Responsable des activités de recherche de l'université Lyon 3, plutôt orientée vers le droit et les sciences humaines, Jacques Comby revient avec nous sur ce qu'est la vie d'un doctorant aujourd'hui. Lui-même est spécialisé dans un domaine scientifique où la controverse est forte et même parfois éminemment polémique : la climatologie et les risques.
On entend souvent dire qu'il n'y a pas de perspectives d'avenir pour les thésards. Qu'en dites-vous ?
Je suis souvent irrité par le discours décourageant et trop fréquent qui laisse entendre qu'il n'y a pas de débouché pour les jeunes docteurs, même si ce n'est pas simple. La recherche de manière générale et, en particulier, en sciences humaines évolue. Elle est n'est pas seulement destinée à faire de vous les remplaçants de vos professeurs et des chercheurs à l'Université et au CNRS. On peut intégrer des laboratoires publics de recherche comme des entreprises privées.
Nous recevons même aujourd'hui des cadres d'entreprises qui viennent faire une thèse en formation continue pour avancer dans leur professionnalisation et leur carrière. Les thèses peuvent avoir aujourd'hui une dimension plus appliquée et donc professionnelle, notamment dans le cadre des contrats Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche en lien avec l'Association nationale recherche technologie (ANRT) qui donnent une double ouverture aux doctorants : universitaire et/ou professionnelle.
Mais peut-on obtenir un contrat Cifre dans toutes les disciplines ? On a souvent l'impression qu'ils sont réservés aux sciences "dures".
Tous les domaines sont concernés par les contrats Cifre même si, selon les disciplines, la démarche est plus ou moins aisée. D'une manière générale, les sciences humaines et sociales sont des disciplines essentielles et qui ont un rôle important à jouer dans la société civile. Il faut les soutenir et les aider pour sauvegarder la recherche en lettres ou en philosophie par exemple, mais aussi dans d'autres disciplines qui, au-delà des applications concrètes envisageables, sont essentielles aux questionnements sur l'évolution des sociétés et le sens de ces évolutions. Je suis un fervent défenseur de la recherche, même et justement, parce qu'en dépit des possibilités évoquées, tout n'est pas parfait aujourd'hui, loin de là !
Les financements des thèses ne sont-ils pas de plus en plus difficiles à trouver, et pas seulement en sciences humaines ?
Toutes les thèses préparées dans mon laboratoire de climatologie sont financées à 100 % avec une moyenne de financement de 1500 € par mois, mais qui peut être plus élevé dans certaines entreprises. Les financements sont divers, certaines thèses sont financées dans le cadre de contrats doctoraux par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche – mais assez peu et les places sont très chères –, d'autres par des Cifre, d'autres encore par des bourses et/ou contrats régionaux, européens, internationaux, des réponses à appels d'offres de recherche, voire par des fondations comme, à titre d'exemple, la fondation Axa ou Ford, etc.
Vous évoquez de nombreuses sources de financement, mais n'est-ce pas justement un élément de complexité supplémentaire pour les futurs thésards ?
C'est une difficulté incontestable. Saisir la diversité des possibilités de financement de la recherche consiste souvent à trouver son chemin dans un vrai labyrinthe et les étudiants sont souvent mal informés. Choisir un directeur de thèse et trouver son financement est un travail en soi ! Cependant avec un encadrement sérieux et de la volonté on peut, la plupart du temps, trouver des moyens de financement dans tous les domaines.
Des étudiants sur le campus de l'université Jean Moulin Lyon 3.Université Jean-Moulin Lyon-III
Certains domaines des sciences humaines sont néanmoins plus porteurs que d'autres.
L'environnement de manière générale et, dans mon cas, le climat et ses évolutions que j'enseigne sont des domaines sensibles pour les entreprises et les questions de sociétés en général. Cependant un historien peut également motiver les demandes des acteurs économiques, politiques et sociaux, dans bien des domaines, voire des mécènes, notamment par les fondations. Être un spécialiste de l'histoire des lumières à Lyon, pour prendre un exemple singulier, offre des opportunités.
Trouver des financements demande aussi beaucoup de temps. N'est ce pas au détriment de votre travail ?
C'est une démarche qui demande effectivement beaucoup d'investissement. J'ai moi-même parfois le sentiment d'être devenu un "commercial de la recherche" pour convaincre les entreprises et les collectivités de me soutenir et de développer des collaborations. On peut le regretter mais il est aussi nécessaire d'avoir un regard objectif sur les évolutions en cours et le contexte actuel.
