«200 000 à 400 000 clandestins en France»
Le Figaro
Propos recueillis par Alexis Brézet, Jean-Marc Gonin, Philippe Goulliaud et Marie-Christine Tabet
[11 mai 2005]
Sait-on qui sont les clandestins ?
Il existe deux grandes catégories : les personnes qui entrent régulièrement sur notre territoire mais qui prolongent ensuite leur séjour de manière illégale et les purs clandestins.
Comment ralentir le flux de ces entrées ?
L’un des enjeux les plus importants est celui des personnes qui entrent sur notre territoire avec un visa de court séjour et qui s’y maintiennent après l’expiration. Aujourd’hui, les immigrés en situation irrégulière dissimulent leur identité lorsqu’ils sont interpellés. Comme nous ne pouvons établir ni leur identité ni leur date d’entrée sur le territoire français, nous ne pouvons pas les renvoyer chez eux. Demain, grâce aux visas biométriques et à l’empreinte digitale numérisée, nous serons en mesure d’établir avec certitude leur pays d’origine et la réalité de leur droit au séjour. Nous avons équipé les consulats de Bamako (Mali), de Colombo (Sri Lanka) et de Minsk (Biélorussie). Bientôt nos représentations à San Francisco et à Shanghaï seront également dotées. D’ici à trois ans, l’ensemble des consulats délivrera des visas biométriques.
Et pour les mariages…
Si l’immigration régulière a connu une augmentation de plus de 20% depuis sept ans, c’est essentiellement en raison des mariages. Les unions de nationaux avec des étrangers sont passées de 18 000 en 1999 à 53 000 en 2004. Nous estimons qu’il y a chaque année plusieurs milliers de mariages forcés ou de complaisance. Nous allons donc modifier le Code civil afin que la transcription d’un mariage à l’étranger ne soit plus automatique. Pour l’instant, nous sommes dans une situation ubuesque. Il est possible de se marier à l’étranger et de faire transcrire l’acte en droit interne sans toujours respecter les règles du mariage français.
Mais comment vérifier ce qui s’est passé dans l’Atlas marocain ou en Turquie ?
Désormais, le procureur devra faire une enquête en liaison avec les services consulaires pour vérifier que les conditions d’un mariage valide en droit français sont bien remplies. Dans le même ordre d’idée, les maires pourront désormais créer dans leur commune un fichier des attestations d’accueil. Il permettra de constater, par exemple, qu’une même personne a accordé une attestation d’accueil à dix étrangers différents.
Justement, où en est-on des reconduites aux frontières ?
Nous avons reconduit 11 000 personnes en 2003 et 16 000 en 2004. Mon objectif est de parvenir à 20 000 en 2005. Il faut ajouter à ces reconduites les 30 000 étrangers refoulés aux frontières ainsi que le millier de retours volontaires. Cela représente pour le ministère de l’Intérieur un effort considérable : le budget a été multiplié par trois depuis 2004, de 33 millions d’euros à 100 millions d’euros, et nous avons affecté 600 policiers de plus à la PAF. Grâce à cet effort, la population clandestine est désormais stabilisée.
Il reste cependant ces 200 000 à 400 000 personnes que vous évoquez, et dont certaines se sont enracinées notamment en se mariant. Faut-il solder le passé en les régularisant ?
C’est hors de question ! Les deux régularisations massives de 1981 et de 1997 se sont soldées par des échecs. A chaque fois, cela a créé un appel d’air et produit de nouvelles arrivées.
Régulariser à la hâte à chaque grève de la faim ne brouille-t-il pas votre message de fermeté ?
Les préfets étudient les dossiers au cas par cas et n’accordent un titre de séjour que lorsque la situation administrative ou humaine le justifie.
Le point faible du dispositif ne reste-t-il pas la gestion de la demande d’asile ?
Nous avons fait de gros efforts pour réduire les délais. Nous voulons passer de près de deux ans à six mois pour chaque demande d’ici à un an. Cela permettra d’éviter les situations humaines les plus douloureuses, notamment celle des enfants scolarisés. Le traitement dans des délais encore plus brefs des demandes de ressortissants venant de pays réputés sûrs permettra de gagner du temps sans léser les demandeurs.
Mais il existait une liste de sept pays retenus par la France en avril dernier ; pourquoi n’a-t-elle pas été adoptée ?
C’est un début, mais ce n’est pas suffisant. Cette liste n’aurait concerné que 1 500 personnes en 2004 quand plus de 50 000 ont fait une demande d’asile. Si l’Union européenne n’arrive pas à se mettre d’accord, il faudra bien que la France adopte sa liste : elle le fera avant le 15 juin.