Sénégal – Pr Abdou Salam Sall, recteur de l’Université Cheikh Anta Diop : « Il faut construire un consensus national sur l’université »
Le Soleil – [16/12/05]
Nommé recteur en juillet 2003, il n’a pas tardé à élaborer une vision, instruite par le chef de l’Etat Abdoulaye Wade, articulée autour de 6 paramètres : la qualité, la pertinence, la coopération, l’Internet et les communications, ainsi que les finances et les étudiants. Au bout de deux ans et demi de fonctionnement, il estime que l’environnement a beaucoup changé à l’université.
Le Pr Abdou Salam Sall, est convaincu que le monde de demain ne sera pas fondé sur les ressources minières, mais plutôt sur les ressources humaines. Dans la même veine, il pense que si l’on construit le consensus nécessaire (car l’université est une affaire de la cité), en moins de cinq ans, le Sénégal pourrait participer à la Société de l’innovation.
Au Sénégal, on ne sent pas l’impact de l’université sur le développement réel ; cela pose la problématique des rapports entre l’institution et la société. Qu’en pensez-vous ?
Vous avez parfaitement touché du doigt la problématique. Les universités doivent construire leur efficience qui se mesure par les flux internes, mais aussi par l’insertion des diplômés, l’impact de l’université dans le développement socioéconomique. Pour ce faire, nous avons trois outils. D’abord les curricula pour lesquels, nous avons engagé la réforme LMD (Licence, masters, doctorat) et, plus particulièrement, nous avons beaucoup insisté sur le savoir-faire au niveau des Masters ; savoir-faire qui s’articule avec les atouts différenciés économiques du Sénégal. Nous avons invité, dans ce sens, la directrice de l’Apix pour qu’elle décline les gisements utiles d’emplois du Sénégal et qu’on puisse bâtir des curricula pour anticiper. D’ores et déjà, 50 maquettes de Masters sont déjà confectionnées et, au mois d’avril, nous ferons une retraite avec tous les acteurs pour valider l’offre de Master de l’Ucad.
Ensuite, vient le domaine de la recherche ; nous avons constaté que notre recherche n’impacte pas suffisamment notre développement socioéconomique, qu’elle était cloisonnée, n’était pas visible. Pour construire cela, nous avons proposé trois directions dont les écoles doctorales (il y en aura 6). L’Ucad compte 1.100 enseignants et chercheurs excellents. Le Pr Souleymane Mboup a isolé un des virus du Sida. Lorsque les évaluateurs des Nations unies étaient venus au Sénégal, ils étaient impressionnés par deux choses : les ressources humaines de qualité du Sénégal, pas seulement à l’université, mais à l’Apix, dans les ministères, les centres de recherche, etc. Mais, lorsqu’ils ont visité des laboratoires, notamment celui du Pr Mboup, ils ont déclaré que le Sénégal est une exception et qu’il mérite leur attention. C’est ainsi que nous avons eu le Parc scientifique. Nous nous organisons pour mieux impacter le développement socioéconomique.
Nous avons, tout récemment, travaillé avec le patronat pour la célébration de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique. Avec le Centre de mesure en construction, on peut aider l’industrie sénégalaise dans le sens de la normalisation et de l’innovation. Nous sommes conscients que c’est un processus en construction. L’université ne forme pas pour une insertion dans le marché du travail, mais pour ouvrir le marché du travail. C’est la raison pour laquelle le Parc scientifique fonctionnera dans un processus continu de transfert à partir de quatre directions : Tic, Biotechnologies, Aquaculture et la Confection. Nous avons tenu compte des atouts différenciés du Sénégal pour les amplifier par des résultats scientifiques et créer des emplois. Par ailleurs, bien que la force de l’université de Dakar reste la Faculté de Médecine, il faut reconnaître qu’il y a un problème que le président de la République a soulevé. En effet, tous les professeurs ne sont accessibles qu’à Dakar. Comment faire pour que les autres puissent accéder à eux ? C’est tout le paradigme qui fonde les camps de vacances citoyennes. Vous avez raison, nous avons aujourd’hui le devoir de construire notre efficience et de nous rendre utiles pour tous les Sénégalais. Déjà, l’expertise universitaire se met de plus en plus à la disposition du pays.
Le problème est que cette expertise a tendance à se disperser. Que répondez-vous à cela ?
