L’évaluation de ces écoles de commerce contestée en Europe et aux Etats-Unis.
MBA, le superdiplôme qui repose sur des palmarès bidons
par Emmanuel DAVIDENKOFF
QUOTIDIEN : lundi 24 octobre 2005
Source : Liberation
Coup sur coup, deux des trois gardiens du temple mondial des écoles de commerce viennent d’arriver aux mêmes conclusions : les palmarès publiés dans la presse ne vaudraient pas tripette, spécialement ceux des MBA (Master of Business Administration), la formation star des business schools : accessible à des cadres en exercice, coûtant des dizaines de milliers d’euros, elle constitue un accélérateur de carrière appréciable. Une douche froide pour les écoles françaises qui se réjouissent d’avoir casé sept écuries (1) dans le top 25 européen du Financial Times, HEC en tête.
Aux Etats-Unis, c’est l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) qui s’y colle. Arbitre des élégances depuis 1919 en matière d’accréditation des MBA, elle dénonce, dans un rapport intitulé The Business School Rankings Dilemma (2), les ravages des principaux palmarès qui régissent le marché mondial ceux de Business Week, du Wall Street Journal, de US News & World Report et du Financial Times.
«Foire aux mensonges». La critique s’organise en quatre temps. D’abord, la méthodologie serait trop souvent fondée sur un seul critère, relève pudiquement l’AACSB, ces palmarès répondant à une seule question : combien (me) rapportera un dollar investi dans un MBA dans quelques années. Ensuite, le principe même du classement amène à créer des hiérarchies dérisoires entre formations de qualité identique. Et puis, les classements font du mal aux écoles : certaines embauchent des spécialistes uniquement pour gérer les remplissages de questionnaires et gérer le suivi des relations avec les «rankers» (les journalistes responsables des classements). Enfin, la présentation des palmarès de MBA en classement des écoles induit le public en erreur : les MBA ne représentent généralement qu’une petite partie de l’offre de formation des établissements. Ainsi, une école qui serait excellente en formation initiale, formerait d’excellents doctorants, mais n’aurait pas un bon MBA risque d’être nettement sous-évaluée.
L’Europe n’est pas en reste dans la critique. Créée en 1997 pour défendre une norme de qualité européenne, l’European Foundation for Management Development (EFMD) vient même d’annoncer qu’elle allait… évaluer les évaluateurs. Explication d’Eric Cornuel, président de l’EFMD : «Tous les classements sont biaisés. Les résultats ne sont pas sérieux. Comment peut-on prétendre sérieusement classer des établissements, alors qu’il est déjà très difficile de le faire pour des formations ?» Fondateur du magazine Challenges, qui publie tous les deux ans un classement, Patrick Fauconnier collecte actuellement les réponses des écoles pour le palmarès à paraître en décembre. Il confirme : «C’est la foire aux mensonges sur tout : les salaires des diplômés, le nombre d’enseignants, des départs à l’étranger… Les seuls chiffres dont je suis sûr, ce sont ceux des concours.» Comment classer néanmoins ? «En enquêtant beaucoup, en recoupant les infos au mieux. Bref, en faisant un travail de journaliste, pas de statisticien…»
Recrutement. En France, la mondialisation du recrutement des élites a profondément modifié la stratégie des écoles de commerce. La plupart se sont calées sur le modèle HEC : tenter de jouer le jeu imposé par les Anglo-Saxons en créant des MBA en marge de leur programme dominant. «Le marché du recrutement des jeunes professeurs-chercheurs ou des étudiants est aujourd’hui totalement mondialisé. Pour être lisible sur ces marchés, il est important pour une institution comme HEC de pouvoir figurer en bonne place dans les classements internationaux», déroule Richard Perrin, directeur de la communication d’HEC. Une autre stratégie est incarnée par l’Essec, qui tente de prouver que le modèle MBA est soluble dans le modèle «grandes écoles à la française». Raisonnement : l’excellence à la française réside dans les classes préparatoires aux grandes écoles, c’est-à-dire la capacité à repérer très tôt des jeunes à haut potentiel puis à en faire des managers en trois ans (ou quatre) dans une «grande école». L’Essec a donc transformé en 1998 son diplôme «normal» en MBA et se bat pour expliquer que son diplôme reste néanmoins un diplôme de grande école classique.
Au-delà de ces querelles gauloises, les coups de gueule de l’AACSB et de l’EFMD témoignent des difficultés de l’enseignement supérieur mondialisé à se doter d’instruments d’évaluation fiables et transparents. François Tavenas (ancien recteur honoraire de l’Université Laval, à Québec) relevait en 2003, après la parution d’un palmarès des universités, dans le Nouvel Observateur : «Un classement global ne reflète que les choix méthodologiques de ses auteurs et est donc sans aucun lien avec la réalité !»
Salaire. Comment répondre malgré tout à la demande du citoyen-consommateur d’études supérieures ? L’AACSB propose de passer d’une logique de «ranking» (classement) à une logique de «rating» (évaluation), afin de ne comparer que des programmes comparables et de sortir des évaluations monocritère qui ne mesurent pas l’adéquation entre une offre et une demande plurielle. Et d’offrir ses services : elle estime que ses informations sont meilleures que celles que les médias recueillent: un questionnaire d’accréditation AACSB fait 500 pages et la procédure d’audit dure plusieurs mois. Le marché ayant horreur du vide, il faudra plus qu’un coup de gueule pour atténuer l’impact des «rankings» anglo-saxons. Et donc l’influence des valeurs anglo-saxonnes sur la formation des élites manageuriales, au premier rang desquelles le salaire de sortie des diplômés.
(1) HEC, l’ESC-EAP, l’Essec, Grenoble Ecole de management, l’EM-Lyon, l’Edhec et Audencia.