La meilleure université du continent africain veut conforter sa position de leader dans l’expertise sur ce continent et les marchés à forte croissance.
Elle en rêvait depuis très longtemps. Etudiante en première année (cinéma et médias) à l’université du Cap (University of Cape Town, UCT), Yolanda Benya, 19 ans, tient sa récompense. Des années que cette native de Khayelitsha, le plus grand township du Cap, à une vingtaine de kilomètres à l’est de la ville, se levait à 6 heures du matin pour rejoindre l’école secondaire de Kwamfundo.
Chaque matin, il fallait repasser l’uniforme, préparer le repas à emporter, prendre le petit déjeuner avec son frère cadet avant de marcher une demi-heure vers l’école. Retour le soir, après cinq heures, pour faire le ménage, le linge et la cuisine de toute la famille : son frère et sa mère, caissière dans un centre commercial.
La meilleure du pays
Tard, entre 22 et 23 heures, Yolanda pouvait enfin ouvrir ses livres et se consacrer à ses études, souvent jusqu’à une heure du matin. « Je voulais étudier à UCT parce que c’est la meilleure université du pays » sourit l’étudiante, encore épatée d’être venue à bout de ce parcours du combattant pour franchir la plus haute marche avec le soutien de ses proches.
Dans la dernière ligne droite, des cours supplémentaires de mise à niveau en maths et physique dispensés par l’ONG Equal Education lui ont permis d’améliorer son score au « matric », l’examen de fin d’études secondaires.
Admise, fin janvier, en première année, Yolanda savoure sa nouvelle vie sur le campus, « un vrai plaisir d’être dont j’apprécie chaque moment ». Une bourse de 10 000 rands (1 000 €) prend en charge ses frais d’inscription pour l’année, une aide financière complémentaire, remboursable à la fin de ses études, couvre ses dépenses de logement en résidence universitaire et le reste de son budget.
Une mère qui a « tout sacrifié »
« Ce qui compte, dit-elle, ce n’est pas d’être blanc ou noir, riche ou pauvre, c’est l’engagement que l’on met dans ses études. Les écoles publiques et privées fréquentées par les Blancs ont davantage de moyens et des professeurs plus qualifiés et motivés, mais ce n’est pas une excuse pour ne rien faire. J’ai la chance d’avoir une mère qui a tout sacrifié pour me soutenir. Après ma licence, j’aimerais faire des études de droit pour devenir avocate. Pour lutter contre la corruption et rendre service à ma communauté. »
Au pied des colonnes du Jameson Memorial Hall, le bâtiment symbole de l’université utilisé pour les remises de diplômes, les enfants bigarrés de la nation arc-en-ciel savent qu’ils sont des privilégiés, membres d’une élite recomposée pour refléter la réalité démographique du pays. Noirs, métis, Indiens, Chinois, Blancs ou « internationaux », les différents groupes se mélangent peu hors des salles de cours et des groupes de travail.
« En première année surtout, la différence de niveau éducatif et culturel entre étudiants blancs et noirs est souvent importante, commente Elsa Glenn, étudiante en master. Beaucoup de noirs abandonnent leurs études au bout d’un an, en dépit du système de supervision et de soutien censé les aider à combler leur handicap. »
Installée dans une ancienne prison
UCT, université publique, régulièrement classée meilleur établissement d’enseignement supérieur du pays et du continent africain (1), entend se positionner sur une niche « afropolitaine » en développant dans de nombreuses disciplines une expertise « Afrique » et « marchés émergents ». En février, le Financial Times a propulsé le programme MBA de la Graduate School of Business (GSB) au 54e rang mondial, un bon en avant de six places.
« Notre objectif n’est pas de créer un Harvard africain mais de développer un nouveau modèle, centré sur le contexte sud-africain, africain et les pays émergents », affirme Walter Baets, directeur de l’école installée dans l’ancienne prison de Breakwater, ex-zone portuaire industrielle, aujourd’hui consacrée au commerce et au tourisme.
