« Zadi est un chauffeur de taxi qui habite le quartier d’Abobo. Chaque matin, il contrôle ses pneus, le niveau d’huile et met de l’eau dans son moteur ». Cette phrase qui pourrait être extraite d’un livre de CP est lue avec hésitation par Dame Kouassi Claudine, 67 ans, mère de 8 enfants. Voici trois ans qu’elle fréquente un centre d’alphabétisation dans le quartier populaire de Yopougon (Abidjan-nord). Ne sachant ni lire ni écrire à son arrivée, elle est capable aujourd’hui de réaliser des calculs pour son petit commerce et de lire un texte en français courant.
Dans le centre d’alphabétisation de Yopougon 1 où nous retrouvons Dame Kouassi Claudine, le visiteur d’un jour sera agréablement surpris de voir des mères de famille aux cheveux grisonnants apprendre de façon sage à lire et à écrire. L’âge des apprenants, majoritairement des femmes, varie entre 17 ans et 67 ans. La majorité d’entre elles sont des commerçantes ou des femmes au foyer n’ayant pas eu la chance d’aller à l’école.
Pourquoi ces femmes ont-elles renoué avec le plaisir d’apprendre ? « Les femmes sont foncièrement différentes des hommes. Elles n’ont pas honte d’apprendre et ce sont elles qui viennent parce que lire et écrire leur apporte quelque chose de plus. Nous avons fait une expérience et force est de constater que ces femmes deviennent meilleurs gestionnaires et plus autonomes une fois qu’elles savent lire et écrire » nous explique Madame Koffi le chef d’antenne de la Coordination l’Alphabétisation de Yopougon 1.
Cette explication de Madame Koffi est confirmée par Blon Blandine une auditrice. « J’ai toujours eu honte de parler en public de peur de faire des fautes parce que je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école. Même quand un homme m’aborde dans la rue, j’ai tellement honte de parler que je le fuis ! J’étais handicapée et même quand je reçois un courrier intime, c’était quelqu’un d’autre qui devait me le lire ! Je n’avais pas de vie privée parce que je ne savais ni lire ni écrire » souligne la jeune femme. Pour N’da Affoué « ne pas savoir lire et écrire c’est vivre dans l’obscurité. Quand je me déplaçais dans la rue, je voyais des pancartes ou des panneaux avec des écritures. Je savais que ces pancartes portaient un message mais je ne pouvais les décrypter. J’étais toujours obligée de demander autour de moi qu’est ce qu’on dit ici. Je dérangeais tout le monde et au final j’ai décidé de venir apprendre à lire et écrire ».
Dans un centre d’alphabétisation, les méthodes utilisées sont différentes de celles du cursus classiques. Ces méthodes loin d’intimider les femmes les encouragent à apprendre plus vite. Madame Koffi, le chef d’antenne de la coordination l’alphabétisation de Yopougon 1 nous explique que « l’univers de l’alphabétisation est composé de symboles qui renvoient à la femme ». Un pilon arrêté pour former un “l”, une calebasse ouverte à droite pour écrire un “c”, une calebasse renversée pour former un “n”…Cet univers plutôt amusant qui renvoie la femme à sa cuisine et son quotidien de tous les jours est une source de motivation complémentaire. Il y a de véritables avantages à savoir lire et écrire et Dodo Mélanie une autre coordinatrice en alphabétisation estime que le premier mur à faire tomber est celui de la honte. « Certains hommes se disent, si je vais apprendre mes amis vont se moquer de moi. Par pur orgueil, ils restent enfermer dans leur ignorance. Or les femmes surmontent les moqueries, la peur, la honte et viennent apprendre à calculer, lire et écrire. Certaines se font aider par leurs enfants pour les révisions quand elles sont à la maison » nous explique la coordinatrice.
« Il n’y pas de honte à apprendre quelque soit son âge » voici le message des apprenantes du centre d’alphabétisation à l’endroit de toutes les personnes qui hésitent à retourner sur les bancs d’une salle de classe.
SUY Kahofi pour ExcelAfrica
02 AVRIL 2013