Vol de femmes ou rapt! Une pratique bizarre tendant à réduire l’autre moitié du ciel en un simple objet. Et pourtant, beaucoup de filles, souvent des mineures, sont soumises de force ou de gré à cette forme de mariage considérée à tort ou à raison comme culturelle. Elles sont ligotées, brutalisées, attristées et transportées dans des conditions inhumaines. Malmenées à souhait, elles sont capturées comme du gibier sur la route du champ, du marigot, du marché, parfois, sur le chemin de l’école. Drôle de chemin d’amour pavé de souffrances chez les Gourmantché, communauté vivant dans la région Est du Burkina. Péripétie d’une hydre portant atteinte aux droits de la femme.
Zénabou Manli, de ses 15 ans, devait être une jeune fille heureuse à côté de ses parents. Pourtant, elle est devenue par la force des choses, une épouse, profession ménagère, au secteur n°8 de Fada N’Gourma, depuis février 2012. Victime d’un rapt, elle s’en tire mais choisit de se réfugier à travers un mariage précoce. Elle avait été enlevée, séquestrée à des fins d’union matrimoniale : c’est le « lipouotali » en langue gourmantché ou le rapt en français. Il y a quelques mois, elle vivait en famille à Inamoadi, un hameau de culture à environ 17 km de Fada N’Gourma. Son père est polygame avec neuf enfants.
Dans ce ménage, seule sa petite sœur, Fatimata Manli, est inscrite à l’école de Korfagou, à trois km de son village. Confiée à un tuteur sur place, la petite poursuit ses études au Cours préparatoire 2e année (CP2). Un week-end du mois de novembre 2011, elle est revenue voir sa famille, comme elle en a l’habitude les fins de semaine. Tôt, un lundi matin, la grande sœur, Zénabou Manli a été désignée pour accompagner l’unique écolière de la famille. Sur le chemin du retour, Zénabou fut kidnappée en plein jour. « En revenant de Korfagou, j’ai croisé un monsieur. Il a fait demi-tour et s’est mis à me suivre. Quelques instants après, trois autres ont surgi de la brousse. L’un d’entre eux était sur un vélo. Ils m’ont arrêtée, ont attaché mes mains à la scelle du vélo avant de me transporter vers une destination inconnue. Je connaissais celui qui m’a enlevée parce qu’il m’a fait la cour et j’ai refusé. Je ne l’aime pas », raconte Zénabou, la mine toute triste.
Ainsi, a-t- elle été entraînée par son ravisseur, Yandja Touré, d’abord à une première cachette, Iboulini, à 25 km du village de la fille. De peur de se faire prendre, il poursuit avec « son otage » dans un autre village, Bangou, distant d’environ 30 km du premier. « J’ai fait des avances à la fille qui n’a pas accepté. Je savais qu’il y avait deux prétendants, un du village et un autre de la ville (Fada N’Gourma). J’ai organisé le plan avec trois de mes camarades. Elle a tenté de refuser mais j’ai réussi à l’enlever. Là où je l’ai emmenée, je ne connaissais personne dans ce village, mais j’ai été bien accueilli avec ma compagne », explique le jeune homme de 21 ans, ‘’fier comme ?un pou’’. En pays gourmantché, on est toujours prêt à accorder l’asile à tout jeune homme dans de pareilles conditions, pendant des semaines, des mois, voire des années.
Le temps passant, espoir et désespoir se mêlent
Ils y sont restés pendant plus de trois mois. De fait, Zénabou vivait ainsi en couple avec « son bourreau d’un jour ». « J’étais seule avec lui dans la case. Il avait un bâton au-dessus de la couchette et chaque fois que je refusais de faire l’amour avec lui, il me battait. Avec le temps, j’ai fini par céder », se rappelle toujours la victime, anxieuse. Alors qu’il se la coulait douce, le père de l’enfant a posé plainte à la gendarmerie de Fada N’Gourma. Le temps passant, progressivement les relations entre les deux se sont améliorées. Ainsi, la jeune fille s’offrait de temps en temps le plaisir de se balader dans le village mais sous l’œil vigilant de son kidnappeur et de ses nouveaux amis du village d’accueil. Chemin faisant, une recherche s’engage tant du côté du père que de la gendarmerie.