« Nous voulons fournir à nos étudiants non seulement un enseignement de qualité mais une offre spécifique en termes de cours, d’enseignants et de méthodes, poursuit cet universitaire belge, ancien directeur du programme MBA à Euromed, école de commerce de Marseille. Nous apportons quelque chose d’unique : la chance de se colleter aux problèmes de l’entreprise dans des économies émergentes caractérisées par l’incertitude, la complexité et, malheureusement, les inégalités, une approche, fondée sur les valeurs et le développement durable. L’Afrique est un lieu idéal pour apprendre à diriger en apportant des réponses innovantes aux problèmes sociaux et environnementaux. »
« Le meilleur rapport qualité-prix »
Le programme MBA compte 82 étudiants de 16 nationalités différentes. L’école cherche à internationaliser ses effectifs en recrutant dans des pays émergents comme l’Inde, la Russie et le Brésil. Les étudiants sud-africains paient 140 000 rands (14 000 €) contre 300 000 rands (30 000 €) pour leurs camarades étrangers.
« C’est la seule université africaine bien classée internationalement, le meilleur rapport qualité-prix », souligne Sean Chibuye, 27 ans, originaire de Zambie qui avait également posé candidature à la London School of Business. « Lusaka n’est qu’à deux heures d’avion et la culture n’est pas très différente », ajoute ce passionné de « corporate finance », fils d’un comptable et d’une directrice d’école.
Après quatre années dans un grand cabinet d’audit, il projette de créer sa propre entreprise, si possible après une expérience de quelques années dans une banque d’investissement, en Afrique du Sud ou ailleurs. « Je ne veux pas travailler seulement pour gagner de l’argent ou enrichir les actionnaires d’une entreprise mais pour être utile », déclare Willem Jens, 30 ans, étudiant néerlandais « très heureux de prendre un nouveau départ dans un pays jeune, avec plein d’énergie et de possibilités » et qui apprécie l’accent mis sur la responsabilité sociale et le développement personnel.
Diversifier le recrutement
Cette année, le cours de « leadership » de Kurt April, spécialiste mondial du « management de la diversité » fait un tabac. Les étudiants y apprennent, entre autres, « les dimensions psychologiques de l’inclusion dans les organisations » et les facteurs personnels faisant obstacle ou facilitant « un leadership authentique et durable ».
Plus encore que les autres départements de l’université, la GSB a du mal à trouver des candidats sud-africains noirs pour son programme MBA à temps complet. « Les individus avec le calibre existent mais c’est un problème financier », explique Segran Nair, directeur des admissions.
« Peu d’entre eux peuvent se permettre de lâcher leur emploi pendant un an. Et ils n’ont pas le même réseau relationnel que les étudiants blancs sud-africains qui se succèdent depuis plusieurs générations sur les bancs de l’école. En dépit de cette difficulté, nous cherchons à diversifier notre recrutement, y compris à l’étranger. »
Face à ses concurrentes européennes et américaines, la GSB fait son marketing en misant sur ses points forts : un MBA centré sur les marchés émergents, un prix raisonnable et un programme court d’un an, de janvier à décembre. Sans oublier Le Cap, ses plages, la planche à voile, le surf, les randonnées et les vignobles…
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Un établissement en quête de diversité raciale
Effectifs : environ 25 500 étudiants dont 4 000 étrangers, la plupart originaires de pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
Répartition des étudiants de 1re année en 2011 : – Sud-Africains noirs : 1 108 – Sud-Africains métis : 555 – Sud-Africains indiens : 270 – Sud-Africains blancs : 1 373 – Sud-Africains chinois : 38 – Autres : 81 – Internationaux : 555
En 2010, 45 % des 20 500 étudiants sud-africains de l’université étaient blancs contre 25 % noirs. 70 % des professeurs sont blancs.
L’université du Cap s’inscrit dans le « processus de transformation » de l’enseignement supérieur sud-africain visant à refléter le caractère multiracial de la population du pays. Des objectifs à atteindre (non des quotas) sont fixés pour les inscriptions dans chaque faculté avec des critères de sélection moins exigeants pour les étudiants noirs. Des programmes de soutien sont ensuite offerts aux étudiants admis pour les aider à mener à bien leurs études.
(1) UCT est actuellement 107e dans le classement universitaire mondial 2010-2011 du Times Higher Education . Elle est la seule université africaine subsaharienne à figurer régulièrement dans les 200 premiers du classement.
François d’Alançon (au Cap)
http://www.la-croix.com
26/7/2012