Peu payés et bien chargés, les stages dans les organisations internationales restent prestigieux pour les jeunes qui ont « la dalle ». Encore faut-il avoir le piston. Enquête.
Sur son CV, deux stages prestigieux à l’ONU. Six mois chacun, à Genève et à New York. Pour financer le premier, elle a dû emprunter 20 000 euros.
Aujourd’hui, Clémence Poujade, membre du collectif Génération précaire travaille en CDI aux Apprentis d’Auteuil.
Elle raconte que dans son bureau genevois, au sous-sol, ils étaient « quinze stagiaires entassés, la plupart occidentaux ». Clémence évoque une réelle inégalité des chances face à ce genre d’opportunités.
« Les organisations internationales ne remplissent pas leurs objectifs d’aide à la jeunesse dans leurs propres murs. »
A New York, elle a travaillé dans le bureau d’une grande association au siège des Nations unies. Elle résume ainsi le fonctionnement de la structure : « Un directeur avec dix stagiaires à l’année qui se succèdent. »
« A l’époque, j’avais la dalle, je ne me posais pas de questions. Je me disais : “Accroche-toi !” »
Matt, ex-stagiaire, écrit à Ban Ki-moon
Clémence se dit maintenant consciente d’avoir alimenté un système : « Ils te font avaler la pilule parce que tu vas sauver le monde. »
Un ancien stagiaire de l’ONU, Matt Hamilton, avait déjà alerté en 2012 sur les abus de l’organisation avec son mouvement Unpaid is unfair. Dans une pétition et une lettre adressée à Ban Ki-moon, son secrétaire général, il expliquait qu’avec « des bureaux à New York et à Genève, accepter un stage non payé aux Nations unies est une expérience que peu de jeunes du monde peuvent s’offrir ».
Il lui reproche de grands discours sur le chômage des jeunes alors même que « les Nations unies ne font pas plus pour leurs propres jeunes travailleurs, des milliers de stagiaires non payés qui contribuent au travail de l’organisation chaque année ».
Sa pétition sur Change.org a réuni à ce jour 4 500 signatures.
La journée du sandwich
En juillet dernier, les stagiaires de l’Union européenne et des organismes qui gravitent autour se sont aussi « rebellés ». Ils ont lancé la journée du sandwich, seul repas qu’ils peuvent se permettre lors de leur pause déjeuner. Sur leur page Facebook, ils expliquent :
« Etant stagiaires à Bruxelles, nous voulons aussi parler au nom de ceux qui ne peuvent se payer l’avantage d’avoir un stage ici. Des stagiaires qui travaillent jusqu’à 50 heures par semaine ne reçoivent souvent pas assez d’indemnités pour couvrir leurs frais. Leurs revenus doivent être complétés par d’autres ressources comme celles des parents. Cela crée un régime d’exclusion sociale envers les gens moins nantis. »
Mais l’abus de stagiaires n’est pas réservé aux grandes organisations internationales.
Pierre en a fait l’expérience à la Fondation contre l’exclusion. Payé le minimum légal (436,05 euros par mois au-delà de deux mois), il a du mal à joindre les deux bouts à Paris. C’était son troisième stage de six mois depuis le début de sa scolarité. Il a compté de nombreux stagiaires dans la structure.
« J’avais des Tickets Resto, mais la part salariale était décomptée de ma gratification. J’ai alors fait une demande pour qu’on me la rembourse. »
Réponse de la direction : « Si tu fais trop de problèmes, des Tickets Resto, t’en auras plus ! »
« On ne se fait pas de profit sur leur dos »
La responsable des relations extérieures de la Fondation contre l’exclusion, Catherine Tripon, se défend d’exploiter des stagiaires.
« Nous ne sommes pas une entreprise de droit privé, on ne se fait pas de profit sur le dos des stagiaires. Et puis, ils sont chacun suivis par un titulaire, on ne les lâche pas dans la nature. »
La structure compte six stagiaires et deux personnes en volontariat pour 33 employés. Soit un quart du personnel. Aucune loi ne prévoit de plafondmaximum de stagiaires par entreprises. Une des rares lois sur la réglementation des stages, en date de 2006, stipule toutefois qu’ils ne doivent pas remplacer un vrai poste ou qu’ils ne doivent pas être utilisés pour faire face à un accroissement temporaire d’activité. Mais Catherine Tripon n’envisage pas une seconde être à la limite de la légalité.
Pierre, lui, sort écœuré de son stage : « C’est totalement l’hôpital qui se fout de la charité. »
Entre gens bien
Après des études de sciences politiques, Claire a travaillé dans une petite structure aux Etats-Unis avant de faire un stage dans une ONG dans le domaine de la santé à Paris. Payée le minimum légal, elle se débrouille et dort dans le même lit qu’une amie qui veut bien l’héberger.
« C’est comme une course d’endurance. Chaque année est un tour de stade. Chaque fois que tu fais un stage tu gagnes dix points. C’est souvent par piston les premières années. Au fur et à mesure des tours, tu rajoutes des points et des contacts. Mais à chaque tour, ça écrème. »
Certaines ONG n’ont pas froid aux yeux. En stage six mois dans une ONG de défense des droits de l’homme reconnue internationalement, Elena, d’origine américaine, accepte les règles du jeu. Sept personnes travaillent dans les bureaux parisiens, dont trois en stage. Les deux assistants du directeur sont des stagiaires renouvelés tous les six mois. Pourtant l’Urssaf est claire sur ce point [PDF] :
« L’accueil successif de stagiaires, au titre de conventions de stage différentes, pour effectuer des stages dans un même poste n’est possible qu’à l’expiration d’un délai de carence égal au tiers de la durée du stage précédent. »
Un de ses anciens collègues stagiaires raconte, blasé :
« C’est un milieu qui se recycle. Ça marche par contacts entre fils et filles à papa, et entre gens qui ont les moyens. »
« Du travail, il y en a par-dessus la tête »
Il a lui-même dû refuser un stage dans une agence de l’ONU à l’étranger. Elle ne lui garantissait aucun statut, aucune rémunération ni logement. Lui proposait de venir avec un seul visa de touriste. Si, en France, les stagiaires bénéficient d’un minimum légal, à l’étranger c’est la jungle.
Pour expliquer ce phénomène, Adrien Tomarchio d’Acted invoque la compétition entre des jeunes, nombreux, venus du monde entier. Mais aussi le manque de moyens :
« Du travail, il y en a par-dessus la tête, on a des besoins énormes, mais après on a des problèmes de financement comme tout le monde. »
Son ONG est une de celles qui envoient le plus de stagiaires sur le terrain. Adrien Tomarchio assure que la plupart sont embauchés par la suite. Sans toutefois donner de chiffres.
A entendre Elodie Malbranque, responsable du département accompagnement solidaire de l’Institut bioforce, les stagiaires sont un peu gonflés de se plaindre :
« Souvent, les jeunes qui ont un diplôme dans l’humanitaire pensent qu’ils sont opérationnels. Mais les ONG cherchent des compétences précises. »
Les apprentis supermen ne seraient donc pas formés en fonction des exigences des ONG. C’est bête.
Source: http://www.rue89.com/
October 2013