Mary Teuw Niane, ministre sénégalais de l’enseignement supérieur, explique au Monde Afrique les enjeux de ce vaste chantier éducatif prévu jusqu’en 2022.
L’année 2016 s’annonce comme une échéance majeure pour la grande réforme de l’enseignement supérieur sénégalais lancée par le gouvernement en 2013. Avec l’ouverture de deux universités en octobre, la création de plusieurs instituts de formation, la réfection et l’extension de nombreux établissements, le Sénégal entend devenir un pôle de formation majeur pour toute l’Afrique de l’Ouest. Mary Teuw Niane, ministre de l’enseignement supérieur, explique au Monde Afrique les enjeux de ce vaste chantier éducatif prévu jusqu’en 2022. Il est aussi l’un des intervenants majeurs au Next Einstein Forum qui s’est ouvert à Dakar le 8 mars 2016.
L’objectif de la réforme de l’enseignement supérieur est de transformer le Sénégal en pôle de formation pour toute l’Afrique de l’Ouest. Comment allez-vous attirer les étudiants étrangers ?
Le Sénégal est un pôle éducatif historique pour la région. En établissant le Plan Sénégal émergent (PSE) dont est issue la réforme de l’enseignement supérieur, nous avons souhaité consolider cet héritage. Dans notre pays, il y a plus de 10 000 étudiants étrangers, ce qui contribue au savoir-faire, au leadership, au rayonnement de nos universités à l’étranger et constitue aussi un apport économique considérable. Il y a deux ans, afin de favoriser la venue d’étudiants étrangers, nous avons pris des mesures importantes en instaurant les mêmes droits d’inscription pour tous les étudiants ressortissants de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Togo) comme pour tous les pays voisins du Sénégal : Gambie, Guinée, Mauritanie, Cap-Vert, ainsi que des partenariats avec le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, les Comores et Haïti.
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Est-ce que cette mobilité académique concerne aussi les étudiants européens ?
Nous encourageons les universités sénégalaises à renforcer leurs programmes de mobilité avec les pays américains et européens. Depuis quelques années, nous avons de plus en plus d’étudiants internationaux, notamment à Dakar et Saint-Louis. Ce sont principalement des Espagnols, des Français et des Américains qui viennent faire des programmes d’une année en master dans des formations scientifiques ou techniques. Aujourd’hui, nous recherchons en priorité une ouverture vers les pays anglophones d’Afrique. C’est pourquoi, nous avons institué l’enseignement obligatoire de l’anglais dans toutes les filières du supérieur. Notre objectif est qu’à la fin de la licence, les étudiants puissent suivre des cours de master en anglais. Nous comptons sur notre enseignement mathématique et scientifique qui, de manière général, est d’un niveau plus élevé que dans les pays africains anglophones.
Un autre objectif de la réforme est la professionnalisation des cursus et le développement des filières scientifiques et techniques afin de favoriser l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Quelles sont les mesures prises en ce sens ?
Malgré une hausse des inscriptions ces trois dernières années, les filières en science, technologie, ingénierie et les formations professionnelles courtes sont la minorité. D’où la volonté de réorienter vers ces filières dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE). Nous avons donc lancé la construction de deux universités thématiques qui répondent à ces besoins : l’université de Mahtar Mbow, qui développera deux grands pôles science et technologie, science et santé, puis l’université du Sine Saloum qui se concentrera sur les formations en agronomie et en agriculture.
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Et comment favoriser la professionnalisation?
Nous développons un réseau d’instituts supérieurs d’enseignement professionnel (ISEP) qui offre des formations courtes axées sur des métiers et des compétences, avec une innovation : l’introduction de séjours en entreprise obligatoires dans les cursus. La première ISEP a été créée à Thiès (60 km à l’ouest de Dakar) il y a trois ans avec les fonds de la Banque mondiale et propose des formations en multimédia, tourisme, système et réseaux, agroalimentaire et métiers du rail. Cinq autres ISEP sont en route. Une à Diamniadio (30 km à l’ouest de Dakar) pour les métiers de l’automobile et les métiers des TIC (technologies de l’information et de la communication), financée par l’agence coréenne de coopération internationale à hauteur de 4,5 milliards de francs CFA (près de 7 millions d’euros) et 500 millions (760 000 euros) par la Banque mondiale. Un à Matam (est) en agriculture, agroalimentaire, chimie, métiers des mines et artisanat, sur financement national. Enfin, deux ISEP sont financés par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) : un à Richard Toll (nord) en agriculture, agroalimentaire, machinisme agricole et génie rural, et le dernier à Bignona (sud) avec les mêmes formations en ajoutant le tourisme.
La réforme met l’accent sur les disciplines techniques et scientifiques ce qui inquiète les professeurs de lettres et de sciences sociales. Quelle place la réforme réserve-t-elle aux humanités ?
