Depuis huit mois, la Guinée, premier pays à avoir déclaré les premiers cas d’Ebola, se bat encore contre le virus. Si l’OMS a timidement annoncé des signes de fléchissement au niveau des nouvelles infections, la situation reste critique. Et les besoins humains et matériels demeurent importants. A l’occasion d’une séance spéciale organisée à l’Académie nationale de médecine, le Pr Aboubacar Sidiki Diakité, inspecteur général du ministère de la Santé guinéen, est revenu sur la genèse du combat contre l’épidémie.
Bien que déclarée le 21 mars par Conakry à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’épidémie avait en réalité débuté fin décembre 2013, dans la zone forestière de Guinée. Mais « la faiblesse des moyens de surveillance et de prévention de notre pays nous a empêché de nous rendre compte de la situation plus rapidement », souligne le Pr Aboubacar Sidiki Diakité. Et lorsque le premier cas testé par le laboratoire Pasteur de Lyon est revenu positif, « aucun de nous ne s’attendait à cela. Dans le pire des scénarii, nous avions pensé à la fièvre Lassa. » Cette situation a donc « provoqué un peu de panique au début ».
Rapidement toutefois, le comité de crise sanitaire, s’est mis en ordre de bataille. Cependant, la stratégie adoptée n’a pas été la adéquate. « Le mauvais message avait été envoyé », admet-il. Les autorités ont ainsi répété à l’envi qu’Ebola était mortel… « Or en Afrique, le réflexe, si on vous dit que vous êtes condamné, c’est de rester chez vous et de mourir parmi les vôtres », explique l’officiel guinéen. Par conséquent, les populations ont caché leurs malades et refusé l’isolement dans les centres de prise en charge… « Ce fut un mauvais facteur pour la prise en charge de cette catastrophe. »
Suivre 3 000 à 4 000 personnes contacts par jour…
La Guinée manque de moyens humains et matériels. Mais la résistance de la population à se signaler en cas de fièvre et à accepter le suivi pendant la période d’incubation (21 jours maximum) représente un énorme frein à la lutte contre l’épidémie. Depuis des mois, les stratégies de communication ont heureusement évolué. « Des contributions extérieures d’experts comme celles du Pr Marc Gentilini nous ont permis d’améliorer le message », souligne le Pr Diakité. Aujourd’hui, insiste-t-il, « nous rappelons que le virus n’est pas toujours mortel ». D’ailleurs, « 40% des malades sortent guéris des centres de traitement. »
Par ailleurs, les autorités de santé nationales et les organisations étrangères intervenant sur place se sont rendu compte de l’importance de s’adresser directement aux populations. « La radio, la presse ne suffisent pas », insiste Aboubacar Sidiki Diakité. « En Guinée, il y a plusieurs communautés. Elles n’ont pas toutes les mêmes perceptions, les mêmes comportements culturels. Il a donc fallu appliquer des stratégies de communication particulières, en passant par les leaders locaux. » Lui-même s’est rendu personnellement dans deux localités, où il connaissait des personnes influentes. « Si les coutumes sont respectées, les réticences sont réduites et les familles plus ouvertes au suivi des contacts. »
Une urgence humaine
Le travail de suivi des personnes ayant été au contact de malades Ebola représente un véritable défi dans ce pays aux transports et aux infrastructures peu développés. D’autant que 16% d’entre elles développent Ebola. « Un cas est une épidémie potentielle à lui seul. » En moyenne, « nous devons suivre 3 000 à 4 000 personnes contacts chaque jour », rappelle le Pr Diakité. En Sierra Leone, les centres de prise en charge communautaires, proches des familles, et où travaillent des membres de la communauté, sont porteurs de beaucoup d’espoir. Mais les améliorations au niveau du dispositif mis en place en Guinée, « la mobilisation est en déphasage avec la maladie », souligne-t-il. « Nos pays (Guinée, Libéria et Sierra Leone) ont de faibles moyens et doivent être assistés. »
Un appel déjà maintes fois lancé par plusieurs instances et organisations depuis plusieurs mois. Et si les moyens ne parviennent pas en quantités suffisantes ? « Le risque économique et donc d’instabilité politique existe », indique le Pr Diakité. « Une famille avec un cas d’Ebola est une famille sans travail, donc sans ressources… au-delà de l’urgence purement sanitaire, c’est une urgence humaine. » Tout simplement.