Dans un article qui paraît dans le supplément "Culture & idées", l'écrivain et journaliste Marie Desplechin décrit l'enfer des classes préparatoires à travers le témoignage de plusieurs élèves. Des professeurs livrent leur point de vue.
Bruno Marchebout, professeur d'anglais en hypokhâgne au lycée Victor-Hugo (Paris)
"C'est une année difficile, de sacrifice, c'est vrai. En début d'année, je dis aux élèves : "Nous sommes des bourreaux bienveillants." On leur donne de "petits coups" afin qu'ils progressent car, au bout, il y a quand même un concours. Mais nous sommes là aussi pour les encourager, les soutenir et les rassurer. Je leur dis aussi : de l'émulation, oui, mais pas de compétition malsaine. Les élèves ont beaucoup de mérite. Ils mettent leur vie privée, leur vie familiale entre parenthèses. Il ne faut pas se tromper dans son choix : il vaut mieux faire sa première année dans une classe prépa moins prestigieuse, moins exigeante, mais qui permet de ne pas se faire broyer par le système. Les meilleurs élèves pourront ensuite se caser dans les meilleures khâgnes."
Hélène Cahn-Rabaté, proviseur au lycée Saint-Louis (Paris)
"Si l'enfer, c'est beaucoup de travail, alors on doit pouvoir dire que c'est l'enfer. Mais c'est très métaphorique. Une prépa, c'est aussi une aventure humaine et intellectuelle qu'il faut avoir envie de vivre pour soi, pas pour ses parents. Quand les élèves arrivent, c'est un choc. Certains étaient parmi les meilleurs de leur classe et se retrouvent dans les derniers sans pour autant avoir démérité. La prépa, c'est travailler en équipe. On ne peut pas réussir un concours seul. C'est beaucoup plus individualiste en médecine par exemple. Les professeurs qui humilient les élèves sont minoritaires. Et c'est inadmissible. Ils doivent aussi s'abstenir de lancer des petites phrases sous couvert d'humour. Il y a des établissements moins bienveillants envers les élèves, mais progressivement le système évolue. A Saint-Louis, depuis 2007, nous avons mis en place d'un côté un relevé de notes et, de l'autre, un bulletin avec un classement et une lettre."
Amaury Chauou, professeur d'histoire en prépa HEC au lycée Kerichen (Brest)
"Il y a un fossé considérable entre le lycée et la classe prépa. Les premiers mois se traduisent souvent par "une grosse baffe". Il faut leur expliquer qu'ils vont travailler entre 50 et 55 heures par semaine. Le problème c'est qu'on leur dit aussi "vous allez en baver" et jamais "vous allez vous épanouir". Il y a encore des établissements qui ont tendance à fonctionner comme des centrifugeuses. Chaque année, je récupère des élèves à la fin de la première année ou même avant Noël. Ils sont passés dans la machine à laver d'un grand établissement parisien. Les notes ont été divisées par trois, papa et maman sont loin… Ils sont démolis. C'est inacceptable."
Bruno Jeauffroy, professeur de physique en prépa scientifique au lycée Fénelon (Paris)
"Il y a 2 000 classes prépas, on en trouvera toujours où ça se passe mal. Et même là où ça se passe bien, il peut y avoir des élèves malheureux parce qu'ils sont arrivés avec un niveau moyen et qu'ils se sentent rapidement coulés.
Depuis mes débuts en 1985, j'ai beaucoup changé. Par exemple, je les accompagne plus, j'écris plus au tableau aussi. Et j'ai modifié ma notation. Avant, si je leur donnais un exercice difficile, impossible à terminer, celui qui avait tout bon obtenait 12 ou 13, la moyenne était de 6 ou 7. Aujourd'hui, pour la même copie, je mets 20. Si certains professeurs mettent des notes négatives, ce n'est franchement pas malin psychologiquement. Mais ce serait mentir de dire que faire une classe prépa c'est uniquement une partie de plaisir !"
Patrick Voisin, professeur de littérature, latin et grec au lycée Louis-Barthou (Pau)
"Entre 1994 (date de création des classes prépa dans ce lycée) et 2000, j'ai souvenir que le discours était beaucoup plus musclé. Nous avions cinq ou six départs très rapidement. Ce n'est plus le cas. Il y a une nouvelle génération de professeurs qui ne fonctionne plus du tout sur le mode de la terreur et de l'humiliation. Aujourd'hui, la très grande majorité des classes prépa ne sont plus là pour classer les élèves, les trier et les faire rentrer à Normale Sup. Néanmoins, chez nous comme ailleurs, il y a une souffrance : c'est le travail. Mais on peut imposer des règles de travail de façon humaine, sans brutalité."
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03/02/2012