Afrique – Relation d’Inde
Les abondantes ressources naturelles de l’Afrique attirent les économies émergentes. Après la Chine, l’Inde a bien l’intention d’en profiter à son tour!
par Marie-Ève Cousineau
http://carriere.jobboom.com
Mahindra & Mahindra rêve de conquérir l’Afrique. D’ici à 2015, le géant industriel indien espère y vendre 45 000 véhicules utilitaires et tracteurs par année, soit quatre fois plus qu’actuellement. Et l’entreprise fait tout pour réussir son pari : elle a lancé une division en Afrique du Sud il y a quatre ans.
Après les Chinois (voir l’article Rouleau impérial, publié en novembre 2007 dans le Magazine Jobboom), c’est au tour des Indiens de courtiser le continent africain. Et l’Afrique pourrait bien tirer profit de cette relation.
Les entreprises privées indiennes emploient des habitants du pays où elles s’installent, contrairement aux sociétés d’État chinoises qui importent souvent leur main-d’œuvre. Elles préfèrent aussi s’approvisionner localement ou internationalement (et non dans leur pays d’origine), à l’opposé des Chinois, selon Harry G. Broadman, conseiller économique à la Banque mondiale et auteur de l’ouvrage Africa’s Silk Road: China and India’s New Economic Frontier publié en 2007.
Mahindra & Mahindra emploie une cinquantaine de personnes en Afrique du Sud. Pratiquement tous des Sud-Africains, souligne Pravin Shah, vice-président directeur des opérations internationales du secteur automobile de la compagnie. «Et nous avons créé des milliers d’emplois indirects, entre autres dans les secteurs de la réparation et du lavage de véhicules!»
Depuis 2002, le commerce entre l’Inde et l’Afrique a presque quadruplé, atteignant plus de 25 milliards de dollars, selon la Federation of Indian Chambers of Commerce and Industry (FICCI). Et ce n’est qu’un début.
En avril, New Delhi a tenu pour la première fois de son histoire un sommet Inde-Afrique accueillant 14 délégations africaines, en provenance notamment de la République démocratique du Congo, du Kenya, du Nigeria, de l’Afrique du Sud et de l’Ouganda. L’État indien a alors annoncé la levée de barrières tarifaires sur des produits d’exportation, comme le coton et le cacao, pour les 50 pays les moins avancés de la planète (34 se trouvent en Afrique).
Le gouvernement indien a doublé le nombre de bourses d’études universitaires destinées annuellement aux Africains, les faisant passer de 244 à 488. Il offrira dorénavant de courtes formations techniques (sur la culture du coton ou l’entrepreneuriat, par exemple) à 1 600 Africains plutôt que 1 100.
D’ici à 5 ans, il rallongera la ligne de crédit des pays africains (l’équivalent d’une marge de crédit pour un consommateur) jusqu’à hauteur de 5,4 milliards de dollars. Il compte aussi investir 500 millions de dollars dans des projets de développement. Depuis 2004, l’Inde développe le Pan-African e-network, un réseau satellite qui permet la télémédecine et la télé-éducation entre des hôpitaux et des universités de l’Inde et de 53 pays africains.
Un marché d’avenir
Si l’Inde s’intéresse tant à l’Afrique, c’est qu’elle a besoin de ses ressources naturelles pour soutenir sa forte croissance, dont la moyenne annuelle est de 7 %. «Le pays importe 70 % du pétrole qu’il consomme», indique Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, à Paris.
Dans cette course à l’or noir africain, l’Inde fait face à la Chine, un féroce concurrent qui a nettement l’avantage. «Le tigre chinois commerce deux fois plus avec l’Afrique», ajoute-t-il.
En 2006, la Chine a reçu 48 chefs d’État africains lors de son sommet sur la coopération sino-africaine. Depuis, elle a construit des routes et des hôpitaux en Afrique, effacé une partie des dettes de pays africains, leur a octroyé des prêts avantageux… Souvent en échange de contrats locaux de construction, d’extraction minière ou d’exploration pétrolière. Résultat : les firmes chinoises l’emportent souvent sur leurs homologues indiens, soutient Harry G. Broadman dans la revue Foreign Affairs.
