Les universités privées Chypriotes font tout pour attirer les étudiants africains. Un business juteux pour les uns, le début d’une galère pour les autres. Car la vie à Chypre n’est pas facile pour des ressortissants africains.
Nicosie, capitale de Chypre – Dans sa boutique traditionnelle située au vieux centre, Maureen – la trentaine, cheveux bouclés et large sourire collé au visage – accueille tout le monde :
« J’ai commencé ce petit business pour aider la communauté africaine et parce que je ne voulais pas rester à la maison. »
Elle y vend du sirop de bissap, de la farine de foufou, des tissus et bijoux venus d’Afrique et offre des services de manucure et coiffure. Sa boutique est devenue le lieu de rendez-vous de la communauté africaine. Après avoir achevé des études de management à Nicosie, Maureen s’est lancée dans une thèse, qu’elle a dû arrêter suite à sa grossesse. Depuis cette interruption, Maureen reçoit régulièrement des courriers de son université, lui rappelant sa dette :
« Avec les intérêts, je suis passée de 800 euros à plus de 2.000 euros au cours de deux ans. Pour accélérer le remboursement, ils ont menacé d’appeler le Ministère de l’Immigration. »
A 32 ans, Romial Menmogne poursuit des études en gestion de l’entreprise. Le président de l’association des étudiants étrangers à Chypre se souvient parfaitement du moment où il a décidé de quitter son Douala natal et déménager en République de Chypre :
« Ils sont venus au Cameroun et ont fait une conférence pour présenter leur école. Mon père a insisté pour que je parte, même si j’étais embauché à l’époque dans une entreprise à Douala. »
C’est aussi au Cameroun que Line Ngalou a appris l’offre des Colleges chypriotes et qu’elle a pris la décision de venir étudier sur l’île. Elle débarque en 2007, pour entamer des études de tourisme et de gestion d’entreprise. Un rêve qui se transforme vite en gouffre financier. Sa formation lui aurait coûté au total près de 35.000 euros. Et pour cause : une année de licence est facturée en moyenne 4 000 euros. Et même pour recevoir l’imprimé des relevés de notes les étudiants déboursent 5 euros.
« Tout est payant, lance la jeune Camerounaise. Et si on doit de l’argent à l’école, on ne peut pas négocier. On paie même des intérêts. Le système éducatif de Chypre est-il un système bancaire ? »
Maureen, pourtant mariée à un citoyen chypriote, avoue elle aussi se sentir de plus en plus angoissée dans son pays d’accueil. En 2013, pendant la campagne présidentielle à Chypre, elle se souvient avoir été contrôlée par la police, dans sa propre maison :
« J’étais devant la fenêtre, il m’ont vu et sont venus frapper à la porte pour me demander les papiers. Mon mari était fou de rage ! »
Si à son ouverture en 2012, la boutique de Maureen a connu un certain succès, la situation a changé dernièrement : « Mes clients sont les Africains et d’autres étrangers qui vivent à Nicosie. Mais depuis 2013, la police fait la chasse aux Noirs et aux Asiatiques et ils sont nombreux à avoir été arrêtés. »
Les représentants de l’Ombudsman à Chypre (équivalent dans de nombreux pays, du défenseur des droits) admettent que le pays a besoin d’une « politique migratoire plus clairement définie ». Si après l’invasion turque de l’île en 1974 ce sont les Chypriotes qui ont immigré, notamment dans les pays anglo-saxons, à partir des années 80, l’île a commencé à attirer du monde, grâce à son développement économique.
Aujourd’hui, « les étrangers sont discriminés au cours des procédures administratives. Les délais ne sont pas respectés, et il n’y a que très peu d’information donc il est difficile pour les étrangers de comprendre les démarches de demande de visa ou d’asile », détaille Elena, du Bureau de l’Ombudsman à Nicosie.
Lors d’un contrôle de police en 2013, un jeune ivoirien a eu une jambe cassée et s’est retrouvé ensuite poursuivi pour agression. La video montrant la violence des policiers chypriotes a fait le tour du Web.
«Les contrôles de police sont devenus monnaie courante dans les rues de Nicosie, explique Willy Totoro, journaliste et militant. Ils arrêtent des personnes noires ou asiatiques qu’ils regroupent dans un coin et ensuite commencent à vérifier leurs papiers. Si tu poses des questions pendant ce temps-là, on te met les menottes tout de suite.»
Willy, animateur radio, originaire du Congo, dirige l’association ARRCY, dédiée aux réfugiés politiques sur l’île.
RACISME Quand ce n’est pas la police qui les arrête, ce sont les simples citoyens qui leurs font comprendre qu’ils ne sont pas les bienvenus.Chassés des lieux touristiques, des cafés branchés et même de l’église (orthodoxe), les jeunes africains doivent affronter des attitudes racistes au quotidien, comme le raconte Romial :
« Dans l’immeuble où j’habite, alors que j’attendais l’ascenseur, une dame âgée m’a demandé d’attendre encore, parce qu’elle ne voulait pas monter avec un Noir. »
Le Président de l’association des étudiants étrangers à Chypre est un habitué de l’épicerie-salon de Maureen. Tout en sirotant un café, il s’épanche sur son quotidien difficile :
« Nous n’avons pas le droit de travailler, de demander un visa et même pas de faire un stage, alors que dans d’autres pays européens ces droits sont respectés. Rien de ce qu’on nous a dit n’est vrai, on a été victime d’un trafic. »
Même visiter les autres pays de l’Union européenne est quasiment impossible. Line pensait ce droit garanti par son statut d’étudiant :
« Ils disent que les immigrés ont le droit de sortir du pays, mais c’est faux. On doit avoir minimum 2.000 euros sur le compte bancaire, ce qui est impossible. »
Romial a fondé en 2008 l’Association des étudiants étrangers à Chypre pour organiser des activités. Selon lui, la grande précarité financière des étudiants africains les pousse à l’isolement et ses événements n’attirent pas vraiment grand monde. « Quand tu penses que tu dois payer le bus pour t’y rendre et que tu n’auras pas assez pour manger après, tu es découragé et ne viens plus ».
BAD BUZZ Tous les étudiants africains rencontrés font part de la même désillusion. Sept ans après son arrivée, Line confesse que ses rêves sont anéantis : « Tu fais des études, mais tu ne peux pas pratiquer, pas même faire un stage. » De son côté Romial compte bien terminer ses études et poursuivre les activités de son association, « pour que les choses changent à l’avenir ». Une fois son diplôme en poche, il semble compliqué de se projeter : « Dans ce pays on ne planifie rien. Je suis ici parce que je n’ai pas le choix. J’espère qu’un jour je pourrai partir. »
Et d’insister sur la déception du rêve chypriote : « J’ai dit à mon petit frère de ne pas faire la même erreur que moi ». Le bad-buzz commence à se faire ressentir : le nombre d’étudiants Camerounais a nettement baissé les trois dernières années. En 2011, ils étaient 1.500, cette année, il n’y a eu que 250 nouveaux inscrits.