Alors que Zénabou allait un jour puiser de l’eau au puits, son père dans ses recherches, a eu la chance de retrouver sa fille dont il était sans nouvelle depuis de longues dates. C’est ainsi que Zénabou fut extraite des griffes de ses « geôliers ». Yandja qui tenait à sa dulcinée alla à son tour poser plainte à la gendarmerie. Raison invoquée par le malheureux amoureux, sa ‘’deuxième moitié’’ serait enceinte de ses œuvres. La gendarmerie et les services de l’Action sociale de Fada procédèrent alors à un test illuno de grossesse (TIG) à l’hôpital. Quelle mauvaise nouvelle pour l’infortuné de Yandja ! Le résultat est négatif, Zénabou Manli n’était pas en grossesse et le plaignant peut aller se faire cuire ses œufs ailleurs. « Je savais qu’elle n’était pas enceinte mais c’était une stratégie pour la garder », regrette Yandja. La fille a été ainsi remise à ses parents. Acceptez-vous votre “défaite” ou allez-vous encore tenter de l’enlever ? Yandja est resté pantois.
Zénabou a rejoint celui qu’elle aime à Fada où elle a célébré un mariage religieux. Elle tomba ainsi de charybde en scylla : le mariage précoce qui est aussi plein de dangers (accouchement difficile, mortalité maternelle, fistules obstétricales, etc.). La raison avancée : « j’ai peur d’être de nouveau enlevée », lance- t- elle naïvement. « ?Mariée à 15 ans, elle n’est pas sorti ede l’ornière, avons-nous conseillé au père de la garder jusqu’à ce qu’elle atteigne au moins 18 ans. Mais ce mariage précoce, elle le considère comme le moindre mal », nous a dit amèrement, Fidèle Naba, adjoint social à la direction provinciale de Fada N’Gourma.
Les spécialistes de l’Action sociale mis devant le fait accompli, craignent qu’elle ne connaisse des accouchements difficiles ou des fistules obstetricales car elle est immature. L’administrateur des affaires sociales et directeur régional de L’Est, Aboudoulaye Ouédraogo, explique que les manifestations de ce phénomène sont diverses et ondoyantes. Car chez les Gourmantché, il y a plusieurs façons d’avoir une épouse : lityatieli, mariage dont le but est de sceller une alliance entre deux familles ou clans et lipouotali, le rapt. On parvient à cette deuxième forme de mariage par le fait du mariage forcé ou tout simplement par la force physique comme le cas de Yandja et de Zénabou.
Sinon il arrive que la jeune fille soit promise par ses parents à un jeune homme ou à un vieux dès sa tendre enfance. Ce prétendant est très souvent inconnu d’elle. Le futur mari cultive les champs du beau-père, pétrie des briques en terre battue pour lui et lui offre des présents. Et pour finir, ce dernier devient redevable à son gendre. La fille devenue « grande » (13 à 15 ans) peut décider d’aimer quelqu’un d’autre plus jeune ou pour des raisons de convenances personnelles. Elle peut elle-même organiser son kidnapping par son élu. Dans ce cas, ça se passe sans violence mais sans le consentement de ses parents. L’autre cas de figure, de peur de perdre sa promise, le premier prétendant anticipe et procède à l’enlèvement avec ou sans la complicité des géniteurs de la fille toujours mineure.
A ces deux formes peut intervenir une troisième. Un homme qui n’a pas l’accord des parents ni de la fille peut se mettre dans la compétition. Et là, par la violence et l’envoûtement, le rapt s’installe. « Il est inadmissible au 21e siècle qu’on pourchasse une fille, on l’attrape, on la ligote et on la transporte comme un animal. Il faut que les mentalités changent », a imploré M. Ouédraogo. Tous les moments sont propices pour les ravisseurs. Cependant, les services de l’Action sociale situent sa fréquence pendant l’année scolaire, les fins d’année et au moment des récoltes. Les lieux de prédilection sont le chemin de l’école, les marchés, les manifestations de réjouissances, etc. Dans le mode opératoire, le pire, le ravisseur se fait aider par un groupe de trois à quatre personnes.
La fille est interceptée, attachée, transportée pour être mariée contre son gré. Ses pleurs et ses cris disparaissent avec le vrombissement des motos ou les coups de pédale des vélos qui ont servi à l’opération, sous le regard (…) de la société gourmantché. Ne dit-on pas d’ailleurs : « Le pire n’est pas la méchanceté des hommes mauvais mais le silence des gens biens » « La pratique est culturelle dans notre région mais elle a été dénaturée ? ; elle se pratique maintenant par la violence et pire sur des mineures. Je suis intervenu personnellement pour qu’on envoie des prévenus au parquet », a reconnu le président du conseil régional de l’Est, Martin K. Lankoandé qui, lui-même, à son jeune âge, a dû participer à ces genres d’opération.