C’est vrai que pour des problèmes alimentaires (il faut le dire très clairement) les collègues étaient très dispersés. La nouveauté est que le président de la République et le gouvernement, dans le cadre de la consolidation des ressources humaines, vont améliorer les ressources financières des travailleurs de l’université. Il n’y avait pas au niveau de l’université une dynamique collective. Ce qui est le contraire de nos jours. Nous savons que ce sont nos collègues qui font tourner l’enseignement privé supérieur, qu’ils assurent beaucoup d’expertise, et souvent au noir. Premièrement, nous avons autorisé les collègues, par une délibération de l’Assemblée de l’université, à vendre leur expertise. Deuxièmement, cette expertise doit être visible ; l’université doit y retrouver son compte en respectant ses fonctions régaliennes de formation des étudiants, mais aussi, par un pourcentage qui doit revenir à l’université. Un texte sur la fonction de services a été sorti. Nous allons légiférer sur la vente d’expertise de sorte qu’elle bénéficie à l’université. C’est la raison pour laquelle, outre le Centre de mesure, nous allons construire une Polyclinique universitaire et les collègues se regrouperont pour impacter davantage.
Ne va-t-on pas, dans ce cas, vers une privatisation de l’Ucad ?
Ce qui a manqué à l’université, c’est un texte sur la propriété intellectuelle. Lorsque nous avons discuté avec des universités américaines sur des programmes de recherche très pointus, elles nous ont demandé les droits de propriété intellectuelle. Et, puisque nous n’en disposions pas, elles nous ont demandé de régler d’abord cet environnement juridique. Nous avons maintenant un service de la propriété intellectuelle et de la valorisation. Le processus de transfert était négligé, nous le prenons dorénavant en charge, de sorte que toutes les prestations peuvent, en toute éthique, être codifiées avec des clés de répartition qui ne lèse personne. La formation continue payante fait partie de notre stratégie comme l’a recommandé l’Unesco. Plus de 200 millions francs Cfa ont été engrangés sur la formation continue en deux ans et demi.
Maintenant, est-ce à dire que l’université sera privatisée ? Vous savez que le modèle le plus achevé de l’Enseignement supérieur est le système anglo-saxon. Les étudiants payent ; aux Etats-Unis, les étudiants peuvent emprunter au niveau des banques pour payer et il est mis dans leur Constitution que l’accès à l’Enseignement supérieur est un droit. Au Sénégal, c’est aussi un droit et il doit être équitable. Toutefois, il est connu de tous que les droits d’inscription restent ce qu’ils sont depuis des décennies, alors que nous payons plus pour nos enfants dans le primaire et le secondaire. Pourtant, l’Enseignement supérieur coûte cher. Pour que le principe de l’accès équitable soit, il faut construire l’environnement adéquat. C’est la raison pour laquelle nous allons créer une Fondation et des crédits seront "priorisés" pour des étudiants qui les rembourseront après. L’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) vient de prendre une directive importante indiquant que tous les étudiants ressortissants de l’Union auront les mêmes droits dans les universités de l’Union. Cela ne signifie point que ces universités ont des droits harmonisés ; cela veut dire tout simplement que l’étudiant malien, en 2007, paiera les mêmes droits que l’étudiant sénégalais à l’université de Dakar. Nous avons très rapidement fait les comptes. L’Ucad a 10 % d’étudiants étrangers dont la majorité vient des pays de l’Union, ce qui nous fait un manque à gagner de 150 millions de FCfa au minimum. Mais, si nous utilisons cette donne comme opportunité, c’est-à-dire que tous les étudiants de l’union participent pour une somme (à définir) pouvant aider les établissements à la base, avec les simulations faites à la base, la mesure peut être une opportunité. Nous nous réjouissons que l’Uemoa s’intéresse à l’Enseignement supérieur. En l’état des discussions et dans un processus qui sera amélioré, l’Ucad recevra 1 milliard 600 millions de francs Cfa pour financer sa réforme : les Master et la recherche.
D’où proviendra cet argent ?