Mais l’Inde ne s’intéresse pas qu’aux ressources naturelles de l’Afrique. Le continent africain représente un marché d’avenir pour les multinationales indiennes, qui exportent notamment des médicaments génériques (des antirétroviraux pour le traitement du sida), de l’équipement agricole (comme ceux de Mahindra & Mahindra), des systèmes de pompe, des bijoux, des autobus, du riz, des cellulaires et… des autorickshaw, les célèbres taxis motorisés à trois roues des centres urbains indiens.
«L’Afrique et l’Amérique du Sud sont les seules régions au monde où le potentiel de croissance économique est grand», dit Pravin Shah, de Mahindra & Mahindra, joint à New Delhi. Le Fonds monétaire international prévoit qu’en 2008, le PIB de l’Afrique subsaharienne croîtra en moyenne de 6,5 %, grâce à ses pays producteurs de pétrole.
Sneh Patel, directrice adjointe de la section Afrique à la FICCI, souligne que les technologies développées par l’Inde sont facilement adaptables à l’Afrique. «Nous faisons face aux mêmes problématiques, dit-elle. Nos populations s’urbanisent et les infrastructures [système d’eau potable, routes] de nos campagnes sont moins développées.»
Gandhi, l’Africain
De plus, les Indiens bénéficient d’un capital de sympathie. Trois millions de descendants indiens vivent sur le continent africain, dont environ le tiers en Afrique du Sud. Dès 1896, l’Empire britannique a envoyé des dizaines de milliers de travailleurs indiens (ses sujets, à l’époque) en Afrique du Sud et en Afrique de l’Est pour y construire, entre autres, un chemin de fer entre le Kenya et l’Ouganda, deux colonies britanniques. Le «père» de la nation indienne, Gandhi, a habité en Afrique du Sud de 1893 à 1914. Le jeune avocat y a défendu avec ardeur les droits de sa diaspora (il a notamment fondé le Natal Indian Congress en Afrique du Sud).
Selon Harry G. Broadman, les immigrants d’affaires indiens s’intègrent mieux aux communautés africaines que ceux venant de Chine. Un sondage mené en 2006 pour l’étude Africa’s Silk Road: China and India’s New Economic Frontier a révélé que la moitié des entrepreneurs indiens en Afrique adoptent la nationalité africaine, contre seulement 4 % de ceux d’origine chinoise.
Au bout du compte, qu’ils se fassent à la chinoise ou à l’indienne, ces nouveaux partenariats profitent à l’Afrique, croit Stephen Gelb, directeur du Center for Indian Studies in Africa de l’Université de Witwatersrand, lancé en mai 2008 à Johannesburg. «Cela augmente la concurrence sur le continent, et donne un plus grand pouvoir de négociation aux Africains.»
Fini le monopole des sociétés occidentales…
«En chiffres»
L’«Indafrique»
• Volume des échanges commerciaux (2006) : 25 milliards de dollars américains, soit 285 % de plus qu’en 2002.
• Volume possible en 2012* : 50 milliards.
• L’Inde achète 3 % des exportations de l’Afrique.
• Principal pays africain qui exporte en Inde : Afrique du Sud (67 % des exportations).
* Volume estimé par la FICCI à partir d’un sondage mené auprès de compagnies indiennes. Pour l’atteindre, le gouvernement indien devra notamment offrir davantage d’incitatifs à l’exportation.
La «Chinafrique»
• Volume des échanges commerciaux (2006) : 55,5 milliards de dollars américains, 40 % de plus qu’en 2005.
• Volume prévu en 2010 : plus de 100 milliards de dollars américains.
• La Chine achète 10 % des exportations de l’Afrique.
• Principaux pays qui exportent en Chine : Angola, Guinée équatoriale, Nigeria, République du Congo et Soudan.
Sources : FICCI, Foreign Affairs, ministère du Commerce de la Chine, ministère des Affaires extérieures de l’Inde.
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