Une résidente d’Ottawa, d’origine congolaise, implore le ministre de l’Immigration de permettre à sa mère de célébrer Noël avec sa famille. La demande de parrainage a été approuvée il y a déjà de nombreuses années, mais le Canada lui ferme toujours ses portes. Un cas qui illustre le sort de plusieurs.
« Immigration Canada m’a volé une partie de ma vie. Il a volé ma vie familiale. Il a volé la vie de ma mère », lance Marie-Flore Kapamba, découragée.
Depuis 13 ans, elle travaille sans relâche pour faire venir sa mère à Ottawa.
Cette histoire a tellement brisé tous mes rêves.
« C’est ma mère qui m’a appris à nager à l’âge de 4 ans. J’avais le rêve d’amener ma mère à la piscine avec mes enfants », lance-t-elle. « Je voulais faire le tour du Canada avec elle, en train, jusqu’à Vancouver. Tous ces moments-là, je ne peux plus les avoir, parce qu’à 70 ans, combien de temps elle a à vivre? Dix ans? Cinq ans? »
Aide urgente requise
En 2003, Marie-Flore Kapamba est en instance de divorce et doit élever seule trois bambins, des triplés. Elle essaie, en vain, de faire venir sa mère de la République démocratique du Congo pour l’aider.
L’année suivante, sa mère accepte de se rendre dans un pays où se trouve une ambassade canadienne qui peut traiter son dossier. Elle s’installe donc en Afrique du Sud pour ce qui devait être un court séjour.
Douze ans plus tard, elle y vit toujours, seule.
Pour la mère et la fille, cette séparation est d’une cruauté sans mot. « Je meurs de peur, je meurs d’anxiété », s’inquiète Mme Kapamba. « S’il arrive quelque chose à ma mère en Afrique du Sud, qu’est-ce que je vais faire? »
Et les triplés de Mme Kapamba, aujourd’hui âgés de 15 ans, n’ont jamais rencontré leur grand-mère.
Des délais sans fin
Après des années de démarches, la demande de parrainage est enfin acceptée, en 2010. Immigration Canada reconnaît que Marie-Flore Kapamba a les moyens financiers nécessaires pour faire vivre sa mère.
Dans une lettre, le haut-commissariat du Canada à Pretoria écrit qu’il est prêt à procéder à la demande de résidence permanente et que le dossier sera réglé dans six à huit mois.
Sa mère réussit tous les tests requis : examens médicaux, vérification des antécédents criminels et contrôles de sécurité. Mais elle n’obtient toujours pas son visa pour le Canada.
Pendant ce temps, les formulaires attestant de sa bonne santé et de son absence de casier judiciaire arrivent à échéance. La mère de Mme Kapamba doit alors les recommencer – et payer de nouveau.
En 2013, Marie-Flore Kapamba n’en peut plus. Elle décide de se rendre en Afrique du Sud, une dépense exorbitante alors qu’elle assure déjà la subsistance de ses enfants au Canada et de sa mère à l’étranger depuis des années.
À son arrivée au haut-commissariat du Canada à Pretoria, elle soutient qu’on refuse d’abord de la recevoir.
Au bout d’une heure et demie, un agent lui indique qu’il manque un formulaire qu’elle s’empresse de remplir. L’agent lui dit de retourner au Canada l’esprit tranquille : sa mère sera bientôt à ses côtés.
Mais une fois de plus, la promesse ne se concrétise pas.
Marie-Flore Kapamba fait alors appel à son député fédéral de l’époque, le conservateur Royal Galipeau. Celui-ci communique avec le haut-commissariat du Canada à Pretoria, mais sans succès.
Le député Galipeau écrit ensuite au ministre de l’Immigration d’alors, Chris Alexander, qui ne répond pas à sa requête.
Arrivent les élections fédérales d’octobre 2015.
J’ai eu un peu d’espoir avec le gouvernement libéral.
Elle rencontre son nouveau député, Andrew Leslie, qui, à la mi-juillet, écrit à son tour au nouveau ministre de l’Immigration.
Fin août, le ministre John McCallum lui répond. Dans sa lettre, il reconnaît que la demande de parrainage de Mme Kapamba est approuvée depuis 2010, mais n’offre aucune explication quant aux délais dans ce dossier.
