Longtemps méprisé par les investisseurs, ce vaste territoire serait-il devenu une des nouvelles frontières du business mondial ? Dans un livre émaillé de témoignages, le consultant Jonathan Berman nous dévoile les atouts méconnus d’un «africapitalisme» au potentiel enthousiasmant.
L’Afrique est un grand continent à plusieurs titres. D’abord géographiquement ; ensuite par son activité économique, qui va de l’exploitation minière à la téléphonie mobile ; par ses ressources humaines, notamment les entrepreneurs et les jeunes ; et enfin par les opportunités qu’elle offre aux entreprises africaines et étrangères. Elle présente aussi des défis majeurs, que j’espère exposer ici avec clarté. Avant tout, l’Afrique est grande par ses ambitions. Si vous vous intéressez aux marchés frontières, à la croissance et à la capacité des individus à prendre leur destin en main, comprendre ces ambitions et où elles peuvent vous conduire sera utile.
Mais ne vous y trompez pas : c’est bien l’ambition africaine et aucune autre qui guide l’Afrique, un continent créateur de réussite pour lui-même et pour les autres. On trouve en Afrique plus de 150 sociétés dégageant un chiffre d’affaires annuel de 1 milliard de dollars, et plus de 500 qui dépassent la barre des 100 millions de dollars. […]
L’Afrique regorge de prospects et d’entreprises peu endettées
Manquer de quelque chose ne veut pas dire que l’on n’est pas en mesure de le payer. Le secteur des biens de consommation croît à toute vitesse en Afrique. De 2000 à 2010, les ressources naturelles ont contribué pour un tiers à la croissance africaine. Selon le rapport «L’essor du consommateur africain», de McKinsey & Comapany, d’ici à 2020, plus de la moitié des foyers africains auront de quoi s’offrir des à-côtés, ce qui représente 130 millions contre 85 millions aujourd’hui. […] C’est en s’appuyant sur la force de ces clients que James Mwangi a bâti Equity Bank, la plus grande banque d’Afrique de l’Est. Aujourd’hui, Equity gère 7,8 millions de comptes et a une capitalisation boursière de plus de 1,3 milliard de dollars.
Pour James, le succès d’Equity est lié à ce qu’il a appris dans sa jeunesse en faisant du porte-à-porte pour vendre du charbon [au Kenya, NDLR]. «J’ai vu que mes clients avaient de l’argent, mais qu’ils le gardaient à portée de main parce qu’ils en avaient besoin tout de suite, m’a-t-il raconté. Avant d’être sur des comptes Equity, cet argent dormait sous les matelas.»
Une des raisons pour lesquelles les concurrents de James Mwangi n’ont pas su répondre aux besoins des clients disposant de faibles revenus est qu’ils considéraient ces clients comme un risque de crédit insupportable. Dans les faits, le taux de non-recouvrement des crédits d’Equity Bank au dernier trimestre 2012 battait tous les records du secteur avec un petit 3%. Cette perception erronée du risque de crédit est flagrante à l’échelle de l’Afrique entière. Selon un rapport réalisé en 2012 pour le G20 par la société de conseil Roland Berger, le coût du capital en Afrique est calculé sur la base d’un taux de non-recouvrement de 15%, alors que celui-ci est en réalité de 8%. Le rapport estime qu’à elle seule cette mauvaise estimation du risque représente un manque à gagner de près de 9 milliards de dollars de recettes annuelles. General Electric voit aussi des opportunités en Afrique là où d’autres, par habitude, croient voir des risques. Jay Ireland (le patron de General Electric Africa) s’explique : «Si l’on pense au défaut de paiement des crédits et aux faillites, où en a-t-on vu le plus ces huit dernières années? Aux Etats-Unis et en Europe, ou en Afrique? Il n’y a pas de risque d’effet de levier ici, car les entreprises ne jouent pas sur l’endettement. Tous les projets sont garantis par l’Etat et par une lettre de crédit. En Afrique, ne pas payer ses créanciers signifie mettre la clé sous la porte. American Airlines a fait faillite mais vole encore. La plupart des entreprises en Afrique n’ont pas cette latitude, alors elles paient. Certains Occidentaux ont tendance à l’oublier.» […]
Un public avide de marques et de services utiles
Se rapprocher de clients jadis laissés de côté par le marché a des avantages tangibles en termes de fidélité à la marque. Cela peut métamorphoser la symbolique d’une entreprise, ce qu’explique bien Bharat Thakrar, le PDG de Scangroup (services marketing) : «Si vous demandez à un Européen quelle marque compte le plus pour lui, il répondra Apple, BMW ou Mercedes. Pour la plupart des consommateurs africains, ce sera leur opérateur téléphonique.» […] «L’explication est très simple, poursuit Bharat. Les Africains utilisent leur téléphone pour envoyer de l’argent, et pour communiquer comme jamais ils n’avaient pu le faire auparavant. Ils sont beaucoup plus attachés à leurs opérateurs téléphoniques parce que ceux-ci font beaucoup plus pour eux.» […]
Les investissements visent aussi la richesse sociale
En Afrique comme dans la plupart des marchés frontières, être rentable et répondre aux besoins de son environnement immédiat constitue un seul et même enjeu. […] L’économiste et banquier nigérian Tony Elumelu a résumé ce concept sous le terme d’«africapitalisme». Selon sa définition, c’est «une philosophie économique qui représente l’engagement du secteur privé dans la transformation économique de l’Afrique par le biais d’investissements à long terme, qui créent à la fois de la prospérité économique et de la richesse sociale». La plupart des investissements que j’évoque dans ce livre réunissent ces caractéristiques. Ils créent de la richesse sociale, parce que c’est ce qui marche en Afrique.
