FRANCE – L’UMP réclame l’interdiction du port du voile dans les universités. Les présidents d’université sont majoritairement contre, mais qu’en est-il des professeurs ? Notre contributeur, qui enseigne dans un établissement de banlieue depuis 10 ans, a vu une de ses étudiantes revenir “en voile du dimanche” après les attentats de janvier. Il s’y oppose pourtant fermement.
Dans un des cours que j’ai dispensé cette année, trois de mes 30 étudiants étaient des jeunes femmes voilées.
Des étudiantes catholiques voilées
Cela fait 10 ans que j’enseigne la littérature française dans une université de la banlieue parisienne et ça fait 10 ans que ça ne me dérange absolument pas de faire cours devant des étudiantes voilées. Avant elles, il m’est arrivé d’avoir pour étudiantes des religieuses catholiques, elles aussi voilées.
Lorsque l’on est enseignant, c’est avant tout un regard qu’on tente de capter, une curiosité qu’on veut éveiller et une réflexion critique qu’on cherche à aiguiser. Les habits qui enveloppent tout cela n’ont pas vraiment d’importance. Même s’ils représentent l’adhésion à un culte.
Interdire le port du voile à l’université, c’est anticiper une scission qui n’existe pas.
La majorité des étudiants et des professeurs de mon université ne voient aucun problème dans le port du voile dans l’enceinte de l’établissement. À l’université, nous sommes des adultes enseignant une discipline à d’autres adultes. Les étudiants sont responsables et conscients. Le choix de porter tel ou tel signe vestimentaire leur appartient.
En termes de liberté de penser et d’autonomie, l’université n’a rien à voir avec le collège ou le lycée.
Une opération de marketing politique
La demande d’interdire le voile à l’université m’apparaît davantage comme une opération de marketing politique que comme résultant d’une réflexion de fond. Avec cette proposition, l’UMP ne sert pas la vocation de l’université, qui est l’approfondissement du savoir, dans un esprit d’ouverture et de dialogue.
C’est pourquoi, d’ailleurs, je reconnais volontiers que le sujet du port du voile mérite d’être discuté. En témoigne mon expérience avec une de ces trois étudiantes voilées qui participaient à ce cours cette année.
Comme je le fais toujours pour favoriser la formation d’un véritable groupe, j’ai organisé, lors de la première séance, un vote pour élire un délégué au sein de notre classe. Une seule étudiante a présenté sa candidature ; elle a été élue à l’unanimité.
Le savoir par delà les croyances
Elle était voilée, ce qui n’a en rien dérangé ses camarades. Pas un seul signe de réticence. Ça ne me dérangeait pas davantage, bien évidemment. Pourtant, dès cet instant, j’ai cherché à instaurer avec elle un dialogue plus attentif. Je souhaitais sans doute qu’à travers notre travail, nos échanges, nos lectures et nos réflexions critiques, elle en vienne d’elle-même à interroger ce signe d’appartenance.
J’avais peut-être un objectif secret, celui de lui faire partager, jusqu’à la hauteur de son voile, le gai savoir de la littérature, par delà les croyances. Il ne s’agissait naturellement pas de lui faire quitter ce voile, mais de l’ouvrir à un monde plus accueillant à la diversité.
Peut-être souhaitais-je qu’elle s’affranchisse de certaines barrières et qu’elle découvre une liberté de pensée laïque. D’autant qu’elle accomplissait ses tâches de déléguée à la perfection, tout comme son travail universitaire, et que nos échanges étaient sereins et confiants.
Elle n’était pas Charlie
Or un jour, dernière séance de notre cours, voici qu’elle s’est présentée plus solennellement voilée que jamais. C’était une dizaine de jours après les attentats de janvier.
Elle est entrée dans la salle revêtue du “voile du dimanche”. Non pas le voile intégral, mais une tenue à la fois plus soignée, plus rigoureuse et plus élégante que d’habitude.
C’était évidemment un message qu’elle adressait. Nous n’en avons pas parlé, la longue tunique parlait. Elle n’était pas Charlie. Elle proclamait une autre appartenance. D’autres idées, d’autres valeurs, l’emportaient manifestement sur celles que je croyais avoir patiemment distillées au cours du semestre.
Mon entreprise avait-elle échoué ? Pas sûr. Mais une frontière s’est un instant dressée. À nous de l’estomper.
Propos recueillis par Barbara Krief.
http://leplus.nouvelobs.com/
15-02-15