Le risque est connu, une perte d'indépendance du chercheur. Ce n'est pas le but, et il faut être force de proposition et ne pas simplement subir pour éviter au mieux les risques associés à ces évolutions. Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut plus travailler seul dans sa tour d'ivoire quand on est responsable d'un laboratoire et de l'avenir des chercheurs qui le compose. Il y a une nécessité à être intégré dans les réseaux et institutions de la recherche mais aussi ceux du monde socio-économique.
On retient encore souvent l'image du "thésard éternel", parti pour une thèse qui durera dix ans, où en est-on aujourd'hui ?
La durée des thèses s'est beaucoup raccourcie dans de nombreuses spécialités mais, en même temps, et en particulier en sciences sociales, il faut garder une certaine souplesse et éviter les normalisations excessives. La durée nécessaire à la réalisation d'une thèse varie selon les disciplines, les conditions de sa réalisation et les motivations du chercheur. Il ne faut pas appliquer une norme universelle, par exemple 5 ou 6 ans au maximum (c'est plus souvent 3 à 4) même s'il faut éviter que les thèses s'éternisent. Il est par exemple difficile pour un historien, professeur dans le secondaire, de réaliser une thèse dans un délai court tout en assurant son enseignement et ses responsabilités familiales.
En outre, pour certains, la thèse est un accomplissement qui va bien au-delà de la carrière. Le plus important est la qualité du travail rendu et son apport. Mais c'est une vrai difficulté aujourd'hui, l'efficacité des laboratoires étant estimée, entre autres, par un indicateur tenant compte de la durée moyenne des thèses.
Comment sélectionnez-vous vos futurs doctorants ?
Pour repérer des profils qui nous semblent aptes à se lancer un jour, nous ouvrons nos laboratoires dès la licence puis nous mettons les étudiants en situation pendant leur master. Nous arrivons peu à peu à bien connaître nos étudiants, leurs envies, leur potentiel. Nous recrutons aussi des étudiants venant d'autres établissements. Il faut savoir refuser des étudiants qui ne semblent pas prêts méthodologiquement ou pour d'autres raisons, sans pour autant les décourager d'un investissement futur.
La construction d'un projet de recherche et sa réalisation suppose beaucoup de travail et de bien s'entendre et s'accorder sur les conditions de fonctionnement, car, une fois en thèse, il faut s'intégrer à une équipe et travailler avec un directeur, formant un véritable couple pendant 4 à 5 ans.
Quelles grandes qualités faut-il alors avoir pour se lancer dans une thèse ?
Une thèse doit comporter une part d'innovation et demande, surtout, beaucoup d'investissement et de rigueur scientifique. Elle doit aussi posséder une dimension opérationnelle d'autant plus forte que la recherche possède un caractère appliqué.
Pour exemple, l'un de nos doctorants a récemment soutenu une thèse en lien avec la direction de l'eau du Grand Lyon sur une question climatique affectant les réseaux d'assainissement. L'un de ses apports scientifiques a été de contribuer à la révision de fondements théoriques "du climat urbain" en montrant que les facteurs locaux (Ilot de Chaleur urbain, relief, etc..), à Lyon, n'ont qu'une faible influence sur la distribution et l'intensité des pluies à risque, contrairement à ce qui est attendu où supposé, pour les pluies dans un milieu urbain.
Sur le plan opérationnel son travail contribue à une meilleure gestion du réseau d'assainissement. Ce jeune docteur est issu d'une formation en ingénierie de l'espace rurale et ne disposait pas d'une formation spécifique poussée en climatologie. Il a su, par son envie, sa volonté et bien évidemment ses capacités, apprendre à maîtriser des outils nécessaires à sa recherche (statistique, modélisation, programmation, etc.). On ne naît pas climatologue ou chercheur, on le devient ! Aujourd'hui, il a été recruté sur une chaire d'excellence CNRS de maître de conférences, à l'université.
Et qu'est-ce qu'un chercheur doit absolument éviter ?
Un chercheur doit d'abord être intègre, respecter une éthique, se garder de conclusions rapides, être modeste et posséder un fort sens critique, notamment sur ses propres résultats et leur représentativité. C'est le cas, notamment pour les recherches qui se consacrent aux évolutions climatiques, où les controverses et mêmes les polémiques sont fréquentes.
Or, les étudiants font parfois un péché de jeunesse en cherchant à valider à tout prix leur hypothèse, au point de s'éloigner d'une démarche objective, alors que c'est justement l'inverse qui doit conduire un travail de recherche. Je m'explique : c'est lorsqu'une hypothèse résiste aux analyses, aux tests et expérimentations qu'elle devient intéressante. Mais il est vrai que même Einstein a été accusé d'avoir fait une erreur volontaire dans ses calculs et équations, pour valider ses hypothèses…
Propos recueillis par Olivier Rollot
http://www.lemonde.fr
22/10/2011