Cette doctorante est une nouvelle victime de la volonté de limiter les flux d’étrangers. Au risque de ternir l’image de la France à un moment où elle veut former les élites internationales.
Jusqu’au bout, Emilie Adam Vézina, une étudiante canadienne venue faire son doctorat en France, a espéré que sa situation se règle dans la discrétion. Mais devant le risque d’être expulsée, elle a décidé de parler. Elle a donné hier une interview au Devoir, le grand quotidien francophone du Québec, ainsi qu’à la chaîne de télé de Radio-Canada, et a contacté plusieurs médias français. «Je suis blanche, francophone et femme, ce n’est pas la pire situation, explique-t-elle. Mais je veux bien être le porte-voix de tous les étudiants étrangers maltraités, africains, asiatiques… qui n’osent rien dire.»
Emilie Adam Vézina, 32 ans, à qui on a refusé en novembre son visa étudiant avec une obligation de quitter le territoire français (OQTF) d’ici le 10 décembre, est une nouvelle victime de la «politique du chiffre» de Claude Guéant. Pour afficher des statistiques en baisse en cette année électorale, le ministre de l’Intérieur veut réduire l’immigration légale, notamment professionnelle et étudiante. Et malgré la volonté de Nicolas Sarkozy d’attirer «les meilleurs du monde», les étudiants étrangers sont dans la ligne de mire. Résultat : sur les blogs et les réseaux sociaux, l’image d’une France fermée aux étrangers se propage à la vitesse du Web, au risque de décourager les candidats à nos universités et de froisser des pays comme la Chine ou l’Inde, grands pourvoyeurs d’étudiants étrangers, et où Paris rêve de renforcer son influence.
Faille. Les premiers visés sont les diplômés de niveau master (bac plus cinq), issus des grandes écoles et des universités. Ceux qui souhaitaient avoir une première expérience professionnelle en France obtenaient jusqu’ici facilement un visa salarié. Depuis la «circulaire Guéant» du 31 mai restreignant les possibilités de travailler, les OQTF se sont multipliées, malgré les assurances officielles que «rien n’a changé». Mais il y a aussi tous les autres étudiants d’université que l’on n’entend guère, à qui l’on refuse des visas pour la moindre faille dans leurs dossiers. Les plus modestes sont particulièrement menacés depuis un décret du 6 septembre qui relève à 7 680 euros les ressources annuelles exigées pour un visa étudiant, contre 5 400 euros actuellement.
Emilie Adam Vézina a ce qu’on appelle un «dossier béton». Elle est en situation régulière depuis son arrivée en France en novembre 2005 pour faire un doctorat d’anthropo-sociologie à l’université Paris-VII-Diderot, au sein de l’unité de recherches migrations et société. Chaque année elle a eu un visa étudiant ou scientifique. Mais la préfecture a jugé cette fois que «sa progression dans son cursus n’était pas suffisante», car elle entamait «sa septième année au même niveau d’études». Ignorant qu’il faut souvent de cinq à dix ans pour une thèse en sciences sociales, elle lui a alors donné trente jours pour décamper.
Alors que beaucoup, écœurés, font leurs bagages, Emilie Adam Vézina a décidé de se battre. Très soutenue – par le président de Paris-VII, celui de son labo, etc -, elle a déposé deux recours auprès du tribunal administratif contre son refus de visa.
On ignore les chiffres mais il existe bien d’autres cas. «J’en avais cinquante la semaine dernière rien que dans un institut de la fac, mais je ne saurais dire si c’est à cause de la circulaire Guéant ou pour une autre raison, expliquait hier le président d’une université de la région parisienne. Je vais régulièrement négocier avec la préfecture où j’ai un bon contact. Je n’ai plus qu’une vingtaine de cas aujourd’hui, mais rien ne dit que je n’en aurai pas quarante le mois prochain…» Chacun, dans les grandes écoles et dans les universités, fait ainsi jouer ses réseaux.
sérénité. Il est difficile de croire qu’il n’y ait aucune retombée internationale. Des grandes écoles ont d’ailleurs reconnu avoir enregistré une baisse des inscriptions d’étrangers pour l’an prochain. Mais les représentations diplomatiques françaises ont désormais toutes reçu la lettre rassurante de François Fillon relativisant la «circulaire Guéant». Contacté par Libération, le consulat de France à Shanghai a démenti hier les rumeurs de fâcherie avec les Chinois, qui auraient menacé de ne plus accepter de VIE (volontaires internationaux en entreprise) français. Même sérénité au consulat général d’Atlanta, qui gère la coopération universitaire avec les Etats Unis, où l’on assure que la circulaire «n’a eu aucun effet, les demandes de visas étudiants continuant comme avant».
C’est au Moyen-Orient que la presse est la plus critique à l’égard de la situation des étudiants étrangers en France – l’édition locale du New York Times lui a consacré un long article. Mais c’est le Quotidien du peuple, l’organe du PC chinois, qui a signé l’article le plus féroce le 30 octobre sur son site. Il compare les Américains qui «réservent un bon accueil aux personnes compétentes et qualifiées» aux Français «qui souhaitent les chasser». Puis il accuse Paris de ne rien comprendre à «la mondialisation des élites intellectuelles». «En France, écrit-il, on voit les étrangers non européens comme venant arracher l’emploi et le gagne-pain aux Français. C’est une erreur vulgaire et mesquine.» Dur pour un pays qui s’est mis sur les rangs pour former l’élite chinoise…
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25/12/2011