Les dernières enquêtes conduites au Canada devraient rassurer les étudiants qui s’interrogent à propos du retour sur investissement d’un diplôme universitaire. Mais le niveau du futur salaire ne peut pas être le seul critère.
Alors que les étudiants et leurs parents se préparent pour la rentrée, meublant les chambres de résidence et les appartements, achetant des fournitures scolaires et signant des chèques pour régler les frais de scolarité, une question les taraude sans doute : l’expérience vaut-elle ce qu’elle coûte ?
La valeur des études supérieures fait l’objet de débats depuis plusieurs dizaines d’années déjà, mais, avec l’augmentation des coûts, la pression pour un “retour sur investissement” n’a jamais été aussi forte.
Un gros investissement initial
Les frais de scolarité ont en effet monté en flèche au cours des dernières années. Selon Statistiques Canada, les frais de scolarité moyens des étudiants de premier cycle ont augmenté de 3,2 % l’an dernier et de 3,3 % l’année précédente, soit plus rapidement que le coût de la vie. L’an dernier, les étudiants de premier cycle ont payé en moyenne 6 191 dollars canadiens [4 216 euros] pour leurs frais de scolarité. Il faut cependant savoir que ce chiffre est plus élevé dans certaines provinces et que certains programmes de premier cycle – comme la médecine dentaire et la pharmacie – représentent plusieurs fois le coût moyen.
Si l’on ajoute à cela l’hébergement en résidence, les repas, l’achat de livres, les transports et les autres dépenses, on se rend compte rapidement que les études universitaires exigent un énorme investissement initial. Certes, le développement personnel associé à la poursuite d’études supérieures offre à l’individu des gains intangibles importants, mais nombreux sont ceux qui souhaiteraient pouvoir évaluer les coûts par rapport aux avantages financiers que leur procurera leur diplôme leur vie durant.
Tony Eder, directeur de la planification des ressources académiques à l’université de Victoria, explique :
Alors que le coût de l’éducation augmente et que les marchés deviennent de plus en plus compétitifs, il serait tout à fait justifié d’obliger les universités à démontrer que les programmes qu’elles offrent conduisent à des bénéfices concrets après l’obtention du diplôme.”
Des profils de revenus sur huit ans
Depuis plusieurs années, l’université de Victoria et d’autres établissements postsecondaires de la Colombie-Britannique mènent une enquête auprès de leurs diplômés afin de compiler des données au sujet de leurs compétences, de leur emploi et de leur niveau de revenu. Ces données sont publiées dans un rapport connu sous le nom de Baccalaureate Graduates Survey.
L’université de Victoria a également participé à une étude beaucoup plus vaste qui permet d’avoir une idée plus précise des revenus des diplômés. Elle a fait partie des 14 collèges et universités de quatre provinces ayant fourni les dossiers scolaires de leurs diplômés afin que ceux-ci puissent être mis en relation avec leurs données fiscales. Cette démarche a permis d’obtenir les profils de revenus sur huit ans des étudiants ayant décroché un diplôme universitaire de premier cycle ou un diplôme collégial en 2005.
L’étude, dirigée par l’Initiative de recherche sur les politiques de l’éducation (Epri, selon le sigle anglais) de l’université d’Ottawa, a produit certains résultats surprenants qui ont été présentés dans un rapport paru cet été.
Le “mythe du barista” battu en brèche
S’il est vrai que les diplômés en génie, en commerce et en informatique ont des revenus plus élevés que les étudiants sortant d’autres facultés, les diplômés en lettres et en sciences sociales s’en sortent cependant plutôt bien eux aussi.
Cela vient détruire ce que Ross Finnie, professeur à l’université d’Ottawa et principal auteur du rapport, appelle le “mythe du barista” [barman], soit l’idée répandue selon laquelle certains diplômes universitaires ne donnent accès qu’à des emplois à faible revenu.
L’étude montre en effet qu’à l’exception des diplômés en beaux-arts – qui ont le plus de difficultés à trouver des emplois bien rémunérés –, les revenus des diplômés en sciences sociales et en lettres sont bien au-dessus de ceux des baristas, même l’année suivant l’obtention du diplôme. Les étudiants en sciences sociales qui ont terminé l’université en 2005 ont commencé par gagner un salaire de 36 300 dollars [24 719 euros], mais celui-ci est passé à 62 000 dollars [42 220 euros] huit ans plus tard. Le salaire des diplômés en lettres est quant à lui passé de 32 800 à 5 000 dollars [22 336 à 38 815 euros] pendant la même période.
Selon Ross Finnie, les diplômés en lettres et en sciences sociales ont des aptitudes en matière de résolution de problèmes, ils sont de bons communicateurs et ils peuvent se montrer très innovateurs et adaptables. De nombreux employeurs reconnaissent ces qualités et n’hésitent pas à les embaucher.
