De réforme en réforme, le niveau de français au Maroc s’enlise dans la médiocrité au moment où l’enseignement des langues se perfectionne et se développe à tel point qu’on peut acquérir une langue en un temps record. L’apprentissage de la langue française dans les écoles publiques au Maroc reste sclérosé dans des méthodes archaïques et le Résultat : après neuf ans d’apprentissage de cette langue, c’est-à-dire en classe de 1ère année baccalauréat, seule une minorité d’élèves la parle correctement.
Ainsi plusieurs hypothèses peuvent être émises pour mettre en évidence les facteurs qui expliquent cette situation et analyser l’état des lieux. La baisse du niveau peut être imputée aux méthodes et aux programmes adoptées dans l’apprentissage, au manque de motivation et de besoins langagiers chez les apprenants, à l’absence d’objectifs ciblés et de finalités précises pour l’enseignement de français, au manque de moyens didactiques et audiovisuels à même de faciliter l’apprentissage, à un déficit relatif à la formation et à l’encadrement des enseignants ou à tous ces facteurs combinés à la fois .
Depuis l’instauration de la fameuse Charte nationale d’éducation et de formation qui stipule dans son levier numéro 9 que :
«L’apprentissage de la première langue étrangère sera introduit dès la deuxième année du premier cycle de l’école primaire, en centrant durant cette année, sur la familiarisation orale et phonétique». Le français, bien entendu étant historiquement privilégié a bénéficié de ce statut de 1ère langue étrangère du moins dans l’enseignement public, car le privé le place au même rang que la langue arabe classique qui n’est pas la langue maternelle des Marocains. Des programmes ont été conçus et une diversité de manuels basés sur les approches par compétences ont vu le jour mais les résultats malgré l’adoption de cette pédagogie de pointe n’ont pas suivi. Les élèves parviennent à la fin du primaire dépourvus de moyens linguistiques aussi bien à l’écrit qu’à l’oral et les lacunes s’accumulent jusqu’ à la fin du lycée où les résultats du régional en français dévoilent d’une façon flagrante le vrai niveau de français.
En l’absence de statistiques officielles, on peut avancer comme praticien observateur que la majorité des élèves de l’enseignement public n’atteignent pas les objectifs tracés par les orientations pédagogiques de français de 2007 à savoir : «L’élève qui accède au cycle secondaire qualifiant est déjà capable de s’exprimer de manière correcte et efficace, dans des situations de communication complexes. Il est appelé, durant ce cycle, à consolider ses acquis, à se perfectionner en vue d’une appropriation élargie et progressive des dimensions culturelles, discursives et linguistiques de la langue française».
Selon les textes officiels aussi bien la Charte que les orientations relatives à l’enseignement de la langue française, l’objectif est on ne peut plus clair. Il s’agit de doter l’apprenant marocain des outils langagiers, discursifs et culturels pour communiquer dans une langue étrangère qu’il aura impérativement à utiliser pour terminer ses études ou dans le domaine professionnel puisque cette langue est largement présente dans notre société .
Mais pourquoi après tant d’années d’apprentissage les résultats laissent-ils beaucoup à désirer? Ne faut-il pas incriminer les programmes en vigueur?
Instaurés depuis une dizaine d’années et n’ayant connu aucun changement depuis lors, ces programmes sont loin de faire l’unanimité des enseignants. La majorité d’entre eux se plaignent de certains manuels calqués de façon parodique et aveugle sur des manuels français ou glanés dans des sites Internet alors qu’ils sont destinés à des élèves dont le français est la troisième langue après l’arabe marocain ou l’amazigh puis l’arabe classique.
Le statut du français a changé au Maroc depuis le début de l’arabisation et il n’est plus la langue d’apprentissage au primaire et au secondaire. Pourquoi les programmes ne prennent-ils pas en considération cette réalité tangible? N’est-il pas aberrant de programmer des œuvres intégrales comme “Le fils du pauvre” de Mouloud Feraoun à des élèves de 6ème année primaire qui arrivent à peine à construire des phrases simples? Que veut-on précisément de cet élève? D’apprendre une langue ou de stimuler son désir de lire? Pour parvenir à ce deuxième objectif, il faut d’abord réaliser le premier et l’école à elle seule ne peut pas promouvoir la lecture.
Si au primaire les manuels sont rebutants et inaccessibles, ceux du collège, trois par niveau, sont dispersés, incohérents et rébarbatifs et au lieu de remédier aux lacunes accumulées tout au long du primaire, les difficultés s’amoncellent et l’élève ne sait plus sur quel pied danser. N’ayant pas de base pour suivre le cursus, il baisse les bras et l’idée qu’il est dépassé se creuse dans son esprit. Dans certains cas, en fonction des moyens et du milieu, il s’inscrit dans des centres de langue ou des Instituts français qui, eux, optent pour des manuels de FLE .Bref, durant les trois années collégiales, seule une petite minorité parvient à «s’exprimer de manière correcte et efficace, dans des situations de communication complexes ».