[…] En 2011, PricewaterhouseCoopers a mené une enquête auprès des PDG du monde entier pour leur demander quel rôle ils se voyaient jouer dans l’année à venir. Pour la plupart, les PDG africains s’imaginaient dans un rôle similaire aux autres, à une différence près : 75% prévoyaient d’impliquer davantage leur entreprise dans la réduction de la pauvreté, contre 42% des PDG au niveau mondial. […]
Un PDG qui force le respect de ce point de vue est la Nigériane Funke Opeke, de MainOne [services télécoms et réseaux câblés, NDLR]. Voici comment l’a décrite un étudiant de Harvard : «Quelqu’un comme Funke, qui a eu la perspicacité de voir que la prochaine vague de développement en Afrique était fortement dépendante de l’économie de l’information, me semble admirable. Fournir un accès haut débit à Internet, et construire l’infrastructure qui permet d’y accéder directement sur mobile plutôt que sur un ordinateur de bureau, c’est le plus grand accomplissement que j’ai vu durant toute cette période de croissance africaine. MainOne s’efforce aussi de faire baisser les prix afin que la bande passante soit abordable.» […] Quelle entreprise ne rêve pas que les jeunes talents issus des grandes écoles de commerce disent cela d’elle ?
Par ailleurs, Funke parle avec la même passion de la raison d’être de son entreprise. En 2012, MainOne s’est lancé dans un combat controversé (et parfois interne) pour apporter le haut débit directement aux utilisateurs, mettant l’entreprise en concurrence directe avec les fournisseurs d’accès existants. Je lui ai demandé les raisons de cette décision, m’attendant à une réponse purement commerciale. «Si nous ne nous assurons pas que notre câble est bel et bien utilisé, alors nous pouvons considérer que nous avons jeté notre capital dans l’océan. C’est absolument certain», a-t-elle dit. Et elle a poursuivi : «Il faut qu’Internet atteigne plus de gens. Je pense aux écoles, aux jeunes, aux petites entreprises, de sorte que le gouvernement puisse en tirer parti. Avec le niveau de chômage actuel, les jeunes Nigérians traînent dans les rues. Donnez-leur accès à l’information, et peut-être certains d’entre eux se mettront-ils en quête d’une connaissance qui puisse vraiment les aider à acquérir des compétences et à contribuer à la société.» […] C’est dans le besoin que l’on trouve des opportunités en Afrique. Pour beaucoup d’entreprises, c’est une barrière à l’entrée qui les confine à une niche de luxe. Pour les entreprises qui réussissent, le besoin est le terreau fertile qui permet d’attirer les talents, d’innover et de créer des profits.
Extraits de Ces entreprises qui réussissent en Afrique, Jonathan Berman, Diateino, 22 Euros. (Jonathan Berman est consultant, spécialiste des pays émergents et en particulier de l’Afrique).
Chinafrique : les liaisons dangereuses ?
En 1960, le montant des échanges entre la Chine et l’Afrique était de 100 millions de dollars. […] Il s’élevait à plus de 200 milliards en 2013. […] Le débat pour savoir si la Chine a un effet positif ou pas sur l’Afrique n’a lieu ni en Chine ni en Afrique. Il se tient essentiellement en Occident. Voilà ce qu’en dit Mo Ibrahim (le créateur de la société de téléphonie mobile Celtel), de façon simple mais percutante : «Les Américains parlent comme si l’Afrique était un partenaire infidèle qui commerce à présent avec la Chine, et comme si c’était dangereux pour nous. Mais le premier partenaire commercial de la Chine, ce sont les EtatsUnis. Alors pourquoi serait-ce si bon pour les Etats-Unis et si mauvais pour l’Afrique?» […] Pourquoi les Chinois sont-ils gagnants sur ce continent? Ils gagnent en Afrique parce qu’ils gèrent bien l’incertitude, qu’ils mettent les mains dans le cambouis, font preuve d’une ténacité remarquable et adaptent leur modèle économique localement. Ce sont les traits communs à la plupart des chefs d’entreprise qui réussissent en Afrique, quelle que soit leur origine. [ …] En plus du capital, les dirigeants d’entreprise africains voient souvent les Chinois apporter énergie et réactivité aux projets qu’ils entreprennent. «En Afrique, nous avons souffert de ce que l’Occident ne fonde ses financements que sur la demande d’hier, dit James Mwangi, le patron d’Equity Bank. Il faut que nous soyons capables de construire en fonction de la demande future.» [ …] Enfin, les entreprises chinoises s’engagent à long terme. Cela se manifeste par exemple par la durée des prêts proposés par les Chinois, jusqu’à deux ou trois fois plus longs que ceux proposés par les Occidentaux.
Un continent qui en vaut trois
L’infographiste Kai Krause a mis en évidence par cette carte l’étendue de l’Afrique. Pour les besoins de la démonstration, la Chine et l’Inde ont été divisées en deux parties (Wikimedia Commons, 2011).
Suite: http://www.capital.fr/
13/02/2015