Une escouade d’élèves a investi la cour de Sciences Po Paris. « On essaie de deviner qui seront les membres du jury pour notre soutenance », chuchote Sehl Zargouni. A 36 ans, ce Tunisien n’est pas étudiant mais directeur général de Microred Tunisie, une institution financière basée à Tunis. En parallèle, il suit depuis avril un programme inédit et exclusivement destiné aux Africains : LeAD Campus, Leaders pour l’Afrique de demain.
C’est la plupart du temps dans les locaux de la prestigieuse institution parisienne que cette promotion panafricaine de 25 participants, âgés de 30 à 50 ans, est venue se former. Quatorze nationalités représentées pour une seule problématique : valoriser l’énorme potentiel du continent africain. Issus de l’élite économique de leur pays respectif, les candidats ont tous un projet professionnel qu’ils ambitionnent de mettre en œuvre dès leur retour en « développant l’Afrique par l’Afrique ». Mais avec l’aide de la France.
« Pire que l’école ! »
Le programme est en effet l’initiative de deux institutions hexagonales, l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) et la fondation AfricaFrance qui a, il est vrai, aussi un pied sur le continent. « Former les cadres dirigeants africains aux réalités complexes du développement du continent est une nécessité et une priorité », estime le Franco-Béninois Lionel Zinsou, président d’AfricaFrance et ancien premier ministre du Bénin.
Après une semaine au Cap, une semaine à Dakar et des cours d’e-learning entre chaque session, le programme de sept mois s’achève samedi 10 septembre à Paris. « Devoir accompli ! », se réjouit M. Zargouni. Ou presque. Tous les participants doivent encore subir l’épreuve de la soutenance, avant d’obtenir un certificat. « C’était pire que l’école : on avait des devoirs tous les soirs. Cet été, pendant que les autres profitaient de leurs vacances, moi je travaillais ! », raconte d’un air amusé Aline Modassie, une Camerounaise de 38 ans employée du Fonds d’équipement intercommunal dans sa région de l’Adamaoua.
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Al-Hassan Khalil est directeur exécutif de Dari Couspate, une entreprise marocaine spécialisée dans le couscous, qui exporte déjà dans neuf pays africains. « Nous sommes très demandeurs de partenaires industriels en Afrique, explique le Marocain de 41 ans. Mais on ne peut pas y aller comme ça, il faut connaître des gens, défricher le terrain pour trouver les bons partenaires industriels de demain. » Pendant la semaine de formation à Dakar, il a notamment réussi à signer un contrat avec un distributeur sénégalais. L’expérience africaine lui a également permis de cibler d’autres marchés régionaux. Avec cinq Marocains présents dans la formation, le royaume chérifien, qui mène depuis quinze ans une offensive tous azimuts sur le continent, est la nationalité la plus représentée du programme.
A la conquête de l’Afrique subsahélienne
Comme ses camarades marocains, Sehl Zargouni veut dépasser les frontières du Sahel pour mieux connaître ce continent qui est aussi le sien. « Quand on voyage dans un pays subsaharien depuis le Maghreb, on a tendance à dire “on va en Afrique”. Mais on est déjà en Afrique !, regrette le Tunisien. Nous sommes Africains et nous connaissons très mal notre continent. C’est triste. »
L’intérêt principal de la formation réside sans doute le fructueux carnet d’adresses avec lequel repartiront les candidats. Pendant sept mois, les 25 Africains se sont côtoyés comme une véritable promotion d’école, avec ses moments de stress, ses débats houleux, ses gestes d’entraide. Un réseau consolidé par un groupe WhatsApp très actif, « utilisé à outrance parfois », plaisante Djiby Diagne, un Sénégalais de 35 ans. « Mais on passe notre temps à échanger, à se donner des conseils. Ça nous sert énormément. »
Mais ce carnet d’adresses a un coût : 12 000 euros. La plupart des candidats ont obtenu un financement de leur employeur, d’autres ont demandé une bourse en déposant leur dossier. Même si la France lui a alloué un budget de 3 millions d’euros via l’AFD, le programme ne pourra pas se poursuivre au-delà de trois à quatre ans sans devoir attirer de nouveaux investisseurs. « Nous cherchons des partenaires pour pérenniser le programme et surtout pour le faire croître en volume, car 25 candidats à l’échelle du continent africain, c’est dérisoire », indique Vincent Douillet, le chef de projet.
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Source: Le Monde