Décennie africaine du genre – Les femmes face à toutes les violences
Alors que l’Union africaine lance la Décennie africaine du genre, la Commission économique pour l’Afrique (CEA) a évalué [1] les progrès accomplis dans l’application du Programme d’action de Pékin. L’éradication des violences faites aux femmes – publiques ou domestiques – occupe une place centrale sur l’échiquier des préoccupations.
Le Programme d’action de Pékin (1995) avait préconisé une série de mesures pour éradiquer la violence contre les femmes. Elles consistaient à « instituer dans les codes pénal, civil, du travail et administratif, les sanctions voulues pour punir et réparer les torts causés aux femmes et aux petites filles victimes de violence, qu’il s’agisse de violence dans le cadre familial, sur le lieu de travail, dans la communauté ou dans la société, ou renforcer les sanctions existantes ».
Dix ans plus tard, une évaluation lors du 6e Forum pour le développement de l’Afrique notait que la violence contre les femmes était devenue un « problème grave dans nombre de pays d’Afrique ». Et les parties prenantes africaines de ce forum réclamaient une campagne régionale de trois ans (2005-2008) sur ce thème.
Des sanctions juridiques ont été prises
Depuis, diverses mesures ont été prises, dont des sanctions juridiques : Bénin, Botswana, Gabon, Gambie, Maurice, Namibie, Sierra Leone ont mis en place des lois et stratégies de protection des femmes, modifiant leur code pénal. La Côte d’Ivoire forme des officiers de justice pour faire respecter les lois promulguées en la matière. Enfin, les mutilations génitales et le mariage forcé font désormais généralement l’objet de dispositions spécifiques dans les législations (Niger, Mauritanie, Burkina Faso).
Certains pays ont élaboré des stratégies nationales pour combattre la violence contre les femmes (Algérie, Comores, Congo, Gambie, Maroc, Tunisie). D’autres ont promulgué ou renforcé leurs législations pour sanctionner les coupables (Algérie, Angola, RD-Congo, Côte d’Ivoire, Niger, Sierra-Leone). Le Botswana et la Zambie ont entamé une révision du code pénal pour combattre la violence domestique.
Ces mesures sont surtout axées sur les victimes. Ainsi, le nombre de centres de conseils et d’assistance juridique proposés par les pouvoirs publics a augmenté dans les centres urbains mais il fait hélas encore largement défaut dans les campagnes.
Autre forme de violence en expansion, la traite des êtres humains, qui tourne au fléau sur le continent africain. Beaucoup de pays ne font rien pour y remédier malgré les diverses conventions des Nations unies existantes qu’ils ont souvent signées et ratifiées. Pour s’attaquer à la « culture du silence » et « à la participation limitée des garçons et des hommes » sur cette question, les médias auraient un rôle crucial à jouer – à l’instar de cette Cellule de femmes journalistes contre la violence sexiste créée en Angola.
Protéger celles qui vivent dans des conflits armés
Autre volet important du Programme d’action de Pékin, les gouvernements ont été appelés à « élargir la participation des femmes au règlement des conflits au niveau de la prise de décisions et à protéger les femmes vivant dans les situations de conflits armé et autres ou sous occupation étrangère ». Depuis, plusieurs résolutions récentes du Conseil de sécurité de l’ONU (1820 et 1888) sont venues renforcer l’application de la 1325. Adoptée en 2000, celle-ci engage les Etats-membres à « trouver des solutions aux problèmes de genre, de paix et de sécurité ».
En clair, les femmes ont des droits lors des phases de négociations de paix et de reconstruction. Il faut aussi mettre un terme à l’impunité et renforcer les dispositifs de protection des femmes. S’il y a urgence, peu d’Etats consentent à appliquer ces mesures devenues pourtant vitales pour les femmes, qui sont de plus en plus les cibles de violences dans les guerres civiles qui se multiplient sur le continent. En attestent les récents viols – insoutenables – des Guinéennes lors des événements du 28 septembre 2009 à Conakry ; ou ceux perpétrés en RD-Congo, en Centrafrique, en Côte d’Ivoire…
Des cibles spécialement vulnérables à la violence sexiste
Les évaluations montrent que la résolution 1325 « est assez mal connue en Afrique ». De ce fait, beaucoup de femmes continuent à être exclues des « structures inégalitaires » de décision. Or, pendant tout ce temps précieux, les femmes et les petites filles « restent des cibles vulnérables dans des situations de conflit (…), spécialement [exposées] à la violence sexiste. La Côte d’Ivoire indique que 52 % des femmes ont été déplacées par la guerre, et que 21 % des déplacées sont des femmes chefs de ménage ».
A noter que dans certains pays, des femmes ont participé au processus de paix (Burkina Faso, Malawi, Ghana, Guinée, Liberia, Mali). En Ouganda, elles étaient présentes aux négociations qui ont mis fin à vingt ans de conflit avec le nord du pays. La RD-Congo a aussi inclus des femmes dans ses processus de médiation. Toutefois, « les pays en situation de conflit ou d’après conflit éprouvent des difficultés considérables à appliquer la résolution 1325 ». En outre, « les femmes ne participent pas à un niveau élevé à la gestion des conflits » et aux initiatives de maintien de la paix.
L’égalité homme-femme inscrite dans les constitutions
Signe encourageant. Dans les cinq années écoulées, tous les gouvernements ont ratifié, entre autres, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes à l’exception de la Somalie et du Soudan. Le Comité pour l’élimination de cette discrimination a également reçu depuis 2004 les rapports de 30 pays africains. Ils montrent que les réformes législatives pour l’avancement et la protection des femmes sont en progression.
Le principe de l’égalité des hommes et des femmes est désormais inscrit dans la Constitution et dans les réformes législatives au Maroc, en Algérie et en Egypte. Si la difficulté sera de le faire appliquer, une autre menace pèse encore sur le droit des femmes en train de s’écrire. Il réside dans les contradictions entre droit coutumier, droit religieux et droit positif… Des obstacles que les cinq années qui nous séparent de 2015 ne suffiront peut-être pas à lever !
Antoinette Delafin
Vendredi 8 janvier 2010
Notes
[1] Examen de la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing en Afrique quinze ans après son adoption (Beijing+15). Rapport de synthèse 1995-2009, CEA, Nations unies.