A l’occasion de ses « Conférences–Débat d’idées », l’Institut français du Tchad (IFT) a accueilli une jeune femme aussi étonnante qu’engagée : Djaïli Amadou Amal. L’auteure d’un premier roman, Walaande, l’art de partager un mari, a présenté son ouvrage et ouvert le débat sur la condition de la femme sahélienne à travers le difficile sujet de la polygamie.
De l’engagement à l’écriture
Djaïli Amadou Amal est une jeune femme peule au parcours étonnant, guidé par un engagement sans commune mesure.
D’un père camerounais et d’une mère égyptienne, la jeune femme a grandi à l’extrême nord du Cameroun (dans la ville de Maroua, à quelques 300 kilomètres de N’Djamena) au cœur de la culture sahélienne et de la tradition polygame fort répandue dans cette zone de l’Afrique.
Très rapidement, la jeune femme a appris à se battre pour s’affranchir du destin de « femme sahélienne » qui lui était réservé et s’émanciper par les études, l’indépendance professionnelle, puis l’écriture comme un outil d’accomplissement de son émancipation.
Djaïli Amadou Amal a publié très récemment, en octobre 2010 aux éditions Ifrikiya de Yaoundé au Cameroun, son premier roman :Walaande : l’art de partager un mari. Ce roman, à la fois comme un témoignage et un acte militant, est le produit de sa vision de la polygamie et de la condition féminine, avec lequel elle souhaite contribuer à une prise de conscience sur le sujet par les femmes du Sahel mais aussi par le reste du monde.
Walaande, l’art de partager un mari, entre fiction et réalité
Le récit, dont l’ironie du titre plonge sans détours dans la critique acerbe de l’écrivaine, traite de la polygamie et du quotidien des femmes auxquelles ce système s’impose.
Nourri tour à tour par les propos des quatre femmes d’Alhadji Oumarou, de lui-même et de leurs enfants,Walaandé : l’art de partager un mari dépeint la vie quotidienne d’une famille polygame en s’attachant à donner la parole à celles qui sont d’ordinaire réduites au silence : « Personne ne veut savoir ce qu’elle ressent. D’ailleurs ressent-elle quelque chose ? Elle n’est qu’une épouse du Sahel. »
"Walaandé", littéralement « nuitée conjugale », est la définition-même de la polygamie chez les Peuls. Chaque épouse a droit à « sa » nuit avec le mari sur un mode dit de « rondes ». « Le tour de chacune, ou son walaandé commençait à dix-sept heures pour s’achever à la même heure le lendemain. Celle dont c’était le tour était aussi chargée des repas et de superviser le ménage (…). Elle devait passer la nuit [chez son mari] et être à sa disposition pendant tout ce temps. Quand son walaandé s’achevait, elle n’avait plus le droit de le voir ni de lui adresser la parole avant trois jours, c’est-à-dire avant son prochain walaandé. »
De la première femme, Aïssatou, qui, à quarante-deux ans, se rend compte qu’elle n’est déjà plus que l’ancêtre de la maison, fossilisée et résignée ; à Sakina qui, promise à une carrière professionnelle, nous parle désormais de ses rêves tronqués, en passant par les filles d’Alhadji Oumarou, le tout-puissant maître de la maisonnée, contraintes d’épouser à peine nubiles leurs cousins ; ce roman nous entraîne derrière les murs de cette grande confession à la découverte du quotidien des femmes peules dans un mariage polygamique.
Polygamie et condition féminine, une thématique cruciale au cœur du Sahel
Invitée d’honneur à l’Institut français du Tchad, Djaïli Amadou Amal a animé le 15 juin 2011 une Conférence-Débat d’idées sur la thématique « Polygamie et condition féminine » aux cotés de deux femmes tchadiennes militantes féministes : Kesias Garba Djikoloum, directrice du Centre d’Éducation à la Vie familiale de N’Djamena (CEVIFA) et de Marabane Ngar Odjilo, vice-présidente del’Association des Femmes juristes tchadiennes (AFJT).
La jeune femme qui ne mâche pas ces mots a présenté son ouvrage puis ouvert une discussion, alimentée de questions-réponses avec son public, majoritairement constitué d’hommes, sur les visions, préjugés et convictions qui entourent le mariage polygame dans cette autre ville sahélienne qu’est N’Djamena. Les femmes de l’assemblée, un peu hésitantes dans un premier temps, se sont emparées à leur tour du débat, provoquant ainsi une discussion vive et passionnée entre les différents intervenants.
D’une verve littéraire et d’un verbe acéré, engagée et militante, Djaïli Amadou Amal, a dénoncé avec ardeur la condition de la femme dans le mariage polygamique ainsi que les discriminations et l’oppression qu’elle subit.
Une présence remarquée dans la capitale tchadienne
Le 16 juin, le Centre d’Apprentissage de la Langue française de N’Djamena (CALF) a également accueilli l’auteure pour animer une conférence au Centre d’Etudes et de Formation pour le Développement (CEFOD) intitulée « Une vision du mariage et de la polygamie dans la société peule du nord Cameroun ».
Durant son séjour d’une semaine, Djaïli Amadou Amal a également rencontré de multiples associations de femmes avec lesquelles elle s’est entretenue de leurs combats et revendications.
Pour conclure son passage remarqué dans la capitale tchadienne, la librairie La Source, grande partenaire de l’IFT dans le cadre d’évènements littéraires, a invité l’auteure le samedi 18 juin, à une rencontre publique avec son public suivie d’une séance de dédicaces. Elle a su s’imposer au fil des jours et au fil des conférences et des nombreuses rencontres et entrevoit un éventuel retour dans la capitale tchadienne pour continuer à échanger sur ces thématiques.
5/7/2011
Source: http://www.latitudefrance.org/
Pour aller plus loin :
Un roman qui décrie la polygamie dans la société peuhle, Journal du Tchad.com, juin 2011 (consulté le 5 juillet 2011) ;
La polygamie mise à nu dans un roman, Le camerounais.info, avril 2011 (consulté le 5 juillet 2011).
Également sur LatitudeFrance :
Bakhan à l’Institut français du Tchad (Tchad, mai 2011) ;
De l’oralité à l’écran : les conteurs tchadiens à l’honneur (Tchad, mai 2011) ;
La mémoire des anciens combattants africains sous l’œil de Philippe Guionie(Tchad, mai 2011) ;
Le « Lac Tchad aux deux visages » à l’IF de N’Djamena (Tchad, avril 2011).
Lien utile :
Institut français du Tchad