Puni par la loi
La stratégie des ravisseurs est de tout faire pour enceinter la forcenée, advienne que pourra. Ils réapparaîtront tôt ou tard en fonction de l’évolution de l’affaire. La femme peut ainsi revenir avec une grossesse, un, deux ou trois gosses. Ils mettent ses contradicteurs devant le fait accompli.
Dans toutes les provinces de la région de l’Est (Gnagna, Gourma, Komandjari, Kompienga et Tapoa), le phénomène est récurrent. Les statistiques de la direction régionale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, révèle pour l’année 2010, au total 115 rapts, 191 mariages forcés et 102 grossesses non désirées. Au cours du premier trimestre de cette même année scolaire (octobre à décembre 2011), les chiffres sont de 51 enlèvements dont cinq scolaires dans tous les quatre coins de la région. Ces cas sont ceux portés devant les services de l’Action sociale. Ce qui est révélé n’est simplement que la partie visible de l’iceberg. Les populations n’étant pas promptes de dénoncer.
« Souvent, les enleveurs nous amènent à pratiquer véritablement des techniques d’enquête pour retrouver la victime », précise le directeur régional de la police de l’Est, Franck Elvis Compaoré. Dans ces conditions, le dossier est envoyé au parquet. Au palais de justice de Fada N’Gourma, Oumarou Zono, juge au siège, estime que le rapt des mineures constitue la deuxième ou la troisième infraction en termes de nombre de dossiers soumis au tribunal. « Il y a beaucoup d’infractions d’enlèvement de mineures. Une fille de 14 ans qui revient du marché ou de l’école ou encore du puits ou d’un autre village qu’on attache les mains sous la scelle de la bicyclette. On l’enlève, elle crie et personne ne parle. Il y a problème tant au niveau des auteurs qu’au niveau de ceux qui laissent faire. C’est inadmissible dans ce 21e siècle », a interpellé l’homme de droit. La loi punit l’enlèvement de façon générale. En de termes clairs, l’article 398 du code pénal prescrit : « Est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans quiconque par violences, menaces ou fraudes enlève ou fait enlever un mineur ou l’entraîne, le détourne ou le déplace ou le fait entraîner, détourner ou déplacer des lieux ou il était mis par ceux à l’autorité ou à la direction desquelles il était soumis ou confié ».
Ce sont donc des peines criminelles qui s’appliquent lorsque l’enlèvement a été suivi de violences ou de menaces. La peine est de 1 à 5 ans et d’une amende de 300 ?000 à 1 ?500 ?000 F CFA lorsque l’enlèvement s’est fait sans violences, menaces ou fraudes selon l’article 402 du code pénal. Cependant, pour plus de célérité dans le traitement judiciaire du rapt, les juridictions ont plus tendance à correctionnaliser l’enlèvement de mineurs, qu’il ait été commis avec ou sans violences ou menaces. Cela, parce que les tribunaux correctionnels sont compétents pour connaître des délits. Pour les crimes, il faut attendre des assises qui peuvent prendre assez de temps.
Le rapt se manifeste sous plusieurs formes. Pour la plupart du temps, le mariage forcé a pour origine le rapt. A Pama dans la province de la Kompienga, la direction provinciale connaît bien ce phénomène. En collaboration avec des forces de l’ordre, elle a traité plusieurs dossiers dont deux, portant sur des élèves et de surcroît des mineures.
