DES MILLIERS D’ENFANTS VICTIMES DE TRAFIC SEXUEL EN GRANDE-BRETAGNE — Sophie Goodchild & Kurt Barling
Trafic sexuel :
Danielle, vendue à 15 ans comme esclave au Royaume-Uni
Source: http://questionscritiques.free.fr/index.htm
Par Sophie Goodchild et Kurt Barling
The Independent le 25 février 2007 article original : "Sex traffic: Danielle was 15 when she was sold into slavery in the UK"
Reportage capital sur le trafic sexuel de milliers d’enfants en Grande-Bretagne.
Danielle était excitée à la perspective de partir de chez elle, la Lituanie, à l’âge de 15 ans, pour un job d’été en Grande-Bretagne. Ce travail avait été arrangé par un ami qui ne pouvait joindre Danielle pour l’instant et qui l’avait donc mise en contact avec un homme qui l’emmènerait à Londres.
Danielle n’a rien soupçonné jusqu’à ce que cet inconnu prenne son passeport après avoir passé la douane et la laisse entre les mains de deux Albanais et d’une femme lithuanienne. Il s’avéra qu’elle avait été vendue pour £3.500 [5.250 €]. Le "job d’été" consistait à travailler dans un bordel à Birmingham.
"J’étais terrifiée mais je ne savais pas comment m’enfuir. Je ne parlais pas l’anglais et ne connaissais personne", raconte Danielle qui a fini par s’enfuir et rentrer chez elle à Vilnius mais qui est toujours terrifiée par les trafiquants. Aujourd’hui, elle a 18 ans.
Selon des organisations des droits de l’homme, des milliers d’enfants ont été vendus comme esclaves sexuels en Grande-Bretagne et beaucoup, à l’instar de Danielle, l’ont été de l’étranger. Jusqu’à maintenant, les chiffres exacts de l’étendue de ce trafic [en Grande-Bretagne] n’étaient pas disponibles. Mais un rapport de la Joseph Rowndtree Foundation (JRF), une organisation caritative de recherche sociale, qui sera publié demain, dit que ce chiffre est de 5.000 et que la plupart des victimes sont des filles.
Cette étude révèle que 200 ans après l’abolition officielle de l’esclavage, le trafic pour l’exploitation sexuelle, la servitude domestique et le travail forcé détruisent des jeunes vies.
La police et les organisations des droits de l’homme avertissent que les pressions sur les personnes vulnérables pour qu’elles acceptent contre leur gré un travail dégradant ou mal payé se sont accrues massivement sur les neuf dernières années. Des voyages bon marché, le leurre de profits faciles et une demande en augmentation pour les services sexuels sont tous des facteurs qui ont fait de l’industrie de l’esclavagisme moderne un business de £5Mds [7,5 Mds €] par an [au Royaume-Uni], en deuxième position derrière le commerce illégal de drogues.
Près de la moitié de ceux qui sont victimes de ce trafic finissent par être vendus pour le sexe ; en très grande majorité, ce sont des femmes et des enfants. L’âge typique d’une femme victime de ce type de trafic est de 18 à 23 ans, mais beaucoup sont vendues comme majeures alors qu’elles sont en fait plus jeunes. Plus des trois-quarts des jeunes femmes qui travaillent dans les salons de massage qui n’ont pas pignon sur rue sont des victimes du trafic de la prostitution. Les hommes qui les contrôlent les obligent à avoir des relations sexuelles avec 10 clients par jour et les repassent encore et encore à d’autres esclavagistes. Les menaces de violence contre leurs familles garantissent leur silence.
Les gangs de trafiquants ont pris fermement pied dans les pays les plus pauvres, y compris des parties d’Afrique et d’Europe de l’Est, où des personnes peuvent être prises au piège par la promesse d’une vie meilleure.
L’Italie et l’Espagne ont toujours été des destinations en vogue pour les trafiquants roumains. Mais le Royaume-Uni émerge rapidement comme nouveau marché. Exploiter les femmes pour le sexe est un gros business en Roumanie où le salaire moyen est de 150 € par mois. Ici, les proxénètes sont connus sous le vocable de "pêcheurs", particulièrement dans la petite ville de Cernavoda, nichée dans la partie pauvre au sud-est de ce pays, où un grand nombre des habitants masculins célibataires de la ville – et même les hommes mariés – se sont tournés vers le proxénétisme. La principale source légale d’emploi est de travailler dans la centrale nucléaire dont les réacteurs dominent la ligne d’horizon de la ville. Mais les emplois ici sont rares et réservés à ceux qui ont réussi leurs examens scolaires.