C’est la Banque africaine de développement (Bad), qui pour l’instant, a mis 12 milliards de francs Cfa. L’Uemoa est en train de mobiliser les autres bailleurs. L’objectif est de mobiliser plus de 250 milliards pour l’Enseignement supérieur. Donc, il y a toute une stratégie développée pour faire participer tout le monde, y compris les étudiants et les anciens formés à l’université. Il ne s’agit pas uniquement de donner de l’argent, mais aussi de participer à la définition des curricula, au contrôle de la gestion de l’argent public et privé, parce que l’université ne nous appartient pas, mais à la société. Il est temps que la société soit présente, de façon structurelle, au niveau de l’université, via la Fondation.
En Afrique, l’enseignement universitaire est conçu de manière très nationaliste. Ne pensez-vous pas qu’il y a lieu de créer des pôles de compétences pour chaque université dans un domaine où elle est la plus performante ?
Il y a des normes proposées par l’Unesco, notamment que 2 % de la population doivent être dans les universités pour impacter le développement d’un pays. Le Sénégal compte 10 millions d’habitats, alors que dans le Supérieur (universités publiques et privées confondues), il y a environ 70.000 étudiants. Pour autant de population, la Tunisie compte 360.000 étudiants. Au début des indépendances, nous avions créé des écoles inter-Etats qui n’ont pas créé les masses critiques escomptées pour le développement du continent. Il faut donc créer plus d’universités. L’Ucad a été créée en 1957 par la France. Elle a un caractère sous-régional et elle le garde jusqu’à ce jour, puisqu’elle compte 39 nationalités. Mais l’Ucad a travaillé en rapport avec le gouvernement pour concevoir la carte universitaire du Sénégal. Les maquettes de l’université polytechnique de Thiès sont prêtes depuis trois ans, ainsi que celle du Centre universitaire régional (Cur) de Bambey. Mais la nouveauté est que les maquettes de l’université de Ziguinchor sont prêtes. Il faut diversifier l’offre d’accès dans l’Enseignement supérieur car Dakar a fait le plein et l’on a une forte pression sur l’accès. Est-ce des universités nationalistes ? Je ne le pense pas.
L’Ucad ne doit-elle pas emprunter la voie de la diversification des filières enseignées ?
C’est dans la voie qu’on s’est inscrit avec la réforme LMD. Nous aurons des Masters en conception, en migration, puisque le Sénégal est confronté à ce phénomène migratoire et que cela peut être une opportunité. Il faut former des jeunes qui puissent appréhender le phénomène et y tirer le maximum de profit. Nous créerons des Masters en biologie cellulaire et moléculaire. Pour la définition de ces maquettes, les collègues de Dakar travaillent avec ceux de l’extérieur. Il s’agit donc pour nous d’ouvrir au maximum, pour avoir des masses critiques mais aussi partager des contenus pour former le maximum d’étudiants avec des standards de niveau international. Effectivement, la réforme LMD prend en charge la diversification des filières de formation.
Cette réforme LMD peut-elle être réellement réalisable en Afrique ?
Il faut savoir qu’au niveau de l’Afrique on ne pose pas la question de l’application de la réforme LMD. Le questionnement porte sur la manière. Toutes les universités se sont rencontrées à Yaoundé (Cameroun) et la décision de son application a été prise. Tout récemment, lors d’un séminaire, l’une des success stories présentées, c’était la réforme LMD à l’Ucad. La réforme LMD n’est qu’un référentiel mondial d’organisation de l’Enseignement supérieur. Le référentiel est identique partout dans le monde. Il permet une meilleure visibilité des contenus, la mobilité (le référentiel étant identique). Mais la mobilité en elle-même n’est pas absolue. Depuis 2004, le texte juridique a été adopté par l’Assemblée de l’université et des maquettes ont déjà démarré. Pour un établissement comme l’Ecole des bibliothécaires et archivistes de Dakar (Ebad), non seulement la maquette est en œuvre, mais également l’Ebad vend des formations en ligne. Elle gagne autant le budget que lui alloue l’université par la formation continue. Avec le LMD, l’Ucad s’est mise dans le wagon mondial des universités. Nous nous réjouissons que beaucoup de nos étudiants puissent bouger facilement et nous recevons aussi beaucoup d’étudiants à cause de cela. Autant les experts de la Banque mondiale restent sur des agrégats macroéconomiques, autant il nous appartient de commanditer une étude au niveau du Centre de recherche économique appliquée (Crea) sur l’impact de l’Enseignement supérieur dans le développement socioéconomique. On nous fait assez souvent une fausse querelle, que l’on est les moins nombreux du système et que l’on consomme le plus de budget. Cela est réducteur. Il faut voir si l’on est suffisamment efficace pour aider