Le niveau des étudiants est au top, mais à quel prix !
En décembre 2010, une nouvelle a donné le frisson à la planète éducation. Les adolescents de Shanghai sont arrivés très au-dessus de la moyenne internationale, lors d'un test standardisé organisé par l'OCDE et réunissant 65 pays (Pisa). Les cinq cents collégiens de Shanghai qui participaient pour la première fois à ce concours étaient en tête dans toutes les disciplines : maths, sciences et lecture. Loin devant les autres Asiatiques et encore plus loin devant les Américains et les Français (24e et 22e position). Ces excellents résultats ont entraîné un commentaire désabusé du secrétaire américain à l'Éducation, Arne Duncan. "Nous pouvons toujours contester ces résultats, mais ils paraissent fiables. Mieux vaut affronter la réalité : nous devenons sous-éduqués !"
Mais en Chine, ce succès n'a pas provoqué l'enthousiasme attendu. Au contraire ! Ce modèle chinois qui privilégie les résultats aux examens écraserait l'esprit d'innovation. La question n'est pas nouvelle. En 1919 déjà, les intellectuels et étudiants du Mouvement du 4-Mai protestaient contre le système mandarinal ! En 2006, les discussions ont été relancées par plusieurs académiciens ayant tous étudié en Chine, puis en Occident : "Pourquoi la Chine produit-elle tant de gens intelligents et si peu de génies ?" a lancé le père du programme spatial chinois, Qian Xuesen. "Aujourd'hui, cette crise est exacerbée par le phénomène de l'enfant unique", a ajouté le vice-doyen de l'université de Pékin, Jiang Xueqin. Le très officiel China Daily a enfoncé le clou, révélant dans une enquête qu'aucun des 1 000 étudiants arrivés premiers au fameux gaokao, le baccalauréat chinois, entre 1977 et 2008, n'avait ensuite fait la moindre étincelle…
Car la préparation à ce concours qui permet d'entrer à l'université commence dès la première année du primaire, voire à la maternelle. Sur les 20,6 millions d'enfants nés en 1993, la moitié seulement se sont présentés au gaokao et, parmi ces derniers, moins d'un tiers ont été reçus. Les citadins riches sont très privilégiés par rapport aux enfants des campagnes, sans parler des migrants (parmi lesquels l'analphabétisme reste élevé, à près de 10 %, surtout chez les filles). S'ils ne sont pas en pensionnat, les enfants visant ce sésame restent vissés à la maison pour réviser. Seul loisir autorisé : pratiquer un instrument de musique, ce qui permettra de gagner de précieux points. Leurs parents visent les meilleures écoles, les meilleurs collèges, les meilleurs lycées… Mais à quel prix !
Tunnel
Huang Li, 15 ans, lycéenne dans le Zhejiang (près de Shanghai), est engagée depuis un an déjà dans le tunnel dont elle n'émergera qu'à 18 ans. "Tous les matins, ma fille se lève à 5 heures. À 6 heures, raconte sa mère, elle part pour l'école et commence par une heure de révisions avant le début des cours à 7 h 30. Elle sort à 16 heures, puis enchaîne jusqu'à 22 heures les cours supplémentaires obligatoires et les entraînements pour le gaokao. Elle rentre à 22 h 30 pour dîner. C'est ainsi tous les jours de la semaine et de l'année, sauf le dimanche, où elle enchaîne les cours particuliers." L'école a supprimé les vacances et tous les cours "inutiles", comme le sport, qui ne rapporte pas de points. La famille de Huang Li est typique de cette classe moyenne née dans les années 90. La mère travaille à la Banque de Chine et le père tient un club de sport. Ils espèrent que leur fille unique entrera dans une grande université, si possible à Pékin, et réussira un concours de fonctionnaire ou obtiendra un poste important dans la finance.
Depuis l'été de 2010, la multiplication des suicides d'enfants et d'adolescents a ravivé le débat sur la réforme de l'éducation qui ne doit aboutir que vers 2020. Mais la modernisation ne prévoit pas de supprimer le gaokao.
http://www.lepoint.fr/
03/12/2011