Un éditorial que le Camerounais Innocent Ebode a publié ce mardi dans le journal La Voix de N'Djamena, le journal phare de la République du Tchad: "Un océan de larmes a coulé la semaine écoulée. Dans les villes, les cantons, les villages, les quartiers, les chaumières, c’étaient l’amertume et le désarroi. Les résultats inattendument catastrophiques de la session 2011 du Baccalauréat, sont à l’origine de l’immense déception des candidats. Les statistiques avancées sont exceptionnellement faibles, insignifiantes, infinitésimales. Sur les 60 658 candidats qui ont effectivement pris part à l’examen, 9 544 seulement ont été admis ! Soit un taux de réussite de… 15,73% ! Du jamais vu dans l’histoire du Baccalauréat tchadien. Un triste record qui, si on vérifie bien, pourrait figurer dans le célèbre Livre Guinness des Records.
Le flou artistique qui a précédé la publication des résultats, a noirci le tableau déjà sombre de l’édition 2011. Aux résultats catastrophiques s’est ajoutée l’organisation catastrophique de leur publication. Le dispositif que les organisateurs ont voulu novateur cette année pour faire moderne, a fait pschitt ! L’Office national des examens et concours (ONECS) a annoncé la disponibilité des résultats dans les différents centres d’examen. Les candidats s’y sont précipités, mais se sont retrouvés face à des babillards vides. Le même ONECS, décidément peu fiable dans ses annonces, a invité les candidats à rédiger des SMS en composant deux numéros mis à disposition par les deux principaux opérateurs de téléphonie mobile. Malheureusement, le 95 95 et le 595 ne répondaient pas. Le site Internet que les candidats devaient consulter pour avoir accès aux résultats, s’est avéré inaccessible. Les résultats de la session 2011, c’était l’Arlésienne. C’était un véritable serpent de mer.
Dans ces conditions, il y a lieu de penser que ce ne sont pas uniquement les candidats qui ont échoué au Baccalauréat 2011. Le ministère de l’Enseignement supérieur, en tant que pilote du processus organisationnel, a échoué. Le ministère de l’Education nationale, en tant que gestionnaire de la politique globale de l’éducation, a échoué. L’ONECS qui a fait de fausses annonces, révélant ainsi une impréparation criarde dans la conduite des opérations, a échoué. Les enseignants dont il est de notoriété publique que le niveau est en général en deçà des standards internationaux, ont échoué. Les parents qui pensent que leur progéniture ne peut avoir accès aux diplômes que par la corruption, ont échoué. Grosso modo, c’est le système éducatif dans son ensemble qui a échoué.
Les résultats, une fois encore catastrophiques, du Baccalauréat 2011, interpellent tous les acteurs du système éducatif. Gouvernement, syndicats, enseignants, élèves, parents, bailleurs de fonds… doivent se mobiliser pour repenser dans sa globalité, ce système qui est, n’ayons pas peur des mots, en passe de tomber en faillite. Le Gouvernement est bien entendu, interpellé au premier chef, puisque selon la Constitution, c’est lui qui conduit les affaires du pays.
Il devient impératif que les Etats Généraux de l’Education soient envisagés. La tenue de ce conclave est urgentissime. Le choc du Baccalauréat 2011 n’est que la face visible de l’iceberg. Le niveau général, toutes proportions gardées, de la jeunesse d’Afrique centrale [le cas du Cameroun que je connais bien et celui du Tchad que je connais un peu, sont préoccupants] est en chute libre. Si l’avenir de nos pays doit reposer sur la médiocrité des futures élites dirigeantes que sont les jeunes d’aujourd’hui, il est à craindre, dans les prochaines décennies qui seront éminemment concurrentielles, qu’ils soient débarqués du train du développement et du progrès. Il ne suffit pas d’avoir un sous-sol gorgé de matières premières. Les jeunes Tchadiens, bacheliers ou pas, doivent savoir que la substance grise ou l’intelligence, est la première matière première sur laquelle doit se fonder une nation ambitieuse.
C’est pourquoi l’échec massif au dernier Bac ne doit aucunement être appréhendé comme une situation anodine, un fait passager ou un épiphénomène. Cet échec met à nu une lame de fond que les pouvoirs publics et les experts ont le devoir de prendre à bras-le-corps.
Il faut tout de même reconnaitre que les autorités compétentes avaient dès 2009, pris la décision de crédibiliser le Bac tchadien en prenant une mesure qui, si elle n’était pas originale, se conformait simplement à une exigence minimale : être admis avec une moyenne de 10/20. Je vous livre ici la substance du commentaire de l’arrêté daté du 18 août 2009 que le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation professionnelle, Ahmad Taboye, avait fait dans les colonnes de La Voix: « Un candidat qui n’aura pas comptabilisé une moyenne de 10/20 ne sera pas admis. N’aura le Bac que celui qui le mérite. Le ministère de l’Education nationale et nous-mêmes, avons projeté pour le Bac prochain d’apprêter le carnet de l’élève, de prendre les notes de chaque élève de la seconde en terminale puis de préparer un examen qu’on appelle le pré-bac au niveau de la Première. Et l’on ne sélectionnera que ceux qui ont la moyenne de 10 pour constituer les listes du bac prochain. Cela permettra de réglementer l’entrée à la candidature du baccalauréat et d’avoir des bacheliers avec un niveau acceptable.»
Sont-ce ces petits changements qui ont conduit à l’échec historique au Bac de cette année ? Possible. La décision [salutaire] de faire composer les candidats en une session unique a aussi certainement impacté les résultats. Les marchandages de toutes sortes [impliquant d’ailleurs certains jeunes Camerounais] qui avaient cours les années précédentes lors des sessions de rattrapage, n’ont pas été possibles cette année.
On a beaucoup parlé de l’échec depuis la publication des résultats. On a peu parlé de ceux qui ont héroïquement décroché le bac cette année avec au moins 10/20. Ceux-là sont la preuve que malgré toutes les faiblesses imputées au système éducatif, des élèves travailleurs et déterminés tout au long de l’année scolaire, peuvent s’en sortir. Au lieu de tenter d’organiser des émeutes parce qu’on a échoué, il faut plutôt comprendre que la clef de la réussite tient à trois choses : le travail, le travail et le travail !"
La Voix du Tchad
26 juillet 2011