FRANCE – Peut-on se passer des diplômés étrangers?

De nombreux jeunes diplômés issus des meilleures écoles sont menacés de devoir quitter la France.

Depuis la rentrée, des centaines de jeunes diplômés étrangers n'obtiennent pas l'autorisation de travailler en France. Vous avez été nombreux à réagir. L'EXPRESS.fr fait le tri dans les idées reçues.

Depuis une circulaire datée du mois de mai, des centaines de jeunes diplômés étrangers qui ont fait leurs études en France doivent refuser du travail, faute de titre de séjour. Plusieurs d'entre eux, souvent sortis de prestigieuses écoles, contestent ce durcissement. Vous avez été nombreux à réagir dans les commentaires de notre article. LEXPRESS.fr passe en revue vos remarques.

"Il y a sûrement assez de jeunes Français diplômés pour occuper les places disponibles." (Lestor112)

"[Renvoyer les diplômés étrangers créera] du travail pour les étudiants français au chômage." (Triste)

Plutôt faux, selon André Zylberberg, économiste spécialiste du marché du travail. "Sur le long terme, il n'y a pas de corrélation entre immigration et chômage", explique ce directeur de recherche au CNRS. "Bien sûr, si ponctuellement, on ouvre grand les frontières, cela va générer des ajustements qui pourront créer des tensions sur le marché de l'emploi. Mais cela vaut surtout pour les personnes non-qualifiées. Les diplômés, eux, sont sur des secteurs d'activités moins tendus", observe-t-il.

Les grandes écoles affichent même des taux d'insertion record: 94,8% pour les diplômés d'HEC trois mois après l'obtention du diplôme. A Sciences-Po, 39% des étudiants ont signé leur contrat d'embauche avant la sortie de l'école et à Epita, école d'ingénieurs informatiques, 93% étaient déjà embauchés le jour de leur départ. Ce taux est plus faible à l'université -de 91% 30 mois après la sortie- mais varie beaucoup selon les filières.

"Est-ce que leur pays ne serait pas heureux de bénéficier de leur savoir?" (Maughi)
Tout dépend des Etats. Pour certains internautes, employer en France des diplômés hautement qualifiés -médecin, ingénieur, etc.- revient à priver de ces talents leurs pays d'origine, notamment en Afrique ou en Asie. Nabil Sebti, porte-parole du collectif du 31 mai, rappelle toutefois que "parmi les étudiants renvoyés, on trouve des Américains et des Japonais, l'argument de la fuite des cerveaux ne tient donc pas".

Selon les derniers chiffres du ministère des Affaires étrangères, qui porte sur la rentrée universitaire 2008-2009, l'Afrique reste toutefois la première région d'origine des étudiants étrangers, à 50,2%, même si ce taux baisse depuis deux ans. 24,7% des étudiants hors Erasmus arrivent d'Europe, suivis par l'Asie et l'Océanie d'où viennent 16,2% des étudiants, en hausse de 8,6 % en un an. L'Amérique représente 8 % des contingents.

Dans tous les cas, rappelle Nabil Sebti, "aucun des diplômés du collectif ne demande à rester en France ad vitam aeternam. Il s'agit seulement d'obtenir une première expérience professionnelle dans la continuité de la formation. On ne parle que de titres de séjour d'un an."

"Harvard ou le MIT ne vous ouvrent pas les portes aux USA, en France c'est pareil." (RAY44000)
En partie vrai. Aux Etats-Unis comme en France, un diplôme ne donne pas droit à un titre de séjour. "Les services de l'immigration seront peut-être légèrement plus impressionnés par un diplôme de Harvard, mais ce ne sera pas déterminant", confirme Joan Squires-Lind, avocate spécialiste du droit de l'immigration aux Etats-Unis. Ce qui l'est en revanche, c'est d'avoir un emploi. Or si "le fait d'être diplômé de Harvard ou d'une douzaine d'universités prestigieuses ne permet pas directement l'obtention d'un titre de séjour, cela aide à trouver un poste en adéquation avec sa formation, ce qui est requis pour obtenir un visa de travail du type H-1B", poursuit la juriste.

Au Canada, comme le signale l'internaute "Moi", le passage entre diplôme et emploi est beaucoup plus facile: un "programme de travail post-diplômes" permet aux étrangers sortis des établissements canadiens d'obtenir un permis de travail de la même durée que leur période d'études.

"Les universités et les grandes écoles devraient comprendre qu'il n'y a aucune justification économique à l'augmentation délirante de 47% des flux d'entrée d'étudiants étrangers extra-européens depuis 2005." (Jojob)
Selon les chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, le nombre d'inscrits étrangers dans les universités françaises a augmenté de 50% depuis 2000. La proportion des étrangers dans la population étudiante reste toutefois stable, à 11,9 % contre 10 % à la rentrée universitaire 2002/2003.

"Les jeunes diplômés ont bien souvent bénéficié de bourses octroyées par leurs propres gouvernements." (Jmleger)

"Ce sont nos impôts qui paient les études des étrangers." (Hélène de Biare)
Tout dépend du pays d'origine. Certains gouvernements accordent effectivement des subventions. L'ambassade du Maroc en France explique par exemple que des bourses sont attribuées "selon des critères sociaux ou d'excellence". Leur montant ne dépasse toutefois pas 350 euros par trimestre, ce qui couvre les frais universitaires, mais pas ceux des grandes écoles.

En France, les étudiants étrangers sont éligibles aux bourses mais sous certaines conditions, comme le fait de résider sur le territoire depuis au moins deux ans. Depuis 2006, certains parcours sont aussi cofinancés par des entreprises françaises, qui trouvent leur intérêt à payer les études des jeunes talents internationaux. C'est le cas de Thales, Orange, DCNS, du Crédit agricole et d'Air Liquide.

"L'avantage des travailleurs immigrés est qu'ils acceptent des salaires deux fois inférieurs à celui d'un Français." (DooDooYooDoo)
Faux. En théorie, "si la demande d'emploi est forte par rapport à l'offre disponible, les salaires seront mécaniquement tirés vers le bas", note l'économiste André Zylberberg. Mais "pour les haut-diplômés, il n'est même plus question de raisonner ainsi, car le marché qui les concerne est très mondialisé. Ce n'est plus une main-d'oeuvre classique, où chaque salarié est remplaçable par un autre, que les entreprises recherchent. Ce sont des compétences particulières, des qualités exceptionnelles, qui se monnayent forcément, sans prendre en compte le pays d'appartenance."

Par Alexia Eychenne et Benoît Magistrini, publié le 29/10/2011

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