l’économie à avancer. Il est vrai que la part de l’Etat est énorme dans le budget des universités. Il faudrait qu’on arrive, par le management, à corriger cela. Il y a plusieurs variables. Dans le cadre du Sénégal, concrètement, je crois que l’Etat doit encore améliorer sa participation. Avec les accords que nous avons eus avec des partenaires, il faudra consolider ce qui nous appartient. Il s’agit, par des méthodes managériales, d’optimiser les ressources de l’Etat et en trouver d’autres pour nos ambitions. C’est ce que nous sommes est en train de faire par la fonction de services, au niveau de la coopération, par le plan de développement stratégique de l’Ucad, mais à moyen terme, car les choses changent à une vitesse rapide. Nous cherchons à mobiliser 20 milliards grâce aux bailleurs des universités. Un consortium de bailleurs d’universités américaines est intéressé par 2 sous-programmes : celui du leadership des femmes à l’université et le centre de ressources technologique et pédagogique. C’est dire que nous faisons une gestion-programme. Je suis d’accord que d’autres acteurs doivent venir participer au développement. C’est ce qui explique la création de la Fondation, mais aussi le débat que nous devons avoir avec les étudiants sur leur contribution. Il faut qu’on se situe dans un modèle progressif et qu’on démontre, chaque jour davantage, l’utilité des universités pour tous les segments. Il faut aussi ouvrir les autres centres et universités qui participent de la paix.
Et comment se fera cette réforme au niveau de la Faculté des lettres et sciences humaines ?
Il n’appartient pas au recteur de dire comment les choses vont se dérouler dans les formations. La réforme LMD est une réponse pour l’internalisation de nos atouts différenciés. Comment expliquiez-vous qu’au niveau de l’Ucad, avec le nombre aussi important en langues, l’on ne mette pas à profit la traduction et l’interprétariat. Un marché qu’on peut attaquer au niveau des Nations unies. C’est un gisement d’emplois. Vous avez constaté la délocalisation des « call centers » à Dakar. Cela s’explique par la bonne formation donnée aux étudiants. C’est cela la réforme LMD : saisir les opportunités pour régler nos problèmes à travers une bonne formation.
Quelle place pour la gestion des tensions sociales dans votre vision ?
La question est très importante parce que si l’on analyse l’histoire de l’Ucad, chaque année, il y a eu des perturbations qui sont dues aux enseignants, au personnel administratif, technique et de services, mais aussi et surtout aux étudiants. Nous essayons, par l’anticipation, de discuter avec tous ces segments, pour corriger les choses et avancer. Nous avons mis en place un médiateur à l’interne, pour que quand les circuits de dialogue sont épuisés, il puisse intervenir pour améliorer le dialogue à l’interne. Nous le faisons aussi en mettant en situation de responsabilité les étudiants. Il faut savoir que les amicales, outre leur présence dans les assemblées délibérantes, gèrent des salles Informatique avec connexion à Internet. De façon globale, nous essayons d’anticiper sur les questions et de discuter en impliquant tout le monde. Nous faisons comprendre aux étudiants (qui ont hérité d’une situation faite de lutte) que chaque génération a ses propres problèmes, doit appréhender les problèmes en fonction de l’environnement. Car au bout du compte, si l’université est un moyen de promotion sociale, lorsque l’on n’a pas les parchemins, on n’est pas promu. Nous leur demandons de défendre la vision si elle répond à leurs préoccupations. La défendre, c’est stabiliser l’université. Le gouvernement ne peut pas à lui seul financer l’université à la hauteur de nos ambitions. Nous sommes obligés d’aller chercher d’autres bailleurs qui ont d’autres paramètres d’évaluation ; entre autres, la stabilité du secteur. Arriver à faire internaliser par les étudiants que la grève n’est pas de leur intérêt relève d’un processus. Nous y travaillons. Au niveau des enseignants, il me semble que des efforts ont été faits avec les accords extraordinaires qu’ils ont eus avec le gouvernement. À terme, le salaire de l’assistant sera doublé. Nous pensons qu’avec tout l’environnement que nous sommes en train de construire pour l’amélioration des conditions de travail, l’accès à l’Internet, sur la mobilité, il me semble que les choses soient relativement bien stabilisées. Au niveau du personnel administratif et technique, nous avons, par le dialogue, pu établir des choses. Nous allons poursuivre, par la formation continue, les aider à se promouvoir à l’interne. Parce qu’en analysant la grille de ce personnel, l’on s’est rendu compte que seuls 6 % étaient à un niveau de maîtrise. Ce n’est pas acceptable au moment où on a besoin d’informaticiens, d’ingénieurs pour gérer les équipements lourds.
