Niger – Des enfants sans avenir
Le Devoir – [04/09/05]
Au Québec, on estime qu’environ 15 % de la population éprouve de la difficulté avec la lecture et l’écriture, ce qui n’est en rien comparable avec la situation des pays en voie de développement. Au Niger, 80 % de la population est analphabète.
Un véritable fléau freine le développement des populations des pays en voie de développement, rapporte Louise Caméri, responsable des programmes d’alphabétisation au Centre canadien d’étude et de coopération internationale (CECI). «La très grande majorité de la population n’a pas accès à l’éducation et, par conséquent, elle n’a pas accès au pouvoir.»
Autre donnée qui distingue les pays en voie de développement des pays occidentaux : l’âge de la population. Si en Occident on s’inquiète des effets du vieillissement de la population, ce n’est pas le cas dans les pays en émergence où la population est relativement jeune. Et «à risque», en ce qui a trait à son alphabétisation. «En Afrique de l’Ouest, une clientèle qui nous préoccupe grandement est celle des enfants de 9 à 15 ans. Ce sont les enfants des rues qui ne sont jamais allés à l’école. Et ceux qui ont eu accès au primaire ne l’ont pas complété. Ce sont des enfants qui, pour toutes sortes de raisons, ont été exclus de l’éducation.»
Une situation qui devrait sans doute préoccuper les autorités nationales puisque ces enfants représentent l’avenir de leurs pays. Selon Louise Caméri, il semble que cela ne soit pas le cas. Bien sûr, les structures administratives sont en place. Par exemple, il existe au Niger un ministère de l’Éducation de base et de l’Alphabétisation et une direction de l’éducation non formelle. «Mais le gouvernement n’y investit presque rien.»
La philosophie du faire-faire
En réalité, du moins en Afrique de l’Ouest, ce sont les organisations non gouvernementales (ONG) étrangères, comme le CECI, qui sont les bailleurs de fonds et les superviseurs des programmes d’alphabétisation, les gouvernements nationaux se limitant au rôle de coordonnateur. «Et c’est mieux ainsi. Par le passé, les gouvernements ont voulu opérer les programmes, et cela a donné peu de résultats.»
Fondé en 1958, le CECI est une société privée à but non lucratif dont la mission est de combattre l’exclusion et la pauvreté dans les pays en voie de développement. Au fil des ans, le CECI a mis en place plusieurs projets d’alphabétisation. Mais le CECI intervient aussi dans d’autres domaines, telle l’agriculture, et toutes ses interventions comportent un volet d’alphabétisation. «La première chose que les gens nous demandent au début d’un projet, c’est de leur apprendre à lire et à compter.»
Mais peu importe le type d’intervention ou de projet, la philosophie en matière d’alphabétisation demeure la même : celle du faire-faire. «Nous signons des contrats avec des ONG locales qui oeuvrent en alphabétisation et qu’on appelle les opérateurs en éducation. Ce sont ces derniers qui opèrent les programmes d’alphabétisation et le CECI agit comme pilote et évaluateur.»
De plus, ces opérateurs en éducation peuvent profiter de l’expertise de coopérants en ce qui concerne la formation des formateurs et le renforcement de leurs opérations. Inutile par contre d’y envoyer un coopérant en tant que formateur puisque l’alphabétisation se fait toujours dans les langues nationales, comme en houassa au Niger. «Éventuellement, au Niger par exemple, on aimerait bien mettre en place un programme d’alphabétisation en français puisqu’il s’agit de la langue administrative et du développement économique.»
Éducation non formelle
Parmi les projets d’alphabétisation mis en place au Niger par le CECI, notons le Programme d’appui au développement de l’éducation non formelle (PADENF), financé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI). «C’est notre success-story. Entre 2001 et 2005, grâce à ce programme, il a été possible d’alphabétiser 45 000 personnes dans trois des régions administratives du Niger.»
Cette approche a connu un tel succès qu’elle sera reconduite dans le nouveau Programme de développement de l’éducation non formelle (PRODENF), cette fois-ci financé par la Banque mondiale. Ce programme s’étendra aux quatre autres régions administratives du Niger avec l’objectif d’alphabétiser 65 000 personnes d’ici 2008. «Nous serons alors présents dans toutes les régions du Niger.»
Un autre programme digne de mention est celui que le CECI a mis en place à l’intention des femmes productrices de beurre de karité. «Il comprend aussi un volet alphabétisation qui est axé sur leurs activités économiques.»
Approche pragmatique
Cette façon de procéder témoigne d’une approche plus pragmatique qu’ont les ONG en alphabétisation. Les classes magistrales, qu’elles soient tenues à l’école ou sous l’arbre du village, ne représentent plus la méthode favorisée par les ONG. On cherche plutôt à intégrer l’alphabétisation aux préoccupations quotidiennes de la clientèle. «Apprendre à lire pour lire n’est plus notre approche. On essaie plutôt de faire de l’alphabétisation fonctionnelle basée sur les activités de la clientèle. Par exemple, s’il s’agit de femmes impliquées dans la culture maraîchère, l’alphabétisation se fera autour des techniques de production agricole.»
On cherche aussi à mettre en place les projets d’alphabétisation là où se trouve la clientèle. «On commence à faire des programmes d’alphabétisation professionnelle, comme par exemple un projet d’alphabétisation dans un atelier de menuiserie.»
Afin de rejoindre la clientèle des 9 à 15 ans, le CECI a mis en place au Niger un projet-pilote qui fait appel à l’école coranique. «Si ces jeunes sont exclus de l’éducation, par contre, la plupart d’entre eux fréquentent l’école coranique. Nous avons approché quelques jeunes imams à l’esprit ouvert qui ont accepté que l’alphabétisation se fasse à l’intérieur de l’école coranique.» Le projet se limite présentement à environ huit écoles, mais Mme Caméri aimerait bien le voir étendu aux quelque 5000 écoles coraniques du pays.
L’alphabétisation dans les pays en voie de développement ne profite pas uniquement à la clientèle qui bénéficie des programmes d’alphabétisation. Les retombées sont plus larges et rejoignent l’ensemble de la communauté. «On a remarqué que les personnes alphabétisées surveillent mieux la santé et l’éducation de leurs enfants. De plus, ces personnes alphabétisées s’impliquent davantage dans la vie communautaire de leur village.»
Pierre Vallée
Collaborateur du Devoir