En octobre 2016, le député Leslie rapplique avec une nouvelle lettre au ministre McCallum. « Votre réponse ne me permet pas de répondre à la question de mon électrice », écrit-il en anglais.
Il fait aussi remarquer que Mme Kapamba a respecté tous les règlements, que sa demande a été approuvée et qu’elle mérite de connaître les raisons de ce retard.
Le ministre de l’Immigration n’a pas encore répondu à cette deuxième missive.
« C’est carrément un cauchemar », dit Mme Kapamba, à bout de forces. « Je ne sais pas ce que ça prend. Je ne comprends pas. Ça me rend folle. »
50 000 dossiers en attente
« Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé, surtout au niveau des parents et des grands-parents », explique Negar Achtari, avocate en immigration à Ottawa. « Les délais de traitement sont très longs. Ça brise des vies. Ça brise des familles. »
Quelque 50 000 dossiers de parrainage de parents et de grands-parents sont en effet en attente de traitement au pays.
Immigration Canada se réjouit toutefois que « l’inventaire », comme on l’appelle, soit en nette diminution. En 2011, 167 000 cas étaient en attente de traitement.
Maître Achtari reconnaît qu’il y a eu des améliorations. Elle applaudit, par exemple, la décision du gouvernement Trudeau de doubler à 10 000 le nombre de nouveaux cas de parrainage de parents et de grands-parents que le Canada accepte chaque année.
Mais elle soutient qu’il s’agit toujours d’un système de quota. Votre demande de parrainage doit arriver parmi les premières 10 000, sinon elle est refusée et vous devez tenter votre chance de nouveau l’année suivante.
De plus, Immigration Canada indique que les nouvelles demandes qu’elle traite en ce moment sont celles reçues en janvier 2014, ce qui représente un délai de trois ans.
Selon Me Achtari, le côté impersonnel du système contribue à ces retards. Tout se fait maintenant par courriel ou par télécopieur.
La correspondance n’est jamais signée au complet. On reçoit soit un numéro d’agent, soit des initiales. On ne sait pas à qui on doit s’adresser.
Le dernier courriel du bureau d’Immigration qu’a reçu Marie-Flore Kapamba en novembre dernier, lui indiquant d’autres délais possibles, était d’ailleurs signé « Immigration Section / AB ».
Me Achtari est d’avis qu’il faut revoir ce système en profondeur.
Selon l’avocate, ce serait tellement plus efficace si les demandeurs pouvaient parler directement à des agents d’immigration qui ont accès aux dossiers et qui peuvent répondre rapidement aux questions.
Le souhait le plus cher
L’approche des Fêtes, un moment de réjouissance pour la plupart des familles, est devenue source de souffrance pour Marie-Flore Kapamba.
« Ça fait plusieurs années que je n’ai pas fêté Noël », lance-t-elle. « Ça fait plusieurs années que ça me prend beaucoup d’audace […] pour l’appeler et lui dire : “Bonne fête des Mères”. Comment peux-tu prendre ta mère, l’enfermer dans un appartement en Afrique du Sud et oser l’appeler pour lui dire bonne fête? »
Au téléphone avec sa mère, la conversation est empreinte de tristesse et d’angoisse. Après 13 ans de promesses brisées, Mme Kapamba est à court d’arguments pour la rassurer.
Elle est ma mère – et elle ne peut pas le dire – mais je pense qu’au fond d’elle, peut-être qu’elle ne me croit plus.
Dans un ultime cri du coeur, Marie-Flore Kapamba demande l’intervention du ministre de l’Immigration : « Je veux avoir ma mère à la maison pour Noël. »
Après la diffusion de notre reportage, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a répondu aux questions qu’on lui avait posées, il y a plus d’une semaine. Dans un long courriel, le ministère énumère certaines des étapes et des délais rencontrés dans le dossier de Mme Kapamba et de sa mère.
Pour ce qui est de l’état actuel du dossier, IRCC explique qu’en août 2016, le bureau des visas a reçu la mère en entrevue. Trois mois plus tard, le 21 novembre 2016, « un agent examinait le dossier », écrit le ministère.
Ce dernier soutient que quelqu’un devrait communiquer avec sa mère prochainement pour l’informer des prochaines étapes.
6/12/2016
Source: http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003961/immigration-canada-residente-ottawa