Connaissez-vous l’African Leadership University? Et Carnegie Mellon University in Rwanda? Ou encore l’Ashesi University (Ghana)?
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La future élite africaine se forme sur les bancs des universités 2.0
La Tower House de Kigali est l’une des têtes de pont de la nouvelle élite africaine. Cet immeuble hérité de l’ancienne compagnie des télécoms du Rwanda abrite depuis 2011 l’unique antenne africaine de l’une des plus prestigieuses universités américaines, la Carnegie Mellon University (CMU). Une aubaine pour ce petit pays de 12 millions d’habitants qui compte sur « l’économie de la connaissance » pour grandir.
« Nous sommes la seule université d’envergure mondiale implantée en Afrique, avec des professeurs qui vivent à plein temps ici, et une parfaite équivalence avec le programme délivré à Pittsburgh [en Pennsylvanie], souligne fièrement Michel Bézy, le directeur de l’établissement. Stanford a bien un programme au Ghana, mais les enseignants se contentent de venir quinze jours de temps en temps. »
Le cursus, prise en charge à 100 % par le gouvernement rwandais, permet à trente étudiants triés sur le volet de décrocher un master en technologies de l’information ou en ingénierie informatique. La troisième promo sera diplômée en juin. « Jusqu’à présent, tous nos étudiants ont trouvé un travail en moins de six mois », se félicite M. Bézy.
Né au Congo, formé en Belgique et aux Etats-Unis, le directeur de l’antenne africaine de la Carnegie Mellon vit à Kigali depuis cinq ans. Sa seule inquiétude ? Que ses meilleurs étudiants s’envolent sous d’autres cieux sitôt leur master en poche. « Je suis écœuré des Occidentaux qui prétendent aider l’Afrique et s’empressent de piller ses ressources naturelles, ses plus brillants cerveaux et ses meilleures idées », s’énerve M. Bézy.
« Une goutte d’eau dans l’océan »
Au Rwanda, un jeune issu de la CMU peut espérer gagner de 7 000 à 8 000 dollars par an (entre 6 100 et 7 000 euros), contre 120 000 à 160 000 dollars en Californie. Esther Kunda, une des étudiantes les plus prometteuses de l’université, a vu le tapis rouge américain se dérouler sous ses pieds, mais a choisi de rester. « Cette université apporte le monde à Kigali. Les multinationales sont de plus en plus nombreuses à s’installer en Afrique. Pourquoi irai-je ailleurs ?, s’interroge-t-elle. C’est bien plus intéressant d’être ici. Il se passe tant de chose ! » Après avoir travaillé pour Tigo, l’un des géants des télécoms en Afrique, elle a rejoint Intel, qui a conclu un contrat avec le ministère de l’éducation pour aider tous les étudiants à se doter d’un ordinateur portable.
Michel Bézy a bien conscience que ses étudiants sont « une goutte d’eau dans l’océan ». Mais un projet de grande envergure pourrait changer la donne : l’African Leadership University. Alors que la plupart des cursus en Afrique se focalisent sur le « par cœur », ce programme ambitionne comme la CMU de former une élite créative et pragmatique, armée pour répondre aux problématiques africaines.
Un premier campus a ouvert sur l’île Maurice et un deuxième ouvrira en septembre au Rwanda, avec 200 étudiants recrutés sur l’ensemble du continent. La première année, le cursus associe des cours en ligne, créés par les business school les plus prestigieuses (Harvard, Wharton), et des sessions de haut niveau, trois fois par an à Kigali. La seconde année, les enseignements sont délivrés par la société de conseil McKinsey. Le panel des enseignants est un mini-Who’s Who du continent : on y trouve Donald Kaberuka, l’ancien patron de la Banque africaine de développement, Alexander Cummings, l’un des tops managers de Coca-Cola, ou encore Sizwe Nxasana, qui dirigeait la FirstRand (l’une des principales banques sud-africaines) jusqu’en septembre 2015.
Créer la première « business school panafricaine »
Le programme s’adresse à des personnes qui travaillent déjà et ont les moyens de s’offrir ce MBA 2.0. « Ils débourseront 30 000 dollars, soit un dixième du coût d’un MBA classique aux Etats-Unis », indique Fred Swaniker, le fondateur de l’African Leadership University. « Un autre programme, destinés aux étudiants, coûtera entre 7 000 et 10 000 dollars. Pour ceux qui ne pourront pas s’acquitter de cette somme, nous prévoyons de mettre en place un réseau de sponsors. Il s’agirait pour les investisseurs de miser sur un jeune prometteur, et de recevoir en contrepartie 10 % du salaire perçu au début de sa carrière », ajoute ce Ghanéen qui a vécu dans différents pays africains et a fait ses classes à Stanford, en Californie.
Lui ambitionne, avec plusieurs investisseurs de la Silicon Valley, de créer la première « business school panafricaine ». Pour créer un réseau de vingt-cinq campus capables de former chacun plusieurs milliers d’étudiants, il a déjà levé 25 millions de dollars et en cherche 100 de plus. Son tour de table a de quoi faire rêver : la famille Oppenheimer (fondateur de DeBeers, un conglomérat diamantaire sud-africain), l’un des investisseurs de la première heure de Facebook, et le fonds d’investissement « philanthropique » de Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay. Ce dernier a mis 17 millions de dollars dans l’affaire. « C’est une opportunité fantastique de redessiner l’éducation en Afrique », s’enthousiasme Arjuna Costa, l’un des associés d’Omidyar Network, qui a lui-même fait fortune comme banquier à Wall Street. Le fonds sera aux premières loges pour repérer les start-up prometteuses de cette nouvelle élite.
Source: Le Monde