Le gros problème de l’Ucad concerne l’hébergement des étudiants. Il ne faut pas avoir peur d’en parler. Nous ne disposons que de 5.000 lits alors que nous allons avoir, cette année, 45.000 étudiants. Nous avons discuté avec le gouvernement. Trois pavillons seront construits grâce aux Malaisiens. Nous ferons tout accélérer le processus. Au niveau du conseil d’administration du Coud, nous avons dit qu’il faut adosser la codification aux critères d’excellence avec plus de transparence. Je dois féliciter les étudiants de la Faculté de médecine, pharmacie et odonto-stomatologie et de la Fastef qui ont appliqué ces mesures et l’on n’a pas entendu de bruit dans ces établissements. Nous avons besoin d’étudiants leaders, forts. Ils me reprochent d’être inaccessible. Vous comprendrez que je ne peux les recevoir chaque jour, mon travail portant sur le niveau interne et international. Des interlocuteurs forts nous permettrons d’avancer.
Toujours dans le même cadre, le respect de la hiérarchie fait souvent défaut lors des négociations durant les grèves. Les étudiants sautent souvent les chefs de département pour rencontrer le doyen. Cela ne risque-t-il pas de créer d’autres problèmes ?
La hiérarchie est respectée. Les amicales ont comme interlocuteur leur doyen et leur chef d’établissement. Quand elles épuisent la procédure avec le doyen, elles viennent voir le recteur. Après ce dernier, elles rencontrent le ministre avec qui nous travaillons en parfaite intelligence parce qu’il a été recteur. Jamais les étudiants n’ont été reçus au niveau du ministère sans la présence de leur chef d’établissement. Donc, globalement, les canaux de dialogue sont là. Mais, il faut reconnaître que les situations ne sont pas faciles. Pour éviter qu’elles ne se dégradent davantage, il faudrait ouvrir impérativement à la rentrée prochaine les centres universitaires dans les régions : l’université polytechnique de Thiès, le Cur de Bambey, l’université de Ziguinchor, et à partir de là, Dakar pourra recruter en fonction de ses places pédagogiques disponibles et faire véritablement la qualité. Le dialogue social existe. Les problèmes sont souvent sociaux. Nous faisons des efforts sur le plan pédagogique et le Centre de ressources technologiques et pédagogiques, non seulement s’occupera de la pédagogique mais aussi de l’évaluation des enseignements. On ne peut donner à un enseignant un enseignement qu’il répète 10 ans durant et que les étudiants ne comprennent pas. Si on mobilise de l’argent, il faut que le système soit efficace. Le centre s’occupera aussi de la production de la didactique, qui souvent nous vient de l’extérieur. Ce qui crée de l’aliénation. Le dialogue social existe, il faut l’améliorer. Cela passe par un consensus national sur l’université. Il faut le construire pour faire du Sénégal un pays émergent. Il existe des questions essentielles portant sur le développement qui doivent retenir l’attention des Sénégalais. C’est la raison pour laquelle, dans le cycle de conférences de l’Ucad, nous avons invité le juge Kéba Mbaye pour nous faire la leçon inaugurale le 14 décembre 2005. Il parlera du thème "L’éthique aujourd’hui". Comment on peut réarmer moralement tous les Sénégalais et que toutes les énergies soient concentrées sur le bien-être des Sénégalais, du plus grand au plus petit, en l’articulant avec nos valeurs de société pour nous permettre d’accéder à la Société de l’innovation.
Vous parliez tantôt d’efficience et d’efficacité. La Faculté des lettres et sciences humaines constitue le ventre mou avec seulement un budget de 180 millions de FCfa alors qu’elle compte environ 22.000 étudiants avec théoriquement 157 enseignants. D’où la faiblesse du taux d’encadrement. Comment atteindre alors la qualité dans une telle situation ?
