Manu Dibango : « Fespaco, le festival de Cannes de l’Afrique »
Le parrain de la musique africaine, des musiques africaines dirait-il, évoque sa venue à Ouagadougou (Burkina Faso) en tant que président d’honneur du Fespaco, LE festival du cinéma africain, pour sa 20ème édition (24 février – 3 mars). L’occasion d’évoquer avec Manu Dibango ses liens avec les cinémas africains et la sortie de son album* aux sonorités New Orleans.
Marianne-en-ligne : Que représente à vos yeux le Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (Fespaco) ?
Manu Dibango : Le Fespaco c’est un peu le festival de Cannes de l’Afrique. C’est la première fois que je m’y rends et je considère vraiment comme un honneur de succéder à Richard Bohringer en tant que parrain de cette manifestation qui aura bientôt quarante ans. Je pense que les organisateurs, en faisant appel à moi, ont voulu mettre l’accent sur les rapports entre l’image et le son – la musique – dans le cinéma africain.
M-e-l : Avez-vous déjà composé des musiques de films africains ?
M.D. : Bien sûr ! Plusieurs même. Depuis les années 70 avec « Les tams-tams se sont tus », de Philippe Mory (1971, Gabon), « L’herbe sauvage » (1977) et « Bal poussière » (1988) de l’Ivoirien Henri Duparc, ou plus récemment, « Le Silence de la Forêt » (2003, Cameroun), de Bassek Ba Kobhio.
M-e-l : Vous avez aussi travaillé avec Ousmane Sembène, le père du cinéma africain…
M.D. : Oui, en 1977, pour le film « Ceddo ». Quand on est un musicien originaire du Cameroun, travailler pour un film sénégalais nécessite de se pencher sur la culture de l’Afrique de l’ouest. J’ai donc dû compulser des documents sonores et ça a été très enrichissant, ensuite, pour mon propre travail.
D’un autre côté, je regrette qu’on soit souvent obligé de faire une musique dont l’inspiration colle automatiquement à l’aire culturelle du film, en l’occurrence une musique sénégalaise pour un film sénégalais. En ce sens, je dis souvent qu’il faut qu’on prenne l’habitude, en Afrique, de sortir de nos « micro-Etats ».
M-e-l : Quelle différence avec les commandes pour les films européens ou canadiens dont vous avez composé la musique, comme par exemple « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » (1989) du Québécois Jacques W. Benoît ?
M.D. : Quelle différence ? Les moyens pardi ! Pour les films africains, il faut avant tout faire preuve de bonne volonté. Ca commence souvent à 0 € et parfois ça finit au même niveau (rires…).
M-e-l : Comment expliquer qu’à la différence de la musique, les cinématographies africaines aient du mal à trouver un public conséquent en Afrique et dans le monde ?
M.D. : Ah, ça c’est une question ! Ce qui est sûr c’est que la musique mobilise moins de capitaux, et on va plus facilement écouter de la musique ou danser qu’au cinéma. Le cinéma africain manque cruellement de moyens. Le budget est bouclé grâce aux financements occidentaux, avec un cahier des charges qui leur est propre : si, à la fin du processus, il reste 30% du scénario prévu au départ, le cinéaste africain peut s’estimer heureux. Je prends un exemple : on va leur demander d’accentuer le caractère « ethnologique » d’un film, du genre l’émancipation d’une jeune femme qui quitte son village pour aller à la ville… Mais les Africains, habitués à voir des films indiens ou américains, veulent sortir de leur quotidien en allant au ciné. Une histoire sur leur village, ça ne les fait pas rêver… Résultat, le film ne rencontre pas son public.
M-e-l : On parle beaucoup du manque de salles…
C’est vrai. Les trois-quarts ont fermé, concurrencées par de nouveaux modes de consommation des images : les chaînes du satellite, le home-cinéma… Sans oublier des contingences comme le climat, ça peut jouer, ainsi que l’insécurité dans certaines villes africaines le soir tombé.
Quant au grand public européen, il a peu de chances de voir ces films à cause de leur non intégration aux circuits de distribution habituels. Quand un film africain reste une semaine à l’affiche dans une salle des Champs-Elysées, c’est bien le maximum. Restent les salles d’Art & Essai, comme le cinéma Images d’Ailleurs ou les projections au Musée Dapper à Paris. Finalement, ce sont généralement les personnes les plus « nanties culturellement » – je préfère ce terme à celui d’intellectuel – qui vont voir les films africains.
M-e-l : Revenons à la musique pour conclure. Quelle est votre actualité dans les semaines à venir ?
M.D. : Mon prochain album* sort le 8 mars. J’y rends un hommage à La Nouvelle Orléans et à ses habitants qu’on a laissés tomber après Katrina à travers la musique de Sydney Bechet. Et puis, le 20 mars, je fêterai mon demi-siècle de carrière au Casino de Paris.
* Manu Dibango joue Sidney Bechet,Abeille Musique, 15,37 €
Source:
Le 23/02/2007 à 19 h 00 – par Propos recueillis par Skander Houidi
http://www.marianne-en-ligne.fr