lors qu’il fête ses quarante ans de présence en France, Harlequin est encore et toujours le leader mondial du genre. Sa directrice éditoriale, Karine Lanini a répondu à nos questions…
Harlequin a 40 ans. Le spécialiste mondial des romans à l’eau de rose ( chez Harlequin, on préfère parler de « romances ») s’est lancé en 1949 au Canada mais a débarqué en France en 1978. Et quarante ans plus tard, la maison d’édition porte beau et reste le leader du roman sentimental avec plus de 70 % de part de marché et plus de 700 titres publiés par an…
Depuis cinq ans, Karine Lanini est directrice éditoriale de Harlequin France. Elle nous explique comment, en 2018, la romance est plus que jamais au goût du jour.
Bon anniversaire ! Sans parler d’une crise de la quarantaine, Harlequin a-t-il beaucoup évolué ces dernières années ?
La vraie évolution, et ma plus grande fierté, est d’avoir attiré des auteures françaises. En 2013, on a lancé un appel à manuscrits. On ne passe jamais de commandes chez Harlequin, donc il s’agissait d’auteures déjà attirées par ce genre mais qui, peut-être, n’osaient pas se lancer.
A l’occasion de cet anniversaire vous rééditez des classiques de vos collections avec des couvertures réalisées par des illustrateurs contemporains comme Pénélope Bagieu. Pour dépoussiérer votre image ?
Il y a beaucoup d’idées reçues autour d’Harlequin. Nous sommes très connus et nos lectrices sont très attachées à nous, mais il y a encore des mythes, des clichés. Au salon Livre Paris, Harlequin sera mis à l’honneur. Ce sera l’occasion pour nous de raconter notre histoire, notre façon d’aborder le genre de la romance.
Révèlerez-vous les secrets de fabrication d’un roman Harlequin ? La fameuse bible ultra-précise…
Désolée, mais c’est une légende urbaine. La fameuse Bible Harlequin qui voudrait que l’héroïne embrasse son amoureux à la page 34 puis qu’ils couchent ensemble à la page 52 n’existe pas. Les seules recommandations que nous donnons aux auteures concernent les collections pour lesquelles elles postulent. Il y a par exemple une collection dont les histoires se déroulent dans le milieu hospitalier, d’autres à des époques précises… On a aussi une collection intitulée Love inspired dans laquelle la religion chrétienne doit avoir une place importante. Dans certaines collections, les relations amoureuses s’arrêtent à la sensualité, d’autres ont des scènes de sexe abouties. Il y a aussi une règle de longueur maximale. Mais c’est tout.
La romance est tout de même un genre très codifié…
Pas plus que la science-fiction ou le roman d’aventure à mon avis. Bien sûr, il y a un contrat de lecture. A la fin, l’amour triomphe et l’héroïne doit être heureuse.
Heureuse… et en couple.
Oui, on parle de bonheur romantique. S’il y a pour l’héroïne une réalisation de soi sans amour, ce n’est pas de la romance.
Les avancées du féminisme ont-elles une influence sur les romans Harlequin ?
Ce sont des romans qui suivent l’évolution de la société mais ne sont jamais à l’avant-garde. Ce n’est pas un genre militant mais un genre miroir. C’est pour cela qu’ils vieillissent assez mal. Les romans intemporels comme ceux de Jane Austen que l’on peut lire des années après leurs publications sont des exceptions. Les romances des années 1980 sembleraient affreusement datées aux lectrices de 2018.
A cause de la misogynie ?
Oui. Nos héroïnes se sont émancipées aujourd’hui. Elles travaillent, elles n’attendent pas tout des hommes. Les oies blanches n’existent plus dans nos romans. Même dans les collections les plus proches de l’inspiration « contes de fées », les héroïnes sont modernes et savent ce qu’elles veulent.
Y aura-t-il bientôt des romances post-MeToo et Balance ton porc ?
Sans aucun doute. Et ça pourrait devenir un ressort narratif. J’imagine très bien une histoire où l’héroïne harcelée se libère de son bourreau. Ou alors une histoire où l’un des obstacles sur le chemin de la romance est un cas de harcèlement sexuel. Bon, bien sûr, il faudrait que l’homme soit en réalité innocent et accusé à tort. Comme beaucoup de femmes, je suis persuadée que ce mouvement de fond va marquer durablement les esprits et les écrits.
Des romans Harlequin avec des héroïnes lesbiennes sont-ils envisageables ?
Il y en a quelques-uns sur notre plateforme numérique mais nous ne les avons pas publiés en version papier. Que ce soit des romances traditionnelles avec des personnages homosexuels, ou des romances où l’homosexualité d’un des protagonistes est une donnée parmi d’autres, ça n’attire pas un large public. Les collections très identifiées et communautaires ne fonctionnent pas en France. Certains de nos concurrents ont essayé mais ça n’a jamais pris. On y viendra peut-être.
Harlequin a 40 ans mais quel âge ont vos lectrices ?
La tranche d’âge la plus représentée est celle des 15-35. Je sais que ça surprend pas mal de monde. On lit Harlequin quand on est jeune. Puis on y revient passé 45 ans.
Vous parlez toujours de « lectrices » mais pas de « lecteurs »…
C’est un mystère pour moi. J’ignore pourquoi le genre de la romance n’attire pas les hommes.
Et vos héroïnes ? Y-en a-t-il qui ont 40 ans ou plus ?
Non, c’est assez rare. Il y a des personnages qui sont dans une seconde vie, après un divorce par exemple. Mais elles n’ont jamais plus de 35 ans. En général, les héroïnes ont autour de 20 ou 25 ans et construisent leur relation à l’amour, ou alors cherchent leur place dans la société et ont entre 30 et 35 ans. Je ne sais pas comment je réagirais si une auteure m’amenait une histoire avec des personnages de plus de 60 ans. Ce serait intéressant…