L’Inde, zone de migration internationale de stagiaires

L’Inde, zone de migration internationale de stagiaires
De plus en plus d’étudiants veulent découvrir de l’intérieur des firmes en plein boom.

Par Pierre PRAKASH
vendredi 26 août 2005 (Liberation – 06:00)
Bangalore de notre envoyé spécial
http://www.liberation.fr/page.php?Article=319321

Pour son stage à l’étranger, Farah Alloui, 23 ans, avait l’embarras du choix. Etudiant à la très cotée école française de commerce HEC, il avait reçu des réponses positives de cabinets de conseil en Angleterre et aux Etats-Unis. Après réflexion, le jeune homme a opté pour une destination radicalement différente : l’Inde. «Je me suis dit que ce serait plus original pour mon CV, car l’Inde suscite de plus en plus d’intérêt dans les milieux économiques. Et j’étais curieux de voir de l’intérieur ce que pouvait donner une économie en pleine croissance.» Depuis cinq mois, Farah Alloui travaille donc comme analyste chez Evalueserve, un sous-traitant indien haut de gamme en intelligence économique, qui conseille à distance des entreprises étrangères. A une semaine de son retour en France, il ne regrette rien : «Cela valait indiscutablement le coup, tant sur le plan professionnel que personnel. Je suis étonné par la qualité du travail que j’ai vu ici. Je ne me rendais pas compte du potentiel économique de ce pays.»

«Incontournable». Conséquence du boom économique des dernières années (7 % de croissance en moyenne) : les jeunes Occidentaux sont de plus en plus nombreux à vouloir acquérir une expérience indienne. Grace à ses annonces sur Internet, Evalueserve compte ainsi en permanence une vingtaine de stagiaires étrangers venus des Etats-Unis, d’Europe, mais aussi de Turquie, de Chine ou du Japon. «Nous avons pris notre premier stagiaire étranger il y a tout juste un an, et maintenant je reçois quotidiennement entre dix et quinze candidatures», se réjouit Shaaista Bhat, du service du personnel. Tous des jeunes, qualifiés et anglophones, qui estiment que l’Inde va devenir incontournable dans le monde des affaires.

«Toutes les projections prévoient un gros virage de l’économie mondiale vers l’Inde et la Chine au cours des prochaines décennies, explique Michel Givon, qui termine un mastère en intelligence économique à l’université de Strasbourg. On sera forcément amené soit à travailler avec ces pays, soit à être en concurrence avec eux, alors autant connaître le système de l’intérieur.» Logés à plusieurs dans des appartements de fonction modernes, les stagiaires sont payés environ 400 euros par mois, la même somme que les employés indiens. «C’est largement assez pour vivre ici, on n’est pas là pour économiser», sourit Farah qui, avec son étiquette HEC, aurait pu prétendre à beaucoup plus ailleurs.

Si les stagiaires sont de plus en plus attirés par le pays, les entreprises indiennes sont également de plus en plus intéressées par leur venue. «Ils nous apportent une sensibilité culturelle très utile puisque nous travaillons avec leurs pays d’origine», explique Shaaista Bhat d’Evalueserve. Deuxième entreprise informatique du pays, Infosys, qui emploie 39 000 personnes, va plus loin. «Créer des liens avec les leaders de demain fait partie de notre stratégie, affirme ainsi Sanjay Purohit, directeur de la planification de l’entreprise. Il faut qu’ils connaissent notre pays, notre manière de fonctionner et, pour cela, il faut les amener à Bangalore.» Sans compter qu’avec une trentaine de filiales à l’étranger, Infosys a de plus en plus besoin de main-d’oeuvre non-anglophone.

Campus. Il y a six ans, la firme a donc monté un programme pour créer des liens avec des universités étrangères. Le réseau en compte aujourd’hui 67, et pas n’importe lesquelles : en France, la liste se limite aux plus prestigieuses, telles que Polytechnique et l’Ecole des Mines côté ingénieurs, et l’Insead, HEC et l’Essec côté écoles de commerce… Pour faire sa promotion, l’entreprise envoie des employés sur les campus. La réaction des étudiants est impressionnante : cette année, pour 100 postes ouverts, l’entreprise a reçu près de 11 000 candidatures… «60 % des postes sont pour des informaticiens, le reste pour des MBA», précise Nidhi Alexander, directrice du programme.

Installés dans un hôtel de 500 chambres digne d’un cinq étoiles sur le magnifique campus de la banlieue de Bangalore, les étudiants participent à des projets en cours ­ soit de la sous-traitance pour des entreprises étrangères, soit des projets internes, notamment en management et recherche & développement. S’ils profitent de leur séjour pour voyager un peu dans la région, ils sont là avant tout pour comprendre les rouages de la sous-traitance internationale de services, appelée moins pudiquement «délocalisation». «On a beaucoup parlé de l’informatique, mais aujourd’hui, la sous-traitance touche des domaines de plus en plus qualifiés comme le conseil, l’analyse financière, etc., souligne Laurent Pasquier, un Français qui, après avoir travaillé six ans pour le cabinet de conseil Accenture, termine un MBA à Oxford. C’est vraiment une expérience très enrichissante, nous avons accès à tous les grands dirigeants, ces gens ont une feuille de route déjà établie sur vingt-cinq ans.»

Délocalisations. Quant aux polémiques courantes dans les pays développés sur les délocalisations, tout le monde, ici, estime qu’elles sont quelque peu stériles. «C’est inévitable, alors autant venir ici et apprendre comment ça marche. Nous serons mieux placés pour l’avenir», résume Javier Garcia-Blanch, un Espagnol qui étudie aux Etats-Unis. «Où vais-je trouver ailleurs le dynamisme d’une entreprise qui croît de 50 % par an ? interroge, pour sa part, Petar Kajeski, un Macédonien qui fait son MBA en Suisse. En Europe, on ne parle que de réduire les coûts, alors qu’ici on regarde l’avenir, on est plein d’ambition.»

Enthousiasmés par leur stage, tous s’étonnent, en revanche, de l’écart entre la modernité des entreprises et le faible niveau des infrastructures dans le pays. Même dans la Silicon Valley indienne, comme est surnommé Bangalore, les coupures d’électricité et les embouteillages restent quotidiens. «ça fait partie du deal, mais c’est un faible prix à payer», sourit l’Américain Tim Hentzel, venu de la prestigieuse Wharton School. Coupures de courant ou pas, il envisage de travailler en Inde à l’avenir.

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