Dans la rue, les proxénètes portent des bijoux en or, des vestes de motards haute-couture et conduisent des Audi et des BMW haut de gamme, qui attirent l’attention immédiate dans une ville où les formes traditionnelles de transport sont des carrioles tirées par des chevaux et des Lada rafistolées.
Pour les femmes de Cernavoda qui finissent dans l’industrie du sexe, il n’y a pas de retour matériel similaire. Beaucoup de ces jeunes filles viennent de familles nombreuses roumaines et grandissent dans une pauvreté désespérante. Peu d’entre elles ont les moyens d’aller à l’école. Dès qu’elles deviennent adolescentes, elles font des cibles faciles pour les hommes qui les embobinent avec des sorties dans leurs voitures chics et des promesses d’avenir brillant. Tout ce que vous avez à faire, disent les Roméo de Cernavoda, est d’aller à l’étranger et gagner de l’argent pour moi et ensuite nous pourrons vivre heureux et pour toujours dans un joli appartement.
Sauf qu’il n’y a "jamais de fin heureuse". Les filles ici ne sont pas naïves – la pauvreté et les privations les ont rendues prématurément dégourdies. Mais peu d’entre elles s’attendre à être frappées par des câbles électriques, à être abusées par les hommes qui achètent leurs services ou forcées à remettre ce qu’elles ont gagné à un intermédiaire.
Souvent, leurs familles ne s’opposent pas à ce commerce sexuel si cela veut dire que les estomacs affamés sont remplis à la maison. Mais à leur retour, les attitudes peuvent changer ; tout le monde sait qu’elles se sont vendues à n’importe quel inconnu qui paye 50€ par jour.
Pour Béatrice, 20 ans, chez elle c’est une maison délabrée qu’elle partage avec sa mère et ses huit jeunes frères et sœurs. Il y a deux ans, elle travaillait dans un bordel en Espagne.
"Je ne peux plus jamais avoir de relation amoureuse avec un homme parce qu’il connaîtrait mon passé", explique-t-elle par un interprète. "Même si je voulais oublier ce qui s’est passé, je ne le pourrais jamais. Je ferais n’importe quoi pour empêcher mes enfants de faire ce que j’ai fait, mais je devrais peut-être y retourner si ma famille a besoin d’argent."
L’histoire de Béatrice est de façon déprimante similaire à celle de David Savage qui a quitté un travail bien payé en Grande-Bretagne pour diriger l’organisme caritatif pour les enfants, Nightingales. Lorsqu’il est venu pour la première fois à Cernavoda, M. Savage a organisé des cours pour les enfants dont les familles ne peuvent pas payer l’école. Mais sur une classe de 10 adolescentes, une seule a terminé son parcours scolaire – toutes les autres ont fini dans la prostitution. Son inquiétude est que le trafic devienne pire et qu’il y ait moins d’alternatives pour ces filles ou pour les hommes, y compris leurs propres frères et maris, qui les vendent. "Si vous avez 18 ans et que vous voyez des jeunes gens rouler dans les parages dans des Mercedes dernier cri, alors vous aussi vous voulez trouver des filles à vendre", dit-il.
Iana Matei gère un abri dans la ville de Pitesti, à deux heures et demie de la capitale, Bucarest, pour les enfants victimes de trafic. Elle a aidé plus de 127 victimes du commerce sexuel, dont certaines n’avaient pas plus de 12 ans. Souvent issues de communautés rurales, beaucoup deviennent les victimes de trafiquants se présentant comme des recruteurs du gouvernement qui leur promettent du travail agricole bien payé à l’étranger. De même que la pauvreté, Mme Matei dit que les abus au sein de la famille sont des expériences typiques pour les enfants victimes de trafic. Ils sont souvent renvoyés du Royaume-Uni, mais, ensuite, ces victimes sont laissées sans soutien et craignent que leurs trafiquants les attendent.
