De plus en plus de jeunes diplômés piaffent dans l’anti chambre de l’emploi. Une vraie bombe sociale en puissance, que les autorités pourraient désamorcer en donnant la priorité à la formation technique dans les métiers innovants.
Mi février, devant la préfecture de Yaoundé. Dans la longue file composée d’une centaine de jeunes en sueur sous la canicule, André trépigne. Il doit faire signer et tamponner ses papiers d’Etat civil et ses copies de diplômes avant 15 h 30, heure de clôture de la réception des dossiers pour un concours d’entrée dans l’administration. A 32 ans, et avec sa maîtrise en droit des affaires, cela fait sept ans qu’il essaie en vain de forcer la porte de la fonction publique, ou de décrocher un travail dans le secteur privé. Un profil semblable à celui de chacun des quatre millions de jeunes qui font la queue devant diverse administration et entreprises à travers le pays tous les jours, à la recherche d’un moyen d’insertion professionnelle. Ils sont pour la plupart des diplômés, y compris dans des filières professionnelles. Pour tromper son ennui entre deux demandes d’emploi, André fait le répétiteur au profit d’élèves qui se préparent au Bacc. «Quelques parents de mon quartier me sollicitent pour encadrer leurs enfant en mathématiques et physiques, le soir. Ils me versent un perdiem pour supporter mes déplacements. Je suis bien content d’être utile, mais je prends de l’âge et j’angoisse pour l’avenir. Je dois faire recours aux oncles, aux parents et à certains amis pour régler mes petits problèmes, constituer les dossiers des concours administratifs. Ce n’est pas une posture très confortable pour quelqu’un de mon âge». Il y a deux ans, il est passé près d’une dépression.
Admissible après les épreuves écrites et sportives de l’institut national de la jeunes et des sport qui forme les fonctionnaire-professeurs de sport, il a été recalé aux épreuves orales. « J’ai vraiment frôlé le dépression. Mais quand je regarde autour de moi, je lis la même détresse. Nous sommes très nombreux à ne pas pouvoir faire de projets, faute d’emplois ».
Cette situation, analyse une étude de la coopération française, traduit deux faiblesses du marché du travail au Cameroun : l’inadéquation entre l’offre de formation et la demande d’emploi et l’absence d’un tissu industriel développé, à même de pourvoir d’emplois qualifiés. De plus, souligne ce rapport, la plupart des demandeurs d’emploi (près de 58%) sont en situation de chômage de longue durée (plus d’un an). «Ceci pourrait s’expliquer par le fait qu’ils sont majoritairement des «primo- demandeurs» c’est-à-dire à la recherche de leur premier emploi (56,2%). Dans le contexte camerounais marqué par une exiguïté du marché du travail, ces derniers sont moins avantagés dans la recherche, les employeurs demandant le plus souvent une ou plusieurs années d’expérience professionnelle antérieure. La durée moyenne du chômage est de 38,5 mois soit un peu plus de 3 ans.»
Jean Luc, lui, s’est résigné. Titulaire d’une licence d’économie depuis 15 ans, il a déjà renoncé à chercher un emploi. Agé de 42 ans, il ne peut plus postuler aux concours d’entrée dans l’administration, réservé aux camerounais de 35 ans au maximum. Déjà père de famille, il ne peut se contenter de la précarité des emplois dans les micro entreprises locales. Il s’est reconverti dans la vente de brocante et de friperie, sans grand bonheur, mais avec philosophie. C’est certainement ce profil que Paul Biya dessinait dans son récent discours à la nation, en s’adressant aux jeunes qui ne vont pas à l’école, à ceux qui sont sortis prématurément du système scolaire et aux diplômés qui n’ont pas encore trouvé d’emplois et qui désespèrent d’en trouver. Dans le meilleur des cas, constatait Paul Biya ils exercent une certaine activité dans l’informel, souvent en deçà de leurs capacités. D’autres n’ont pas cette chance et croupissent dans l’oisiveté ou le vagabondage, avant de verser parfois dans la délinquance. Ceux qui ont un emploi, qu’ils soient pousseurs, chargeurs, tâcherons dans les chantiers, conducteurs de moto-taxis, etc., peuvent en vouloir à la société ». Une réalité bien décrite, et que confirment les chiffres : le secteur informel a déjà fait l’objet de deux enquêtes de l’institut national de la statistique. Selon le rapport de la 1ère phase, l’informel emploie 90,5% des actifs occupés au Cameroun, proportion restée stable par rapport à 2005. On Remarque aussi que 53% exercent dans l’informel non agricole tandis que les 37,5% restants évolue dans l’informel agricole. La tranche 15-34 ans étant la plus touchée.
Pour les services économiques français qui analysent la situation du chômage au Cameroun, l’évolution de la dynamique des emplois indique une baisse de l’emploi informel agricole au profit de l’informel non agricole. En effet, soulignent-ils, la part de l’informel agricole est passée de 76,4% avant 1999 à 22,9% en 2010, tandis que celle de l’informel non agricole a gagné plus de 40 points à 67% en 2010. Selon l’INS, ceci s’expliquerait par la substitution des emplois du secteur primaire informel (agriculture, élevage, etc.) par ceux du tertiaire informel (petit commerce notamment).