Les ingénieurs figuraient malgré tout au premier rang avec un revenu moyen de 56 400 dollars [38 407 euros] l’année suivant l’obtention de leur diplôme et de 99 600 dollars [67 824 euros] huit ans plus tard.
“La majorité des diplômés s’en sortent bien”
S’il est vrai que les études de génie, de commerce ou d’informatique permettent souvent de s’assurer une carrière stable et un bon salaire, “tout le monde ne veut pas être ingénieur et tout le monde ne peut pas l’être”, poursuit Ross Finnie.
On ne rend pas service aux jeunes en leur disant, alors qu’ils prennent l’une des décisions les plus importantes de leur vie :‘Si tu ne peux pas être ingénieur, scientifique ou technicien en informatique, alors il vaut mieux laisser tomber et rentrer chez toi.’”
D’après le professeur Finnie, la participation d’un plus grand nombre d’établissements postsecondaires donnerait une plus grande portée à l’étude. Il faudrait aussi approfondir les recherches en s’intéressant aux compétences spécifiques qui sont valorisées sur le marché du travail, en déterminant la valeur financière que représente la participation à un programme coopératif pendant les études universitaires et en examinant les liens entre l’histoire personnelle des étudiants ou leurs notes pendant les études secondaires et leur emploi éventuel.
Si l’on s’intéresse aujourd’hui davantage à l’évaluation de la valeur financière des diplômes de premier cycle, la pratique était déjà courante pour les diplômes en administration des affaires. Depuis 1999, le magazine Forbes classe les programmes américains de MBA sur la base de leur retour sur investissement. L’an dernier, l’école de commerce de Stanford (Stanford Graduate School of Business) est arrivée au premier rang du classement. Forbes a déterminé que ses diplômés amortissaient leur investissement et faisaient un gain moyen de 89 100 dollars américains [79 344 euros] dans les cinq ans suivant l’obtention du diplôme.
D’après Paul Davidson, président d’Universités Canada, association qui représente les administrations universitaires canadiennes, la pression exercée sur les universités pour les obliger à fournir des données sur les perspectives d’emploi et de revenu associées aux diplômes de premier cycle est devenue particulièrement forte après le début de la récession, en 2008. Avant cela, “la proposition de valeur [d’un diplôme] n’était jamais remise en question”, a-t-il dit.
S’il est très utile d’avoir accès à des données “granulaires et complètes” comme celles présentées dans l’étude du professeur Finnie, celles-ci mettent simplement en évidence une réalité qui a toujours existé, selon Paul Davidson.
La vaste majorité des diplômés universitaires canadiens s’en sortent bien, économiquement et socialement. [Le diplôme] reste le chemin le plus sûr vers la prospérité.”
Le salaire ne peut pas être la seule motivation
Il est cependant crucial de reconnaître que le simple fait de fréquenter l’université et d’être exposé à toutes sortes d’expériences dans ce cadre crée “un individu transformé”, explique-t-il. L’étudiant qui se présente à la cérémonie de remise des diplômes “a peut-être fait un stage coopératif ou étudié à l’étranger, il est peut-être tombé amoureux, il a peut-être tissé des liens d’amitié durables, ce qui favorise le développement de la cohésion sociale”.
S’il est important de comprendre la valeur économique potentielle d’un programme universitaire, cela ne devrait pas être la seule raison justifiant le choix d’un domaine particulier d’études, selon David Barnard, président de l’université du Manitoba.
Celui-ci a remarqué que ceux qui choisissent d’étudier dans un domaine spécifique en se basant uniquement sur les perspectives d’emploi ont parfois de mauvaises surprises. Par exemple, certains étudiants formés dans les métiers liés au secteur pétrolier ont aujourd’hui de la difficulté à trouver un emploi dans leur domaine. Et nombreux sont ceux qui ont abandonné l’idée d’étudier les technologies de l’information après l’éclatement de la bulle technologique, en 2000. Le secteur a pourtant rebondi quelques années plus tard et il offre aujourd’hui de belles perspectives d’emploi.
David Barnard croit que la meilleure option pour les nouveaux étudiants est de trouver un sujet qui les captive :
S’il est évidemment important de prendre en considération les réalités économiques de la vie, les choix que vous faites influencent ce que vous ferez pendant le reste de votre vie et cela devrait être quelque chose qui vous passionne.”
Il ajoute que même si l’emploi que vous occupez vous permet de gagner beaucoup d’argent il est fort possible que vous soyez malheureux si cela implique de faire quelque chose que vous détestez.
Source: http://www.courrierinternational.com/article/canada-les-etudes-superieures-valent-elles-le-cout