Point de vue : Le MBA est-il obsolète ?

Par Martha Maznevski, professeur à l'IMD-Lausanne, directrice du programme MBA.

Le MBA est-il encore un bon outil pour former les dirigeants dans un nouveau monde plus complexe que jamais ?

On a beaucoup glosé sur le rôle de la cupidité dans la gestation de la crise financière récente. De fait, beaucoup de managers étaient avant tout motivés par leur propre intérêt à court terme. Mais la plupart étaient tout simplement mal préparés à anticiper l'impact de leurs décisions dans un monde devenu plus complexe. Ce qui est souvent passé inaperçu, c'est que les soubresauts de ces dernières années étaient aussi dûs à une crise de naïveté. On peut déjà se demander si les programmes MBA peuvent vraiment enseigner l'éthique et la responsabilité. Mais sont-ils en mesure de relever le défi autrement plus ambitieux de développer des leaders capables de manager la complexité ?

Aujourd'hui, la complexité découle d'énormes niveaux d'interdépendance, de diversité et de mouvement dans le monde. Interdépendance : des masses de capitaux et de biens circulent à peu près librement, et ce qui se produit à un endroit donné a de plus en plus d'impact ailleurs. Les prix des maisons aux Etats-Unis influent sur les taux d'intérêt en Europe, lesquels pèsent sur le prix des exportations et sur la capacité des entreprises à investir. La croissance de la Chine influe sur les prix des « commodities » dans le monde entier, ce que redistribue les emplois et les industries annexes de l'Australie à l'Amérique en passant par l'Afrique. Diversité ? Elle découle des progrès des télécommunications et des technologies. La chaîne d'approvisionnement logistique exige que l'on choisisse parmi une multitude de combinaisons de fabrication, d'assemblage et de transport depuis et vers différents emplacements. Les forces de travail sont plus diverses que jamais -des équipes multi-fonctionnelles et transfrontalières accroissent même la diversité de nos façons de travailler. Toutes ces combinaisons d'interdépendance et de diversité évoluent constamment, si bien que, même si l'on parvient à comprendre et optimiser les processus aujourd'hui, les mesures à adopter peuvent être différentes pour demain.

Dans ce monde toujours plus complexe, les récentes avancées de la recherche sur le développement du leadership ne sont pas encourageantes pour les MBA traditionnels. Pour construire un savoir et des compétences pertinents qui soient facteurs de performance, l'expérience et l'apprentissage sur le terrain sont beaucoup plus importants que l'apprentissage livresque ou en classe. Pour créer de la connaissance en profondeur -la connaissance de la façon dont les choses fonctionnent dans leur contexte -il faut de l'expérience. Pour former leurs dirigeants, les entreprises se tournent résolument vers les anciennes notions d'apprentissage et de de mentorat.

Il faut toutefois prendre cette recherche avec un peu d'esprit critique. S'il s'agissait seulement d'expérience, alors chaque manager un tant soit peu expérimenté serait capable de diriger dans la complexité. Nous savons ce n'est pas le cas. Les processus d'apprentissage peuvent démultiplier de façon significative l'apport de l'expérience en reliant la connaissance et l'action de deux manières. D'abord en les reliant par cycles, le savoir conduisant d'abord au projet puis à l'action, l'observation de ce qui s'est passé conduisant ensuite à la réflexion et à un savoir accru. Nous avons connu ce cycle classique d'apprentissage depuis l'arrivée de la psychologie cognitive, au milieu du XXème siècle. Plus un savoir est complexe, plus il est important d'en passer fréquemment par ces cycles.

Le second facteur multiplicateur provient de l'engagement dans des cycles d'apprentissage qui soient systématiquement différents les uns des autres en termes de contexte. Les apprenants ont besoin de comparer dans des contextes différents pour développer un ensemble de savoirs et de compétences qui soient universels (travailler quel que soit le contexte), contingents (dépendant du contexte), et pour devenir capables de distinguer ce qui est universel de ce qui est contingent.

Dès le premier jour, les MBA devraient donc inclure des expériences réelles d'entreprise

Si les MBA visent à développer le jugement et la capacité à manager la complexité pour obtenir un impact social, ils doivent incorporer ces deux principes d'apprentissage pour relier la connaissance et l'action. S'asseoir dans une classe n'est utile que si cela prépare les participants à l'action. Et l'action devrait être liée à la réflexion et, au-delà, à un système de construction des savoirs. Dès le premier jour, les MBA devraient donc inclure des expériences réelles d'entreprise, et notamment des projets en situation, et intégrer ces expériences au cursus de base, plutôt que d'en faire des enseignements à part (ou pire encore, des électifs).

Plus encore, les MBA devraient inclure un grand nombre de ces expériences, et les organiser de façon à couvrir un large spectre de tailles et de situations d'entreprise, d'activités, de contextes économiques et culturels. Le programme devrait aider les apprenants à comparer et à confronter leurs expériences, ce qui permettrait de renforcer leur capacité à décrypter des situations et à en tirer un ensemble de réponses. Un vrai MBA devrait par essence être axé sur la formation au leadership.

En outre, ces principes ne sont pas seulement importants pour développer la capacité à manager la complexité, mais aussi pour renforcer des formes diffuses de leadership et des valeurs telles que l'éthique et la responsablilité. Savoir bien diriger, avec courage et intégrité, dans des situations difficiles, cela s'acquiert en affrontant ces situations et en se mesurant à elles par le dialogue. On apprend à diriger les autres en travaillant avec des personnes différentes de soi dans des situations difficiles. (…) En fait, utiliser l'apprentissage expérienciel pour acquérir ces deux types de compétences -diriger de façon responsable et manager dans la complexité -en même temps, cela permet de former des leaders capables de faire des choix avisés et de les appliquer avec succès.

Ces principes ne sont pas faciles à mettre en pratique dans des environnements d'apprentissage formels et structurés. En intégrant l'apprentissage par l'action dans un MBA, vous ouvrez la porte à la perte de contrôle et à l'imprévu. Que se passe-t-il si l'entreprise ne se montre pas coopérative ? Si les étudiants ne travaillent pas bien ? Si votre interlocuteur change, et que le nouveau ne veut plus travailler avec vous ? Que se passe-t-il si leur timing est différent du vôtre ? Les entreprises vivantes et les managers sont, c'est bien connu, plus difficiles à piloter que des manuels et des études de cas. Et en tant que professeurs, nous préférons nous appuyer sur un savoir bien balisé.

Pour éviter de devenir obsolète, le MBA doit être structuré pour répondre aux besoins de cet environnement complexe. A l'intérieur de nos écoles, nous devons prendre en compte le même niveau de complexité que nous voyons dans l'environnement. Et nous devons apprendre à nous ouvrir comme dans des cas réels et des exemples. Si les business schools sont prêtes à vivre ce que nous enseignons, alors les programmes MBA peuvent prendre encore plus valeur. Il s'agit là d'une énorme opportunité : si nous intégrons vraiment ces principes dans nos programmes, nous développerons des leaders qui amélioreront vraiment notre avenir. Cela n'en vaut-il pas la peine ?

 

Source: http://www.lesechos.fr

22/03/2011

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