C’est vrai, nous avons un problème de dysfonctionnement du système où l’on produit 75 % de bacheliers littéraires contre 35 % de scientifiques. Il faut rapidement corriger cette distorsion. Au moment où on parle se déroule Scientifika, pour attirer les élèves dans les filières scientifiques. Nous allons faire plus en déplaçant les collègues dans le primaire, y faire des expériences pour susciter des vocations dès le bas-âge. Nous travaillerons aussi avec les collègues du secondaire pour améliorer les stratégies d’apport scientifique dans les lycées. Mais dans le cas stricto-sensus de la Flsh, d’abord nous tournons cette année autour de 20.000 étudiants. Je crois que c’est l’opportunité de changer de façon radicale la Flsh. Quand on dit un Master en Migrations, les premiers concernés sont les étudiants de cette Faculté. D’ailleurs, c’est elle qui pilote ce Master. Quand on parle d’un Master en Télédétection, ce sont eux aussi les concernés, notamment ceux du département de Géographie. Aujourd’hui, avec l’introduction des Tic, on a l’opportunité de proposer d’autres filières. Ce Cesti (école des journalistes) devra forcément s’agrandir, recevoir une radio et une télévision et former plus. Nous ne voulons pas des cohortes de 20 étudiants, nous avons besoin, pour la qualité de l’information, de former plus chaque année. Depuis 2003, nous avons discriminé, en ouvrant plus de postes dans la Flsh. Mais, il ne faudrait pas que tous les étudiants qui ont le bac littéraire viennent dans cette Faculté. Le Cur de Dakar doit s’ouvrir. Nous sommes en train de corriger cet état des lieux. Je suis content que c’est cette Faculté qui demande de retarder la rencontre pour la validation des maquettes de la réforme LMD parce qu’elle compte présenter d’autres maquettes. C’est dans le mouvement qu’on change les choses, qu’on stabilise l’université. On peut avoir la même efficience, l’attractivité que l’on constate dans les écoles et instituts. Nous sommes dans une dynamique et le ministre de l’Education est en train de renforcer les capacités de la Faculté avec le bloc qu’on va recevoir, la case des étudiants. Lorsqu’on a obtenu Ucad II, j’ai arbitré pour que l’amphi de 1.200 places soit réservé uniquement à ladite Faculté. Nous sommes saisis de ce problème. Nous essayons de le traiter, mais une plus grande implication des collègues nous permettrait d’aller plus vite dans la construction de cette efficience.
L’université dispose-t-elle d’un dispositif de contrôle pour savoir si tel ou tel enseignant respecte ses engagements vis-à-vis de l’institution ?
Vous touchez du doigt un grand problème que nous avons dans notre système d’Enseignement supérieur. La clé de voûte de l’enseignement, c’est le chef de département qui répartit le créneau horaire et qui fait tourner la baraque. Il n’est pas suffisamment outillé pour contrôler l’effectivité, il l’aurait souhaité, il ne l’aurait pas pu parce que matériellement, il n’avait pas les moyens. Nous avons mis en place un logiciel que nous avons reçu à l’université de Nantes (France). Le logiciel nous permet de gérer les emplois du temps. Nous continuerons à améliorer ces emplois du temps à travers un serveur. Les étudiants ont posé ce problème. Il existe des enseignants (ils ne sont pas nombreux) qui n’assument pas et ne font pas les enseignements. Nous sommes en train de prendre des dispositions pour que des cahiers de textes nous permettent de savoir l’effectivité des enseignements, leurs contenus. Ce dispositif ne sera complet qu’avec la création du Centre de ressources technologique et pédagogique qui évaluera les enseignements, du point de vue de leur volume, mais aussi de leur contenu. Il proposera aussi un autre calendrier universitaire, parce que si l’on veut attraper l’autre, il faut travailler plus. Le calendrier universitaire a été proposé au niveau de l’Assemblée universitaire et l’on a demandé aux établissements de le mettre en œuvre. On commence les enseignements dès le 1er octobre avec une session des examens en janvier-février et un autre semestre avec une session en mai-juin et une session de rattrapage rapprochée en juillet. Ce calendrier avait été présenté par les acteurs sociaux en 1989, nous l’avons repris à notre compte. Aujourd’hui, nous savons que la Faculté de médecine a appliqué le calendrier. Si nous voulons apporter quelque chose, il faut qu’on soit sérieux. D’autre part, chaque fois que les collègues m’ont signalé que tel collègue ne fait pas ses enseignements, j’ai coupé son salaire. Mais, l’université est une entité autonome composée d’entités autonomes et l’autonomie pédagogique se trouve au niveau des établissements. Par ailleurs, sur l’autorisation d’absence des collègues, nous veillons à ce qu’ils soient remplacés ou nous signalent comment ils comptent rattraper les enseignements. Mais un universitaire doit bouger.