Ministre de l’emploi et de la formation professionnelle, Zacharie Perevet est assurément le membre du gouvernement le plus scruté par la jeunesse camerounaise dans ce contexte de faiblesse de l’offre d’emploi. Et pour cause, avec un chômage qui affecte presque quatre millions d’actif (un million de chômeurs et 3 millions de sous emplois), les actions menées jusqu’ici en faveur de la promotion de (emploi des jeunes reste insuffisants. Pourtant, selon lui, il y a lieu des rester optimiste quant à une baisse considérable du chômage au cours des prochaines années, pour plusieurs raison. D’abord parce que l’Etat qui lui lui-même vient d’achever un recrutement spécial de 25000 jeunes diplômés dans l’administration, lance annuellement des nombreux concours pour recruter de nouveaux agents à son services, mais surtout parce que le contexte actuel de redécollage économique, a assurément créer des nombreuses opportunités d’emploi pour les jeunes. Lors de la fête de la jeunesse qui se célèbre annuellement le 11 février Paul Biya a annoncé la création de 200 000 emplois à la faveur du lancement de grands chantiers structurants.
Problème, la plupart de ces grands projets concernent des secteurs innovants tels que la construction des barrages et d’autoroute, l’extraction minière, l’agro-industrie, ou encore des installations énergétiques. Tous des domaines dans lesquels la ressource humaine n’est pas toujours formée à tous les échelons. Ce qui conduit M. Prerevet à privilégier, pour le moment, l’intensification de la formation professionnelle : «j’ai encore en mémoire le fait que le Cameroun a dû importer de la main d’œuvre pendant la construction du pipeline Tchad Cameroun il y a dix ans. Pourquoi pareil scénario ne se déroule plus, nous mettons tout en œuvre pour que les Cameroun acquièrent des formations appropriées dans tous les nouveaux métiers qui vont naitre du lancement des grands chantiers. Pour le moment, le Cameroun dispose de nombreux cadre e ingénieur bien formés, tout comme d’un volume important de manœuvre. Il nous manque la catégorie intermédiaire de techniciens spécialisés, et dans les deux ans qui viennent il y en aura suffisamment pour satisfaire les besoins des multinationales qui arrivent».
Pour stimuler cette formation, l’Etat ne lésine pas sur les moyens. Des centres de formation privés, environ 300 au total, reçoivent annuellement des subventions de l’Etat, au prorata du nombre d’apprenants à former. Une sorte de bourse indirecte octroyée aux jeunes qui veulent apprendre un métier. Mais le plus grand projet, souligne M. Perevet, est celui du maillage du territoire, en centre de formation ultra moderne. Déjà, un financement de 10 milliards a été mobilisé auprès de coopération coréenne, pour la construction de trois centres de formation d’excellence à Douala, Sangmélima et Limbé et qui devraient livrer dès cette première année, un cuvées de 300 techniciens qualifiés dans les diverses professions innovantes. Dans la même démarche, des conventions ont déjà été signées avec la France pour la formation au métier, avec un financement initial de 10 millions d’euro, une somme qui devrait doubler avec la montée en puissance du projet. Localement, le gouvernement a pris l’option de transformer les 180 sections Déjà, se réjouit le ministre Perevet, sur un objectif de 60 000 jeunes à insérer dans le monde l’emploi, une évaluation à mi-parcours montre qu’au mois de juin dernier, quelques 50 000 chômeurs avant déjà pu être insérés, au moins de divers instruments mis en place par l’Etat, tels que le fonds national de l’emploi, le Programme d’Appui à la Jeunesse Rurale et Urbaine (PAJER-U) ou encore le programme intégré d’appui aux acteurs du secteur informel (Piassi). Ce programme doté d’un financement public d’environ 10 milliards de francs Cfa octroie des crédits à des conditions assouplies : onze mois de période de grâce avant un remboursement étalé sur 15 mois, avec un taux d’intérêt annuel de 6%. A l’actif du Piaasi, on peut inscrire la sensibilisation d’environ de quelque 5000 jeunes dans le cadre d’une vingtaine séminaires visant l’organisation des activités génératrice de revenus, la formation de quelque 500 maîtres artisans dans divers métiers à travers les dix régions du pays. Environ 10 000 autres ont été imprégnés de techniques managériales pour la réussite de leurs projets tandis que l’organisme réhabilitait des Centres de Formation Professionnelles Rapides.
Tous ces programmes, assure le ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle, sont appelés à se densifier car il ne s’agit encore que de programmes pilotes. De plus, l’idée d’un guichet unique de l’insertion professionnelle est en maturation de sorte qu’en un seul lieu, le chercheur d’emploi puisse choisir le programme qui correspond le mieux à ses aspirations. artisanales rurales et section ménagère (Sar-sm) en centres publics de formation aux métiers.
07 mars 2013
© François Bambou | La Nouvelle Expression