Un après-midi, dans les studios de Radio Kwizera FM, petite radio du district rural de Kasulu en Tanzanie. Letsia et Ringaniza se préparent à diffuser leur émission hebdomadaire. Aujourd’hui, elles abordent un sujet brûlant : les profs qui mettent enceintes leurs élèves.
Les deux adolescentes ont décidé qu’il était temps de parler d’un sujet sensible affectant leurs camarades de classe qui vivent dans la même communauté. Après s’être assurée que le micro est à bonne distance du visage de sa collègue, Letsia démarre l’interview. “Donc, Ringaniza, le sujet d’aujourd’hui est : les grossesses des adolescentes. Que peux-tu nous dire ?”
“Ce que je peux dire, répond Ringaniza, c’est que la plupart de ces grossesses sont causées par les professeurs. Vous avez des profs de notre école qui commencent à se lier à certaines étudiantes en leur donnant un traitement de faveur. Les élèves tombent dans ce piège et sont flattées. Le prof, après avoir réussi cette première approche, demande quelques faveurs d’ordre sexuel en échange d’une aide scolaire. On promet à l’écolière d’obtenir un bon niveau qui l’assurera d’avoir une place dans un bon lycée. La jeune fille accepte l’offre de son prof et tout cela se termine par une grossesse.”
Chantage sexuel
Marko Dionis Kumudyanko, un enseignant de 30 ans qui travaille au collège de Kasulu, confirme les propos de Letsia et de Ringaniza : l’existence du chantage sexuel. “Il est vrai qu’ici, il y a des profs qui engagent des relations sexuelles avec les jeunes écolières, reconnaît-il. Par exemple, ils leur paient leurs tickets de bus, leur donne de l’argent pour qu’elles se paient un petit-déjeuner, leur paient des cadeaux ou leur donnent un traitement de faveur.”
Selon Kumudyanko, ces traitements de faveur font croire aux jeunes filles – particulièrement celles qui vivent dans la pauvreté – que leur ascension sociale ou scolaire sera privilégiée si elles acceptent ce chantage sexuel.
Cependant, Kumudyanko estime que les profs ne sont responsables que d’une petite proportion de grossesses parmi les adolescentes. Il ajoute que d’autres adultes, en dehors des salles de cours, comme certains hommes d’affaires, font les mêmes propositions aux jeunes écolières qu’ils voient dans la rue, et peuvent également être tenus pour responsables de ce phénomène.
Dans tous les cas, pour celles qui se retrouvent enceintes, la vie devient encore plus difficile. “Quand elles sont enceintes, affirme Kumundyanko, les écoles publiques n’acceptent plus leur réinscription.”
Quelqu’un à aimer
J.N., une ancienne lycéenne de Kasulu qui souhaite garder l’anonymat, témoigne de la stigmatisation dont elle a été victime. “A l’école, ils m’ont renvoyée quand ils ont vu que j’étais enceinte. A la maison, ils m’ont accusée de porter honte à notre famille”, raconte-t-elle.
Elle décrit comment elle en est arrivée là : “J’avais 18 ans et je devais passer mon bac. Ma matière préférée était la chimie, j’ai donc demandé à mon prof de chimie de me donner des leçons supplémentaires. Il m’a persuadée d’avoir des relations sexuelles avec lui en échange d’argent de poche, de vêtements. Il me payait mes frais de scolarité et continuait à me donner des leçons particulières de chimie.”
Aujourd’hui, JN plaide pour la contraception et plus d’ouverture. “Nous avons besoin d’être guidés par nos parents, dit-elle, car nous sommes nombreuses, les adolescentes, à apprécier avoir quelqu’un à aimer – cela nous rend vulnérables.”
Dénoncer les professeurs
Selon l’UNICEF, plus de 40% des femmes tanzaniennes accouchent de leur premier enfant à 18 ans. Ce qui fait de la Tanzanie l’un des pays au monde où l’on rencontre le plus grand taux de grossesses parmi les adolescentes.
Pendant ce temps, dans les studios de Radio Kwizera, les idées de Ringaniza sur la façon de faire face au chantage sexuel ont été diffusées dans toute la province de Kigoma.
“Au moment où un prof commence à tenir des propos à tendance sexuelle à une étudiante, celle-ci devrait dénoncer ce prof au professeur principal. Qui devrait, à son tour, rapporter ce cas devant les autorités compétentes, conclut Ringaniza. On devrait aussi faire payer de grosses contraventions à ces profs qui harcèlent les écolières, afin que d’autres soient dissuadés de s’engager dans cette voie.”
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Par Maria Hengeveld
Décembre 2012