La majorité aborde le lycée, incapable de construire des énoncés corrects et paradoxalement, une fois dans le secondaire qualifiant, l’apprentissage de la langue se réduit à l’étude des œuvres intégrales et quelles œuvres! Des classiques de la langue française avec les nouvelles de Maupassant au tronc commun, Victor Hugo en première, Balzac et Voltaire en 2ème. Tous les élèves de toutes les branches, littéraires, scientifiques et techniques, qui tâtonnent à peine, se lancent dans des exégèses littéraires : les points de vue, les figures de style, les procédés narratifs et j’en passe. Dès les premiers chapitres, les élèves désertent la lecture et cherchent des palliatifs pour récolter des notes afin de dépasser le lycée avec les moindres dégâts car même avec des moyennes inférieures à 5/20 en français, on peut avoir son baccalauréat. Le professeur se livre à un discours unilatéral avec certains rescapés du système qui trouvent que les œuvres choisies sont ennuyeuses. Il fait étalage d’un savoir littéraire pédant qu’il comprend tout seul et aux examens, on propose des épreuves qui frisent le ridicule car le niveau est si bas que l’on ne trouve pas de questionnement adapté à des œuvres littéraires.
Revenons à présent aux moyens didactiques, il est vrai que l’apprentissage des langues a réalisé des pas de géant dans l’intégration des TICE (les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) dans le cursus mais dans nos lycées, avoir un magnétophone pour écouter un enregistrement, relève de l’utopie. Il faut écrire une demande au directeur qui négocie avec l’intendant qui doit programmer un budget et attendre mais le magnétophone n’arrive jamais car quelque part la demande est rejetée. Tous les discours qui concernent l’équipement des établissements en matériel informatique et audiovisuel ne sont que pure littérature et si une salle est miraculeusement équipée, cela ne dure que peu de temps. Soit que le matériel est défectueux, car l’effectif des classes ne permet pas de travailler sur un nombre limité de machines. Soit que la salle est squattée par manque de salle de cours. Soit encore que la direction veille soigneusement sur le matériel et garde la salle fermée devant le public jusqu’à ce que le matériel tombe dans les oubliettes. Alors où en sommes-nous pour installer dans nos établissements des laboratoires de langue, des tableaux interactifs, des data show ou tout autre moyen TICE? Dans l’attente d’une telle aubaine, l’apprentissage se fait par le bouche à oreille avec le tableau noir qui n’est pas toujours en bon état et si on veut des photocopies, on fait cotiser illégalement les élèves ou si l’enseignant est un peu généreux, il les fait à ses frais.
Après avoir examiné les facteurs qui ont engendré la baisse du niveau de la langue française relatifs à la conception des programmes et aux conditions d’apprentissage, deux éléments restent à rappeler: le premier concerne les apprenants et le deuxième la formation des enseignants.
Depuis plusieurs années la réforme de l’éducation et de la formation met l’apprenant au centre de l’action pédagogique. C’est ce qui explique en partie la mise en place d’une pédagogie des compétences. Mais pour l’enseignement des langues comment peut-on considérer l’élève comme acteur de la formation alors que les besoins d’apprentissage sont souvent liés à des motivations intrinsèques? Selon les spécialistes, l’enfant apprend facilement la langue maternelle parce qu’il ressent le besoin de communiquer. Dans ce cas, la majorité de nos élèves manquent de ce besoin pour une langue étrangère comme le français. Seule une minorité bénéficie de cet avantage car souvent cette langue est utilisée dans leur entourage, ce qui leur permet de la parler en dehors de la classe. Pour les autres, la communication en langue française ne dépasse pas la classe mais l’effectif ne permet pas de la pratiquer suffisamment. Il faut donc que l’institution trouve des palliatifs pour remédier à ce problème et créer des besoins chez les apprenants.
Le deuxième élément est lié à l’enseignant. Dans tous les systèmes éducatifs du monde, le choix des enseignants se fait selon des critères rigoureux, car ce métier exige en plus de compétences liées à la discipline enseignée, beaucoup de disponibilité, d’abnégation et une vocation. Dans notre société, le métier d’enseignant est souvent choisi après avoir essuyé des échecs dans des métiers plus prestigieux et souvent l’embauche se fait sans formation préalable et même si elle existe dans certains cas, elle est entachée de plusieurs tares auxquelles il faut trouver des solutions. Le fast-food auquel elle est réduite, une année de formation en alternance avec le stage, n’est pas suffisante pour avoir des enseignants de qualité au niveau professionnel quel que soit leur parcours universitaire. Les enseignants de la langue française ne dérogent pas à la règle et un bon nombre d’entre eux ont appris le métier dans le tas.
La formation continue, quant à elle, est quasi absente dans notre système éducatif. Le monde évolue et les méthodes avancent et l’enseignant doit s’adapter car il est la locomotive et si cette dernière est vétuste, elle ne peut guère remorquer des wagons ultramodernes. Le nombre d’inspecteurs est réduit au strict minimum et les portes des universités sont cadenassées au nez de ceux qui désirent compléter leur formation.
En conclusion, il est certain que la baisse du niveau de la langue française est due à plusieurs facteurs combinés certains liés aux programmes et aux méthodes, d’autres aux acteurs de l’enseignement-apprentissage: élèves et enseignants et aux moyens didactiques. Mais d’autres facteurs externes ont également un impacts à savoir le recul du français en faveur de l’anglais qui attire beaucoup plus les élèves et à d’autres causes liées à la promotion de cette langue par les organismes français qui se livrent à un commerce de cours de langue et de diplômes au lieu de s’investir bénévolement dans les écoles à travers des partenariats pour redonner un peu de prestige à la langue de Molière.
Source: http://www.libe.ma/