A 50 ans, il séquestre une fille de 13 ans
Assaïtou Sankara, a 15 ans. Elève en classe de 6è au lycée provincial de Pama, elle vit chez son oncle maternel depuis l’âge de neuf mois. Celui-ci l’a promise en mariage depuis sa tendre enfance. En 2010, elle est admise au certificat d’études primaires (CEP) mais pas à l’entrée en sixième. La fille décide de reprendre la classe pour l’entrée en sixième qu’elle obtient en étant première de sa classe. L’oncle refuse qu’elle fasse la 6e. Par puissance avunculaire elle a été demandée de rejoindre le monsieur à qui elle était destinée. Assaïtou oppose une fin de non recevoir. Avec l’aide de sa grand-mère, elle a été ligotée et amenée dans un autre village pour être mariée de facto. Elle eut son salut grâce au fait qu’elle ait réussi à s’échapper, le jour-même de son arrivée par contrainte. « J’ai dit à mon oncle que je ne veux pas de ce monsieur ; et je souhaitais continuer mes études. Mais comme il a reçu 50 ?000 FCFA de l’homme, il s’est vu obligé de m’attacher avec une corde en caoutchouc pour m’emmener. La même nuit, j’ai pu m’échapper. Je ne suis plus chez lui. Je vis chez un ami de mon père. Je voudrais devenir enseignante ; j’ai toujours peur d’être enlevée… », raconte Aïssatou. Chaque cas est unique et plein de tristes rebondissements. Oumpouni Onadja, une fille de 13 ans en classe de CM2 à l’école Tindangou, orpheline de père, 11e sur un effectif de 60 élèves, a été enlevée par un vieux de 50 ans.
Oumpouni a été séquestrée du 3 au 17 février 2012 à Madjoari, à 80 km de son village. Sa maman a été complice. Selon la chargée de la Promotion de l’éducation des filles à la Direction provinciale de l’enseignement de base et par ailleurs coordonnatrice des associations féminines de la province de ?la Kompienga, Bibata Sangli, depuis trois ans, le vieil homme fréquentait la cour de la petite. Le quinquagénaire offrait de petits cadeaux à la famille. « La mère était complice. Veuve, elle a à sa charge six enfants et le vieux, par ses petits soutiens, avait pu convaincre la mère qui était pressée de lui donner sa fille en mariage. Nous avons retrouvé la petite 7 à 8 jours après, heureusement elle n’est pas enceinte mais malheureusement elle n’est plus cette jeune fille de 13 ans que nous avions connue. En la voyant, on se demande si elle était à ses premières relations sexuelles », a relevé Mme Sangli. Oumpouni a réintégré sa famille.
Son « papa-mari » l’a ramenée mais n’a toujours pas répondu à la convocation de la gendarmerie de Pama. L’enfant continue normalement ses cours à la grande satisfaction du directeur de l’école, Yembado Kombary. « C’est une fille brillante et nous ne pouvons pas accepter cet acte. L’année passée, l’école a enregistré deux grossesses : une au CM1 et l’autre au CM2 », a indiqué M. Kombary. La lutte contre ce fléau s’organise tant bien que mal. Un projet dénommé « Lutte contre les rapts de filles et/ou de femmes dans la région de l’Est ? », a été lancé en janvier 2011 par l’Action sociale et ses partenaires. Financé par le Fonds commun genre (une dizaine de partenaires dont le gestionnaire actuel est l’UNFPA), le projet est prévu pour durer deux ans. Il se donne pour objectif de prévenir le phénomène et de prendre en charge les victimes. Des cellules villageoises de lutte sont constituées.
Chaque cellule est composée de deux hommes et de deux femmes. La victime du rapt, avec l’aide de ce projet, peut bénéficier d’une prise en charge à hauteur de 20 ?000 F CFA (pour ses soins en cas de blessures et pour son alimentation…).
De ce qui entrave la lutte
La région ne dispose pas d’un centre d’accueil de victimes. L’hébergement de ces filles pose problème. « Nous sommes confrontés souvent au problème de logement des victimes. Une fois, nous avons été obligés de chercher une famille dans la ville de Fada qui porte le même nom que l’une de nos victimes afin de pouvoir lui trouver une famille d’accueil », explique Abdoulaye Ouédraogo. Pire, le projet ne couvre pas tous les villages. Le directeur provincial de l’Action sociale et de la Solidarité nationale de la Kompienga, Rémy Kaboré, souhaite que le projet puisse s’étendre à tous les villages et surtout à la commune de Madjoari située à 80 km de Pama aux frontières Burkina-Bénin-Niger-Ghana. Il estime que ce département est un concentré de problèmes sociaux mais d’accès difficile. Dans sa province, le projet est présent dans sept villages sur 30. Le rapt et le mariage forcé peuvent être considérés comme une violation des droits de la femme. Réduire ces phénomènes à leur plus simple expression serait tout simplement une justice rendue à la femme.
Boureima SANGA ( [email protected])
Sidwaya
16/03/2012