"Au contraire de la drogue, ce commerce est peu risqué tout en engendrant des bénéfices élevés – vous pouvez vendre une fille 10 fois. Aux yeux de la police, c’est toujours de la faute de la fille, et les trafiquants peuvent s’offrir de bons avocats", dit-elle. La réponse du Royaume-Uni à ce problème mondial a inclus l’Opération Pentamètre, avec des forces de police dans tout le pays ciblant les gangs criminels. Plus de 84 victimes ont été ramassées, dont 12 enfants. Deux d’entre elles n’avaient que 14 ans et étaient enceintes.
Cela a conduit à mettre en place une unité spéciale de la police, dédiée à la lutte contre le trafic humain, le Centre au Trafic Humain du Royaume-Uni [United Kingdom Human Trafficking Centre]. Le commissaire Nick Kinsella, qui dirige cette unité, indique que les hommes britanniques alimentent souvent involontairement ce commerce : "Vous devez demander, qui utilise ces femmes ? Tout client responsable n’utiliserait pas de filles issues de ces trafics, mais les week-ends réservés aux hommes sont devenus aujourd’hui une grosse affaire".
De nombreuses victimes ont des papiers légaux mais on les leur prend dès qu’elles arrivent en Grande-Bretagne. D’autres entrent clandestinement sans papiers authentiques, à l’instar d’Ade, 25 ans, venu d’Afrique et forcé à travailler dans un restaurant lorsqu’il était enfant. Son plus jeune frère souffre à présent de troubles mentaux graves en résultat à cette épreuve. Ils sont tous deux sous la menace d’une expulsion. Ade déclare : "J’ai perdu le compte du nombre de personnes chez lesquelles nous avons habité. Ma vie est tellement remplie de douleur et j’ai tellement pleuré que je n’ai plus de larmes".
Des enfants obligés de servir les besoins des adultes
Amalia, 21 ans, de Roumanie :
Le mari d’Amalia l’a forcée à aller à l’étranger, laissant derrière elle sa fille en bas âge, pour vendre son corps pour le sexe alors qu’elle était encore adolescente. Lorsque sa famille s’y est opposée, le mari a menacé son frère avec une épée. Elle déclare : "C’est vraiment très difficile de vendre son corps pour 50€ de l’heure.
"J’ai eu de la chance – j’ai connu des filles que l’on frappait avec des câbles électriques et à coups de poing. Tous les hommes n’étaient pas mauvais mais il y avait des gens qui n’étaient pas gentils avec moi et beaucoup de femmes ont tellement besoin d’argent qu’elles feraient n’importe quoi. Les hommes disent, ‘Nous pouvons avoir cela à la maison avec nos femmes. Si tu ne veux pas faire ce qu’on te demande nous ne te paierons pas’. Je leur disais : ‘J’ai une petite fille à la maison dans mon pays’. J’espérais que cela les amènerait à être gentils avec moi".
Adolescente, esclave sexuelle, on lui avait promis de recevoir une éducation
Adina, du Rwanda :
Lorsqu’elle avait 14 ans, le vendeur de marché pour lequel elle travaillait a dit à Adina Mukakalisa d’aller avec deux hommes. Ils l’emmèneraient pour vivre à l’étranger où elle serait en sécurité et irait à l’école. Lorsqu’elle arriva en Grande-Bretagne, un homme vint la chercher à l’aéroport et l’emmena dans une maison. Pendant deux ans, l’adolescente a été obligée de vivre dans une cuisine fermée à clef avec seulement un accès aux waters et à une bassine. Son boulot consistait à entretenir la maison. Lorsqu’un autre homme les a rejoints elle fut emmenée à l’étage et violée. Les hommes l’ont gardée comme leur esclave sexuelle jusqu’à ce qu’elle s’échappe et qu’elle hèle un automobiliste qui l’a conduite à la police.
"Il était fréquent d’être réveillé par des coups"
Ade, 25 ans, du Nigeria :
Des inconnus ont emmené Ade, 11 ans, et son frère de 9 ans à Londres après que leur père mourut.
Ils furent traités comme des esclaves, travaillant d’abord dans les cuisines d’un restaurant. Ensuite, ils furent déplacés de famille en famille, manquant l’école et ils devaient, souvent, se rendre au marché pour acheter la nourriture du restaurant pour lequel ils travaillaient. "Nous étions constamment frappés et parfois même menacés de mort pour être sûr que nous obéissions proprement aux ordres. Il n’était pas inhabituel d’être réveillés par des coups", déclare-t-il.
Traduit de l’anglais par [JFG-QuestionsCritiques]