Les humanités font partie de la marque de fabrique du Sénégal. Quand vous avez eu un premier président comme Léopold Sedar Senghor, poète et académicien, de grands écrivains comme Oussman Sembène, Birago Diop et des contemporains comme Boubacar Boris Diop, il est de notre devoir de préserver cette tradition littéraire et cette culture des humanités.
Vous avez évoqué des financements pluriels pour la réforme. A combien se chiffrent-ils et d’où proviennent-ils ?
Aujourd’hui, l’intégralité des financements se chiffre à 302 milliards de francs CFA (459 millions d’euros) pour la période 2013-2017. A titre d’exemple, entre 1960 et 2012, nous possédions moins de la moitié de ce montant. Ces financements proviennent en grande partie de l’Etat sénégalais, mais aussi d’autres bailleurs importants. Il y a la Banque mondiale, qui finance une partie de la réhabilitation de l’université Cheikh Anta Diop (UCAD), la Banque ouest-africaine, qui a financé le siège de l’université virtuelle du Sénégal et cinq espaces numériques ouverts, l’agence coréenne de coopération internationale qui a financé l’ISEP de Diamniado et l’université virtuelle du Sénégal et l’Agence française pour le développement qui a financé deux espaces numériques ouverts.
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La réforme prévoit-elle d’augmenter les bourses étudiantes ?
Le Sénégal est l’un des pays africains qui consacre le plus de ressources aux œuvres sociales et aux bourses. Nous travaillons actuellement sur un système de prêts étudiants. Nous allons leur donner la possibilité de financer plus facilement leurs études et ainsi permettre aux universités d’augmenter leurs ressources. L’un de nos objectifs est de placer une université comme l’UCAD dans le classement de Shanghai (le plus prestigieux des classements académiques) d’ici 2025. Nous commençons à réduire les effectifs de l’UCAD pour qu’ils arrivent d’ici 2022 à 50 000 étudiants. Avec le taux d’encadrement qu’aura alors l’UCAD, ce sera une université beaucoup plus performante.
La création de deux nouvelles universités avait-elle pour but de désengorger l’UCAD qui compte 85 000 étudiants pour 25 000 places ?
Oui, c’est une des raisons mais pas la principale. Nous avons un territoire très centralisé autour de Dakar. Nous devons donc décentraliser afin de développer des pôles de formation dans les régions. Désormais chacune des quatorze régions du Sénégal aura son ISEP. Les filières seront définies en fonction des potentialités et des besoins économiques de chaque région. Par exemple, l’université d’agriculture et d’agronomie du Sine Saloum a été créée au cœur du bassin arachidier du pays.
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Dans ce plan de répartition des pôles de formation, quelle place aura Dakar ?
Il est prévu de faire de Dakar un campus de référence pour l’Afrique de l’Ouest. Notre but est d’attirer les meilleures universités du monde pour qu’elles y installent certaines de leurs filières les plus prisées par les pays africains. Nous voulons faire en sorte que les étudiants africains n’aient plus besoin d’aller à Paris pour faire un bon master de politique publique alors qu’ils pourront suivre un enseignement de qualité à Dakar.
Quelles sont les inadéquations actuelles entre les formations dispensées au Sénégal et les besoins du marché du travail ?
Dans le cadre du Plan Sénégal émergent, nous avons pour projet l’alignement des filières d’enseignement supérieur sur les besoins de l’économie, tout en gardant en tête que les universités ont aussi une mission d’éducation générale. Quand on regarde le tissu économique sénégalais, on voit que nous manquons très fortement de petites et moyennes entreprises. Afin de les démultiplier, nous avons lancé en décembre 2015 le programme sénégalais pour l’entreprenariat des jeunes (PSEJ). Nous avons sélectionné mille diplômés ayant un projet d’entreprise pour suivre cette formation pendant une année. Après six mois, ils réalisent un stage d’incubation et à la fin de l’année, après avoir passé leur diplôme, ils vont être accompagnés dans la création de leur entreprise. Tous ne vont pas créer une entreprise mais ils auront alors une formation suffisante pour combler le manque de main d’oeuvre qualifiée dans les secteurs qui recrutent.
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Cette inadéquation est-elle liée au trop grand nombre de filières ayant des débouchés réduits ?
Oui, le problème est le déséquilibre entre les filières littéraires, juridiques, politiques et sciences sociales, par rapport aux filières scientifiques, techniques et professionnelles. C’est un problème historique que la réforme essaie de corriger. Même la faculté de lettres essaie de créer de nouvelles filières plus professionnalisantes comme les métiers du patrimoine, les métiers de la culture, les métiers du numérique, les métiers de la traduction, les métiers du multimédia, etc. Il y a donc des tentatives même si ce n’est pas encore à la hauteur de la distorsion qui existe. Mais l’effort est là et la démarche permettra de réduire ce fossé.
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