Congo – Au chevet de l’école congolaise
Ecole Démocratique – [15/05/06]
Le système éducatif de la République Démocratique du Congo (RDC) est en crise depuis plus de deux décennies. Telle est la leçon essentielle qui se dégage du numéro spécial de la revue Ecole Démocratique consacré à l’évaluation de l’éducation pour tous en RDC d’ici 2015. Selon les textes contenus dans ce numéro, non seulement l’école congolaise ne dessert pas, comme il se doit, la population scolarisable, mais encore elle se déprécie de plus en plus qualitativement, de telle sorte que les acquis des élèves laissent fort à désirer, en même temps que se dégrade au fil des années le métier d’enseignant. Que faire pour redresser la qualité de ce système ?
Autour de cette question, les réflexions contenues dans la revue précitée proposent diverses pistes de réponses. Certaines insistent sur la détermination nationale, faite autant de la volonté politique, de la détermination gouvernementale, que de la détermination populaire autour de la question éducative ; d’autres mettent plutôt l’accent sur la nécessité de mener au préalable une importante recherche qui établirait minutieusement l’état des lieux actuel de l’école congolaise ; d’autres encore soutiennent la restauration préalable de la dignité du métier d’enseignant….
Toutes ces propositions, et bien d’autres non préconisées dans cette publication, sont de nature à inciter à l’amélioration de l’efficacité du système éducatif de la République Démocratique du Congo ; l’état de la dégénérescence de ce système étant si avancé que tout y paraît aujourd’hui prioritaire.
Dans le présent texte, notre attention porte singulièrement sur l’instauration de la pédagogie active et participative comme l’un des moyens susceptibles de contribuer significativement au redressement de la qualité de l’école congolaise. La réflexion s’appuie sur la session de formation organisée à Kinshasa par la coordination nationale des écoles conventionnées protestantes du 24 octobre au 5 novembre 2005 à l’intention des coordonnateurs provinciaux et communautaires, session consacrée justement à la pédagogie active et participative.
Après avoir décrit brièvement les styles didactiques qui prédominent actuellement en RDC, et leurs principales conséquences, nous allons faire allusion à la pédagogie active et participative, telle qu’enseignée aux participants de l’atelier de Kinshasa, comme l’une des solutions aux problèmes auxquels l’école congolaise se trouve aujourd’hui confrontée.
Des styles didactiques en RDC et leurs conséquences
Plusieurs facteurs influent sur la qualité d’une école : l’environnement dans lequel elle fonctionne, l’interaction maître-élève, les conditions matérielles, pédagogiques, la qualité des maîtres, etc. Même si aucun de ces facteurs n’est en théorie plus efficace que d’autres, Carron & Ta Ngoc Châu (1998) notent que les différences des résultats entre écoles sont davantage liées à la qualité du maître qu’à la disponibilité de l’équipement. Un maître est efficace lorsqu’il possède, entre autres, un style d’enseignement plus actif. Suivant ce style, l’apprenant est mis en situation-problème et construit lui-même son savoir.
Il est impliqué dans des situations qui lui permettent d’utiliser ses compétences et de les faire évoluer au cours de la formation. Par conséquent, le rôle de l’enseignant change fondamentalement par rapport au style transmissif ; il favorise des recherches et anime la confrontation des résultats. Il ne s’agit donc plus de faire la leçon mais d’organiser des scénarios d’apprentissage qui permettent aux élèves de travailler et de développer leurs connaissances. « Ce rôle requiert des compétences fines d’observation et d’évaluation, une capacité à prendre de la distance tout en étant présent à chaque instant » (Forster, 2005, p.38). Est-ce ce style qui prédomine dans les écoles congolaises aujourd’hui ? Si non quels styles didactiques y prévalent-ils le plus : le modèle transmissif ou encore les méthodes interrogatives ?
Pour avoir des éléments de réponse à ces questions, interrogeons d’abord la littérature scientifique afférente avant d’évoquer ce que nous renseigne l’observation de la réalité quotidienne des salles de classes.
De la recherche sur les styles didactiques
Faute de synthèses des recherches effectuées dans toutes les institutions universitaires de la RDC, notamment dans les facultés de psychologie et des sciences de l’éducation et dans les instituts supérieurs pédagogiques, nous nous référons uniquement aux études réalisées à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Kisangani.
Au cours des décennies 70 et 80, plusieurs recherches se sont intéressées, au sein de cette faculté, à l’étude des styles didactiques (Nzundu : 1973, Paluku : 1974, Luhahi & Kitumba : 1976, Kumakamba : 1977, Kalala : 1979, Bypa : 1982, Ndandula : 1987, Yangoy : 1989…), particulièrement sous l’impulsion du professeur Lumeka. La quasi-totalité de ces études ayant abouti pratiquement à la même conclusion, nous résumons ci-après la plus récente d’entre elles, à savoir la recherche de Yangoy.
Dans cette étude, le chercheur a procédé à la description des comportements didactiques tels qu’ils se déroulent dans les classes en dégageant ceux qui sont les plus caractéristiques. Il a dû, pour cela, observer 42 leçons d’arithmétique, 42 leçons de français et 27 leçons des sciences assurées par 27 enseignants de tous les trois degrés de l’école primaire (élémentaire, moyen et terminal). Au terme de la recherche, il a été constaté que l’enseignant congolais se maintient au centre de l’action éducative et son style est dominé par la transmission des connaissances d’une manière magistro-centrique.
Fondée sur la conception qui considère l’apprenant comme un être à dresser et non à faire germer et éclore, cette didactique a des conséquences néfastes sur la formation et l’avenir de l’apprenant. Peut-on attendre d’une personne formée dans une didactique dirigiste l’esprit d’initiative, de recherche, voire de participation ? Peut-on s’attendre à ce qu’un Congolais formé au moyen de cette didactique, de l’école primaire à l’université, puisse être inventif et qu’il soit plus tard apte à participer efficacement à la réalisation des travaux qui nécessitent l’implication d’un groupe ?
De l’observation quotidienne des salles de classes
Il suffit d’observer les salles de classes congolaises pour découvrir à quel point la conclusion tirée par Yangoy est pertinente. Pour paraphraser Paulo Freire (1980), on peut dire que la relation entre l’enseignant et l’élève congolais est essentiellement verticale, fondée sur le fait que l’enseignant est celui qui sait et l’élève celui qui ne sait pas. L’enseignement se réduit dans ces classes à des communiqués que le premier fait et que le second enregistre. Il ne s’agit donc pas d’une véritable communication entre deux personnes qui interagissent et s’enrichissent mutuellement.
Outre le modèle transmissif, on enregistre également dans les classes congolaises la méthode interrogative. On y est donc loin des méthodes actives, comme le souligne si éloquemment le témoignage ci-après d’un participant à l’atelier de Kinshasa :
« Habitué aux méthodes pédagogiques traditionnelles, je me disais certainement : ce sont les mêmes choses que je vais encore suivre. Curieusement, au fur et à mesure qu’on évoluait avec cette formation, les thèmes développés m’ont semblé intéressants au point où la fatigue n’a pas eu sa place. Je dois reconnaître que la méthode utilisée souvent dans nos écoles, à savoir la méthode dite active, n’est rien d’autre que la méthode interrogative que le formateur qualifie de micro-agression. J’ai alors compris la différence qui existe entre la pédagogie active et participative et la méthode interrogative. »
On sait cependant avec Paccolat (2002, p. 28) que dans la méthode interrogative, comme dans la méthode magistrale, l’enseignant reste le cerveau moteur de la leçon.
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