Quel regard critique le recteur que vous êtes jette-t-il sur le foisonnement des écoles dans l’Enseignement supérieur privé ?
Je suis pour l’Enseignement supérieur privé. Sauf que l’Enseignement supérieur a des exigences éthiques. Il faut que ces établissements d’Enseignement supérieur aient des programmes lisibles et visibles, si possible, qu’ils fassent agréer ces programmes au niveau du Cames. En tant que recteur, je suis prêt à faire étudier par l’Ucad ces programmes pour une adéquation. Par ailleurs, il faudrait qu’en vivant de l’Enseignement supérieur, ils le fassent vivre en ayant leur personnel propre. C’est un secteur qui se différencie des autres types d’enseignement par la recherche qui permet une amplification des connaissances. On ne peut donc pas créer une structure d’enseignement privé sans son propre personnel, sinon, on ne participe pas à l’effort de recherche. Je précise qu’il est aujourd’hui utile pour le Sénégal. Cependant, il doit répondre à des exigences utiles pour que les élèves qui fréquentent ces écoles puissent faire des concours partout en Afrique. La plupart des diplômes délivrés par ces écoles ne sont pas reconnus par le Cames. Un exemple simple, ces étudiants qui ont un savoir-faire ne peuvent pas faire le concours de la Bceao parce que leurs diplômes ne sont pas reconnus par le Cames. Il faut qu’on soit attentif à la distribution transfrontalière de l’Enseignement supérieur. Comment comprendre que des universités du Nord, publiques au Nord, installent des sites au Sénégal et sont privées. Je crois qu’il y a une révision éthique à faire. L’Enseignement supérieur privé est attractif au Sénégal. Donc les acteurs dans le public doivent connaître leur intérêt.
Il y a une Université du futur en gestation. Est-ce qu’il existe une plage de concertation pour corriger tout le système et une éventualité de collaboration ?
L’Université du futur africain est une idée du président de la République du Sénégal. Si vous êtes attentif, vous verrez que, comme par hasard, les centres Mandela qui sont en train d’être créés et appuyés par la Banque mondiale fonctionnent dans la même direction. Le président de la République est un universitaire qui travaille beaucoup avec les universités. La dernière illustration est qu’en voulant mettre sur pied la commission sur le droit à la terre, il m’a appelé pour confier à l’université une étude dans le domaine. Nous nous sommes entendu pour que l’Université du futur africain n’entre pas en compétition avec les universités classiques. Au contraire, qu’on ait une synergie au niveau des formations doctorales. Il va en profiter pour mettre en place une plate-forme d’équipements avancés. Mieux, le Parc scientifique sera à Diamniadio, à côté de l’Université du futur africain. Certainement, ce sera un champ d’expérimentation partagé. Mais, avec l’organisation de la recherche que nous faisons au niveau de l’université de Dakar, le câblage qu’on est en train de faire, (au niveau de la bande passante, nous passerons de 2 à 8 mégabits et avec une Fondation américaine, nous passerons à 45 Mégabits), nous serons dans le champ de la compétition-complémentarité, notamment au niveau de la recherche. Nous souhaitons avoir des centres de recherche de haut niveau pour produire ces tailles critiques d’étudiants bien formés et prendre en charge l’économie. Je me félicite donc de cette orientation qui, de la case des tout-petits à l’université du futur africain est en harmonie et en complémentarité, dans une logique bien parfaite, parce que universitaire. Je suis fier de participer à la construction des orientations qu’il a définies.
Par DAOUDA MANE & m.L. badji (Avec la Rédaction)
Source:http://www.lesoleil.sn/article.php3?id_article=5653