qu’elle ait eu 02 au premier tour.

Il faut discuter avec ces élèves des séries littéraires, pour se demander si on ne devrait pas supprimer les Maths, ne serait-ce qu’en L’. Même les collègues, professeurs de mathématiques, se plaignent du niveau de ces élèves et vous disent pas du tout motivés dans ces classes. Peut-être qu’ils ont leur part de responsabilité dans cette situation : peu soucieux de la pédagogie et de la psychologie des adolescents, certains professeurs oublient souvent que c’est dans leur rôle que de donner un peu de confiance aux jeunes esprits, que le succès d’un enseignement, pour reprendre le pédagogue français Olivier Reboul, est fort lié aux motivations de celui qui le reçoit. D’autres collègues, plus intelligents, convoquent des thèses anthropologiques : on entend, souvent, nos amis philosophes et nos cousins mathématiciens, disserter sur l’abstraction et la difficulté de leur discipline, allant même jusqu’à dire que certaines têtes, pardon esprits, ne peuvent pas comprendre les maths ou la philo, comme si l’éducation était réservée à une élite.

La proposition allant dans le sens de supprimer les mathématiques dans certaines séries littéraires ou d’alléger le programme et la diminution du coefficient en classe de troisième ne déprécie en rien l’importance de la discipline, surtout que nous sommes dans un pays qui cherche encore à se développer et nécessairement, on doit promouvoir l’enseignement des sciences et des mathématiques, voie obligée de développement. Seulement, il nous faut pousser la réflexion pour spécialiser nos élèves un peu plus tôt, détecter, à temps, dès l’élémentaire, ceux qui ont de réelles dispositions dans les filières scientifiques et les mettre dans des conditions pour réussir dans les études scientifiques qui sont très exigeantes.

Par ailleurs, face au déficit de professeurs de mathématiques, il y a lieu d’organiser des assises pour pousser la réflexion afin de dégager des stratégies pour retenir les professeurs de mathématiques. Pas les retenir par force, avec des mesures autoritaires, comme celles qui avaient empêché les professeurs de mathématiques, admis au Cophep (Concours Bceao) de partir.

Mais, nous pensons qu’on doit les motiver davantage ; leur donner des indemnités consistantes ; octroyer des primes d’éloignement pour retenir certains à Matam ou à Sédhiou ; construire des cités pour enseignants au niveau des régions pour diminuer la mobilité du corps enseignant ; proposer le recrutement immédiat dans la fonction publique, avec des bourses consistantes durant la formation, aux étudiants qui acceptent d’embrasser la carrière de professeur de mathématiques, avec un engagement d’y rester pendant au moins quinze ans.

Certaines de nos propositions peuvent être jugées discriminatoires ; elles sont même, à la limite, frustrantes ; nous sommes conscients que la véritable bataille, c’est de lutter contre la dévalorisation de la fonction enseignante. Mais tout le problème est de savoir qui va mener la bataille et pour quand, si l’on sait que le mouvement syndical est divisé et, pour des miettes, nos leaders syndicaux applaudissent. Dans tous les cas, quelles que soient les appréciations, notre souci principal, en posant le problème, c’est de susciter la réflexion autour de la question du déficit criard de professeurs dans cette discipline levier de développement.

Bira SALL Professeur de Philosophie au lycée de Thiaroye Animateur Pédagogique Dakar- Banlieue [email protected]

Source: http://www.walf.sn
04/08/2009

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